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sique et qui, se combinant avec d'autres êtres, les pénètrent comme cause active... Les miracles, les enchantements, les incantations, enfin ces actes improprement appelés surnaturels, ne peuvent s'expliquer que par le despotisme avec lequel un esprit nous contraint à subir les effets d'une optique mystérieuse. Ces phénomènes sont en nous, et non en dehors. » Par ces quelques lignes, on voit ce qu'est l'explication de Balzac, en quoi elle demeure conforme aux tendances déjà connues de son esprit, sur lesquelles nous avons insisté en précisant l'idée maîtresse de son œuvre (1). La critique moderne n'a fait que la compléter en y ajoutant; nous disons: la critique moderne, car il est curieux de constater que, de tous les points où Balzac a joué le rôle de précurseur, ce point si troublant du mysticisme est celui où son rôle se manifeste avec le plus d'évidence.

A la fin du dix-neuvième siècle, dont la principale gloire, ou du moins la caractéristique intellectuelle dans l'histoire de la pensée, fut d'étayer de solides assises scientifiques les analyses négatrices du précédent, à la fin de ce siècle, dont la plus brillante période à ce point de vue fut le

(1) Se reporter à l'étude sur la Préface de la « Comédie humaine », au début des Premiers Essais.

développement positiviste d'Auguste Comte et de Taine, lequel correspondait au progrès des sciences naturelles, une singulière et significative réaction s'est produite, ayant pour trait distinctif de ramener les esprits vers les questions d'au delà. Après s'être volontairement tenu dans les limites que lui imposait la raison, munie d'une rigoureuse discipline scientifique, l'esprit humain, frappé de l'étroitesse des horizons où le maintenait une pareille discipline, atteint surtout dans ses visées supérieures par la compression qu'il en éprouvait, a prétendu franchir ces bornes en songeant que, par delà les notions de la science positive, il existait tout une monde de sentiments et d'idées que celle-ci ne pouvait atteindre, et qui cependant correspondait à des réalités intimes. N'est-ce pas la prédominance de telles aspirations qui fut cause de cette sorte de volte-face, commune d'ailleurs à toutes les réactions extrêmes, et que nous devons constater aujourd'hui, puisqu'elle se traduit par une résurrection indéniable des tendances mystiques? Que donnera cette résurrection? Quel contingent d'idées nouvelles, de sentiments inéprouvés apportera-t-elle à la Philosophie et à l'Art? En réalité, c'est là seulement ce qui importe, car toute tendance de l'esprit apparaît négligeable,

qui ne se traduit pas en œuvres. Quoi qu'il en soit, il est impossible aujourd'hui de négliger ce retour vers les questions d'au delà et vers le domaine de l'inconnaissable. Les uns s'y sont absorbés entièrement; d'autres, après avoir consacré le meilleur de leur effort aux outrances naturalistes, s'adonnent maintenant à la littérature d'occultisme, et cet entraînement, dont la trace s'observe partout dans la jeune littérature, n'a pas davantage épargné le monde

savant.

C'est cette renaissance du mysticisme qui rend si curieuse aujourd'hui, et d'un intérêt si actuel, l'étude des théories de Balzac, car cette étude est féconde en rapprochements inattendus entre certains aperçus du plus saisissant modernisme et certaines vues de Balzac. Rappelezvous, dans « Séraphita», la phrase par laquelle le docteur Becker accueille les déclarations enthousiastes de Wilfrid : « Ceci ressemble fort aux discours amoureux », et tout le développement dont elle est tirée. On y voit l'intention marquée de laisser indécise et flottante la différence entre le magnétisme dûment constaté et ce magnétisme quotidien qu'on appelle l'amour. Certains y pourront saisir une véritable assimilation des deux phénomènes. Wilfrid est-il un

hypnotisé, un envoité? N'est-il simplement qu'un amoureux? Il faut, pour goûter l'entière saveur de ces pages délicieuses, se reporter à telle théorie toute récente sur l'assimilation qu'il convient d'établir entre les rapports passionnels et les rapports magnétiques de l'hypnotiseur avec son sujet. Et c'est en réalité le fond de l'amour que nous effleurons ici, car il est rare, avec Balzac, de creuser un peu profondément une idée, sans toucher au centre même de la vie sentimentale.

Le sentiment d'amour n'a pu être analysé de façon complète et satisfaisante que par analogie avec des phénomènes entrés récemment dans l'ordre des sciences : nous voulons parler des phénomènes d'Hypnose. L'amour, envisagé comme passion, n'est pas autre chose qu'un état d'hypnose élémentaire, de Monoidéisme, qui se caractérise par la convergence de toutes les tendances de l'âme vers une image exclusive, celle de l'être aimé. On en tire notamment la preuve de l'identité foncière des causes qui sont reconnues comme causes de l'amour, et des procédés habituels d'hypnotisme. Quant à ces procédés, quant à l'action directe, à l'influence toute-puissante et dominatrice de l'hypnotiseur sur son sujet, si nous voulons pousser plus loin encore le rappro

chement entre l'amour et l'action magnétique, il nous suffit d'évoquer le souvenir des plus célèbres et des plus ardentes passions dont l'Histoire et la poésie nous aient laissé la peinture, pour constater l'analogie des effets produits; et Balzac lui-même se charge de la caractériser, en mettant dans la bouche de Wilfrid ces paroles, qui marquent, en précisant sa nature, 'l'influence de Séraphita sur lui: — « Vous me voyez, dit-il, pour la centième fois, abattu, brisé, pour avoir été jouer avec le monde hallucinatoire que porte en elle cette jeune fille, douce et frêle pour vous deux, mais pour moi la magicienne la plus dure. Et que l'on ne vienne dire conception tout idéale de l'œuvre enlève quelque valeur à sa signification positive. Ici encore, et pour les rapports entre l'amour et le magnétisme, comme déjà nous l'avons observé quand il s'agissait des idées purement mystiques, Séraphita ne fait que condenser des vues éparses ailleurs, que nous allons retrouver plus précises et plus nettes dans un œuvre de réalité.

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A cet égard, le caractère qui rend si moderne la tentative de Balzac dans le domaine des sciences occultes ressort du fait qu'il eut la hardiesse de choisir un phénomène de pur magnétisme comme base d'un de ses romans. Tout autre que

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