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sentants en mission. Dans le cours de la mission spéciale qu'il remplit à Toulon en 1794, Jeanbon Saint-André devait faire, à plusieurs reprises, le voyage de Marseille pour chercher luimême des approvisionnements (1).

Tandis qu'il fallait secourir les départements voisins, Marseille n'avait cessé d'être elle-même menacée de la disette. Le 8 mars 1793 la municipalité publie une affiche rassurante, mais en réalité l'arrivée des blés attendus de Gênes, de Livourne et d'Arles est très difficile. En août, elle offre des prix très élevés aux propriétaires du territoire : 160 livres la charge (120 kilogrammes) pour la tuzelle blanche, 150 pour la tuzelle rousse, 145 pour le blé turquès, mais ces offres ne suscitent aucun empressement. Cependant elle veut maintenir le pain à un prix raisonnable, 5 sols la livre (408 grammes) et elle revend pour cela son blé aux boulangers à 74 livres la charge. Aussi, pour éviter de trop grosses pertes, elle veut empêcher le pain et le blé de sortir du territoire et elle prend dans ce but une série de décisions, le 1er et le 27 juillet 1793. Cependant elle constate le 17 août que «<dans le mois de mars, époque où la marine était encore en activité et la population plus nombreuse, le Bureau des subsistances n'a délivré aux boulangers que dix mille et quelques cents charges de blé, tandis que ces livraisons se sont élevées à plus de 15000 charges par mois. » Elle en conclut que << la contrebande, qu'on peut appeler un vol, s'élève à 5000 charges par mois, dont la perte, calculée à 75 livres seulement par charge, a augmenté la dépense de 375.000 livres par mois dans ces derniers temps. »

En effet le pain était plus cher dans le reste du département. Le 7 juillet une émeute avait éclaté à Aix parce que la municipalité avait fixé la veille le prix de la livre à 7 sols 10 deniers; elle ne fut calmée que par la promesse qu'il serait abaissé à 5 sols comme à Marseille. Les municipaux aixois calculèrent qu'en perdant 60 livres par charge, la consommation

~ (1) Voir Lévy-Schneider. Le conventionnel Jeanbon Saint-André. Paris, Alcan, 1901, 2 in-8° (tome 2).

normale de 600 charges par semaine donnerait une perte de deux millions par an (1).

Pour remédier à cette contrebande, la municipalité adopte un système curieux. A partir du 25 août, le prix du pain devait être augmenté proportionnellement à celui du blé, mais les Marseillais recevraient en compensation une prime de 5 sols par livre; comme on estimait la consommation personnelle à une livre et demie (612 grammes), la prime journalière devait être de 7 sols 6 deniers et elle était due même aux enfants à la mamelle. Les citoyens aisés étaient invités à ne pas retirer leur prime et « à la compenser avec l'imposition relative à cet objet lorsqu'elle aurait lieu. » Des commissaires furent chargés dans chaque section de dresser le tableau exact des membres de chaque famille et de munir leur chef d'une attestation. Le prix du pain fut fixé à 11 sols.

La révolte de Toulon aggrava encore la situation et mit de nouveaux obstacles aux arrivages maritimes. Le 4 septembre 1793 les représentants Albitte, Gasparin, Saliceti et Escudier, considérant les besoins de Marseille et la nécessité de faire parvenir promptement des subsistances par la voie de terre, requéraient tous les départements environnants et particulièrement celui des Basses-Alpes de favoriser par tous les moyens les achats et les transports.

Cependant on se plaignait de la mauvaise qualité du pain et, en octobre, deux volontaires du bataillon des sans-culottes étaient mis chez chaque boulanger pour surveiller leur fabrication. En novembre des gardes de police se rendaient chaque jour chez les boulangers et prenaient un pain déposé à la maison commune pour servir de comparaison en cas de plainte; les boulangers pouvaient le reprendre le soir. Comme ceux-ci découragés abandonnaient leur profession, sans avoir fait six mois auparavant la déclaration préalable exigée, on renouvela l'injonction, sans doute peu efficace, de reprendre leur fabrication et de la

(1) Paul Moulin. Une révolte populaire à Aix en 1793, La Révolution française, juillet 1913, p, 35-46.

maintenir à son activité ordinaire, sous peine d'être poursuivis criminellement. On voyait au même moment les boutiques et magasins des subsistances «< assiégés par la foule, quelques-uns pillés, la plupart dégarnis dans un clin d'œil, les vendeurs injuriés, molestés et obligés de livrer leurs denrées au plus audacieux et au plus fort qni payaient à leur gré ou même ne payaient pas. » La proclamation municipale du 23 octobre 1793 ajoute: « C'est ainsi qu'au chagrin qu'ont les magasiniers de vendre d'après la loi à moitié prix de leurs achats on ajoute encore pour eux le désagrément d'être vexés par les acheteurs. >>

Par cette même proclamation, la municipalité annonçait que le prix du pain était abaissé de 11 à 6 sols; le 17 novembre, ce prix était fixé à 5 sols. On renonçait donc au système des primes, qui n'avait sans doute pas donné satisfaction, et on espérait calmer l'effervescence populaire. La police devait disperser l'affluence tumultueuse devant les magasins et des mesures étaient prises pour empêcher les accaparements. Les boutiquiers ne pourraient livrer qu'une ou trois livres au plus à la fois de chaque comestible et un quarteron d'huile. Tous ceux qui avaient fait des approvisionnements au delà des besoins domestiques, depuis la fixation du maximum, devaient les reverser dans les boutiques où ils les avaient achetés; des visites domiciliaires devaient assurer l'exécution de cette mesure.

Au même moment, le département (1) adoptait des règles de mouture unique, pour rendre la fabrication du pain plus économique et plus productive.

L'année 1794 s'ouvrait sous de fâcheux auspices La population était effrayée par les agissements d'une « multitude d'agents » qui, sous prétexte d'enquêter sur l'état des subsis

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(1) Arrêté du 8 frimaire an II (28 octobre 1793). C'est évidemment l'exécution de la loi du 25 brumaire (15 octobre), qui défendait de faire plusieurs espèces de pain et d'extraire du froment plus de 15 livres de son sur 100 livres. D'après un document (Arch. du Finistère), signalé par M. Daniel Zolla (Journal des Débats, 5 septembre 1917), le Comité de Salut public, informé de l'inexécution de la loi dans plusieurs districts, avait été obligé de prendre un arrêté édictant des peines sévères contre les meuniers, boulangers, pâtissiers, qui contrevenaient à cette loi.

tances,« jetaient partout l'épouvante et l'effroi et ne donnaient aucun renseignement utile. » Un arrêté de Ricord du 28 nivôse an II (17 janvier) les supprimait et chargeait chaque municipalité de dresser un état des grains et farines disponibles dans les greniers publics et chez les particuliers. Le 24 pluviôse (12 février), la municipalité de Marseille s'inquiétait des attroupements chez les boulangers dus aux fausses terreurs qu'on cherchait à inspirer au peuple. Elle attribuait naturellement ces faux bruits aux contre-révolutionnaires, « ces êtres féroces qui vivent dans les agitations et dans les troubles comme la salamandre dans le feu », et elle ne trouvait d'autres remèdes que de renouveler les visites domiciliaires pour connaître les accapareurs.

Les bruits au sujet du manque des grains n'étaient pas sans fondement, et la situation était devenue des plus critiques quand Maignet arriva à Marseille; il allait déployer la plus farouche énergie et la plus grande activité. En envoyant au Comité de Salut public, le 28 pluviôse (16 février), un arrêté relatif aux subsistances, inspiré de celui que venait de prendre la Commune de Paris, Maignet parle de la foule des citoyens qui assiège la porte des boulangers. D'après lui la pénurie n'est pas seulement l'effet de la disette; la malveillance joue un grand rôle et son arrêté est destiné à déjouer les menées des mauvais patriotes (1).

Le 6 ventôse (24 février), il lance une proclamation rassurante: « Marseille est depuis longtemps dans une cruelle pénurie..... Peuple sois ferme et tranquille, tes ennemis voudraient te voir inquiet et peu soumis..... Les blés ne manquent pas, il y en a des approvisionnements considérables à Nice et à Cannes, où il en arrive journellement d'Italie; un convoi destiné pour Marseille est de relâche à Héraclée, ci-devant Saint-Tropez ; il ne faut enfin que le temps de rassembler et diriger les moyens de transport pour suffire aux consommations et ramener l'abondance dans les magasins de la commune et dans ceux

(1) Aulard. Recueil des actes... T. x1, p. 206.

délivrée par la Commission du Commerce et des Approvisionnements en date du 18 Vendémiaire, an III (9 Octobre 1794)

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Cette gravure, d'une composition très artistique et d'une fine exécution, atteste, à peine

au sortir de la Terreur, des goûts esthétiques dont on n'a plus l'occasion depuis longtemps de féliciter nos grandes Administrations.

(Bibliothèque municipale de Marseille, collection d'autographes de Volcy Boze, tome 31, fol. 91,.

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