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était étroitement surveillé par les Anglais. Comment le forcer quand les vents étaient souvent déjà une difficulté suffisante.

Quant aux Indes orientales on n'avait même pas pu reprendre possession de Pondichéry en 1803. Empêché d'y débarquer par l'hostilité déjà marquée des Anglais, Decaen s'était rendu à l'île de France devenue indépendante de fait depuis 1796. Débarqué en août 1803 il avait rétabli aussitôt l'autorité de la métropole ; il avait puissamment organisé la défense de l'ile et il en avait fait une redoutable place d'armes, un « vrai nid de pirates», disaient les Anglais. Mais les Marseillais furent absolument hors d'état d'envoyer des navires dans l'île dont le commerce resta très actif pendant la guerre. Les nombreux bâtiments neutres, américains notamment, qui fréquentaient le Port-Louis, ne rapportèrent même aucune cargaison à Marseille (1).

C'est dans ces circonstances très défavorables que le capitaine marseillais Pierre Blancard publiait son plus intéressant Manuel du commerce des Indes orientales de la Chine (2). Cependant l'abondance et la précision des renseignements en assurèrent le succès considérable. L'auteur, qui avait fait six voyages aux Indes et en Chine de 1770 à 1792, ne se bornait pas à décrire en observateur exact et judicieux les centres commerciaux et leurs usages depuis le Cap jusqu'au Japon, il traçait tout un programme d'entreprises aux négociants et au gouvernement. Il faisait valoir notamment les avantages de la colonisation de Madagascar et de la Cochinchine (3).

Tout près d'eux, en juin 1805, les Marseillais avaient vu la réunion de Gènes à l'Empire avec une inquiétude qu'ils n'osaient pas faire paraître. L'empereur n'avait-il pas des projets mal connus de grands établissements maritimes dans ce nouveau port français ? Gênes relevée de sa déchéance pouvait redevenir une concurrente redoutable.

Les seules satisfactions du dehors venaient du Levant. L'amitié avec la Porte était définitivement renouée et semblait se

(1) Voir Prentout. L'ile de France sous Decaen.

(2) Dédié à S. M. l'Empereur et Roi d'Italie. Paris, Bordeaux, Marseille, 1806, in-fol.

(3) Voir mon livre : Marseille el la Colonisation française, p. 287-289.

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consolider de plus en plus. Après la paix de Presbourg, le sultan Sélim s'était hâté de reconnaître Napoléon comme empereur et lui avait envoyé une ambassade extraordinaire qui fut reçue le 5 juin 1806. Cette réception fut le point de départ d'une alliance intime entre la France et la Porte. Napoléon se fit le protecteur de l'Empire ottoman contre l'ambition russe. Il reprenait ainsi purement et simplement la tradition de l'ancien régime qui voulait à la fois maintenir la prépondérance commerciale de la France dans le Levant et développer à Constantinople une influence politique dont on pouvait se servir à l'occasion. Le général Sébastiani, au courant des choses du Levant, était devenu ambassadeur à Constantinople. En 1807 on allait le voir organiser avec des officiers français la défense de Constantinople contre les Anglais, comme autrefois de Tott contre les Russes; la retraite de l'escadre anglaise devait susciter l'enthousiasme du sultan et de toute la population (1).

En même temps les missions envoyées en Perse rappelaient les beaux temps de l'expansion de notre influence en Orient (2). Elles attiraient d'autant plus l'attention des Marseillais qu'elles étaient confiées à des compatriotes bien connus des négociants du Levant. Le chah de Perse Feth Ali faisait depuis 1804 des avances à Napoléon en vue d'une alliance. L'Empereur avait lu avec intérêt les rapports d'un commerçant de Constantinople, Escalon, qui démontrait qu'une alliance de la France avec la Perse pourrait nuire aux Anglais dans l'Inde. C'est pour étudier le terrain que Napoléon organisa plusieurs missions successives qui réussirent à nouer des relations suivies. La première fut confiée à l'Aixois Amédée Jaubert, déjà connu comme orientaliste. Jaubert, ancien interprète de l'armée d'Egypte, très apprécié alors par Bonaparte, était reparti pour l'Orient en 1802 avec

(1) Ed. Driault. La politique orientale de Napoléon, p. 27, 55-61, 89-105. — Comme témoignage de reconnaissance, Sélim III fit don à Sebastiani du palais de Thérapia qui avait appartenu au prince Ypsilanti. Ce palais tout en bois, resté la résidence estivale de nos ambassadeurs, a été incendié le 10 août 1913 pendant un dîner officiel.

(2) Voir mes deux volumes sur l'Histoire du Commerce français dans le Levant, XVIIe et XVIIIe siècles.

la mission Sebastiani. Ayant quitté Constantinople en mai 1805 il n'arriva à Téhéran qu'en juin 1806. De sa mission et de celles qui suivirent devait sortir le traité d'alliance avec la Perse signé à Finkenstein le 4 mai 1807 (1).

Il y avait là, sans doute, des espérances pour l'avenir, mais en somme, en 1806, la confiance était déjà bien moins grande dans l'avenir en dépit des manifestations de la municipalité marseillaise. D'ailleurs, la mort de Fox et les froissements causés par la politique allemande de l'empereur allaient détruire les espérances, restées jusque là très grandes, d'une nouvelle paix avec l'Angleterre (2).

Déjà en 1805 le commerce avait reçu de fortes atteintes. Ce n'était pas encore le marasme complet de l'an III, mais on était déjà loin de l'activité pleine d'espérances de l'an XI ou même de l'an X.

Le mouvement de la navigation au long cours, qui se décomposait ainsi qu'il suit, n'avait plus été que de 429 bâtiments au lieu de 808 et de 758 pendant ces deux années.

Navigation au long cours, Entrées dans le port de Marseille
en l'an XIII. Navires venant de ;

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(1) Driault. Ibid., p. 170-182.

(2) Voir ci-dessous l'étude sur Marseille et Napoléon. (3) 1 de Cayenne, 2 de La Havane, 1 de St-Thomas.

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