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Méhémet-Ali pour avoir seuls causé la grandeur de l'Egypte. L'Angleterre n'eut pas de peine à faire comprendre quelle influence dangereuse (1) nous retirerions d'une pareille solution et comment, en même temps, le prestige de l'Europe entière serait atteint. En un mot, l'Equilibre eut été détruit au profit de la France. Voilà pourquoi on traita sans nous à Londres, le 15 juillet 1840, et on imposa au Pacha les volontés d'un concert à quatre. Il y avait deux moyens d'abaisser l'influence française; le premier, que prônait la Grande-Bretagne, consistait à conserver le statu quo ante et à ne rien donner à l'Égypte; mais les autres cabinets pensèrent que le véritable Équilibre n'était pas à ce prix et on décida d'accorder à Méhémet-Ali certains avantages, en lui laissant bien entendre qu'ils étaient un don gracieux de l'Europe et non de la France.

Dans la question égyptienne, l'Équilibre voit grandir son domaine. Jusqu'ici les Etats ne s'étaient préoccupés que de son maintien en Europe; en 1840, ils portèrent plus loin leurs regards et crurent, avec raison du reste, que le continent pourrait se trouver atteint par une rupture d'Equilibre réalisé au delà de son territoire. Cette manifestation extra-européenne de notre principe est peut-être encore inconsciente: mais il importait de signaler l'origine d'une extension qui devait avoir de singuliers développements.

IV

Si l'on se rappelle avec quelle prédilection le Congrès

(1) Elle songeait surtout à l'Inde; l'Egypte en constituait la grande

route.

de Vienne avait formé le nouveau royaume des Pays-Bas, on doit s'imaginer qu'une stupéfaction profonde dut s'emparer de l'Europe, quand la Belgique se sépara brusquement de la Hollande et proclama son indépendance. L'étonnement fut peut-être moins vif, qu'on aurait pu s'y attendre; certes, les puissances s'alarmèrent, mais lorsqu'elles virent l'Angleterre, la plus intéressée autrefois à maintenir l'union des deux pays, ne pas manifester de craintes et proclamer au contraire le principe de non intervention, elles se bornèrent à des protestations isolées qui ne furent ni bruyantes ni redoutables (1). Puis, à l'examiner de plus près, elles avaient deviné tout ce qu'avait de factice, d'anormal, l'amalgame qu'elles avaient créé elles s'aperçurent que trop d'éléments s'opposaient à ce que la fusion de deux peuples si divers fût forte et salutaire. Incapable de durer, cette union loin de maintenir l'Equilibre, devait le rendre instable comme elle, et n'avait plus alors de raison d'être.

Qu'allait-on faire de cet héritage funeste de la maison de Bourgogne? Une conférence fut réunie à Londres (2) pour <«< concerter les nouveaux arrangements propres à combiner l'indépendance future de la Belgique avec les stipulations des traités, avec les intérêts et la sécurité des autres puissances et avec la conservation de l'Equilibre européen » (3). Tout d'abord, Palmerston déclara que la France ne devait rien gagner dans les provinces belges, « fût-ce un champ de choux » (3).

(1) V. dans la Revue des Deux Mondes, du 15 janvier 1900, l'état d'esprit des cabinets européens au lendemain de 1830. La Neutralité de la Belgique, par M. le duc de Broglie. Aussi Revue du 19 juillet 1900.

(2) Le 4 novembre 1830.

(3) Protocole de la séance du 20 décembre. V. de Clerq. IV. (4) Thureau-Dangin, op. cit., 1, 458.

D'ailleurs, elle se gardait bien de demander quelque chose et Talleyrand, qui la représentait, reprenait la politique de modération, qu'il avait inaugurée à Londres même, dans sa première mission diplomatique, en 1792.

Par sa position, la Belgique était la clef de voûte de l'ordre général; mais du moment qu'il était évident pour tout le monde, qu'elle ne pouvait assurer la paix, sous la domination d'une puissance quelconque, il fallait dans l'intérêt public reconnaître son indépendance et on n'hésita pas à le faire. L'inconvénient était, que le nouveau royaume se trouvait d'une remarquable faiblesse et offrait une proie facile aux convoitises de la France ou d'autres États; on imagina alors de le proclamer perpétuellement neutre, et en faisant garantir cette neutralité, on intéressa tout le continent à sa garde. « Les plénipotentiaires ont été unanimement d'avis que les cinq puissances devaient à leur intérêt bien compris, à leur union, à la tranquillité de l'Europe et à l'accomplissement des vues consignées dans leur protocole du 20 décembre, une manifestation solennelle, une preuve éclatante de la ferme détermination où elles sont de ne chercher dans les arrangements relatifs à la Belgique, comme dans toutes les circonstances qui pourront se présenter encore, aucune augmentation de territoire, aucune influence exclusive, aucun avantage isolé et de donner à ce pays lui-même ainsi qu'à tous les États qui l'environnent les meilleures garanties de repos et de sécurité. C'est par suite de ces maximes, c'est dans ces intentions salutaires, que les P. P. ont résolu d'ajouter aux articles précédents...

« A. 5. La Belgique... formera un Etat perpétuellement neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle » (1).

(1) Protocole no 11, 20 janvier 1831; v. aussi art. 6 de l'annexe A,

Cette solution, qui dans une certaine mesure se rapprochait de celle de 1815, avait déjà été signalée par Mirabeau, dès 1787. Dans ses Doutes sur la liberté de l'Escaut, il faisait remarquer que les Provinces-Unies trouveraient dans « l'indépendance de la Belgique, constituée sous forme de république fédérative, une barrière neutre plus efficace que la barrière militaire qu'elles avaient maintenue avec la perte de tant de sang et de tant d'or» (1).

Le 19 février 1831, les cinq puisssances déclarèrent que lorsqu'elles voyaient brisés les liens de la Belgique et de la Hollande « il leur appartenait d'atteindre encore l'objet qu'elles s'étaient proposé en les formant; il leur appartenait d'assurer à la faveur de combinaisons nouvelles cette tranquillité de l'Europe dont l'union de la Belgique et de la Hollande avait constitué une des bases » (2). C'est pourquoi, le plénipotentiaire Hollandais ne fut pas admis aux délibérations du concert européen; et le même protocole en donnait une raison remarquable qui renferme bien des enseignements : «< chaque nation a ses droits, était-il dit, mais l'Europe a aussi son droit; c'est l'ordre social qui le lui a donné v (3).

protocole 12, 27 janvier, et art. 6 du tr. 15 nov. 1834. (Dans de Clercq, op. cit., IV, 5 et 10.

(1) Œuvres, vol. V, p. 316-427, édit. 1821.— V. Wheaton, Hist., I, 347, note.

(2) Protocole 19, de Clercq, IV, 14.

(3) Ibid., de Clercq, IV, 15. On violait une disposition du Congrès d'Aix-la-Chapelle, portant que dans le cas où des réunions auraient pour objet des affaires spécialement liées aux intérêts d'autres Etats, elles n'auraient lieu que sous la réserve expresse du droit (pour ces Etats) d'y participer directement. »

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Les nationalités au Congrès de Vienne. Conciliation des nationalités et de l'Equilibre. Nécessité de satisfaire les aspirations nationales vivaces et persévérantes. L'Equilibre les modère. Politique de Napoléon III. Imprudence de l'Europe devant les agissements prussiens. L'épanouissement des nationalités fait rentrer l'Italie dans le concert des grandes puissances.

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ces provinces.

Les grandes puissances.- Reconstruction autri

chienne. La Russie en Asie-Mineure. L'Angleterre et Chypre.

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