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II

On ne peut pas répondre longuement, aux affirmations de Ganesco et de Justi sur la non-existence de l'Équilibre dans le cours des temps. C'est là une question de fait, une simple constatation, où la bonne foi seule joue un rôle et guide la pensée. Nous ne croyons pas utile d'insister sur les coalitions de l'Europe pour s'opposer à toute tentative de prépondérance soit de la part de Charles-Quint, soit de celle de Louis XIV ou de Napoléon. Nous sommes convaincus qu'une idée d'Équilibre a formé ces alliances générales contre des monarchies déjà trop puissantes et qui voulaient s'élever encore. Du reste, Ganesco et Justi ont reconnu bien vite que leurs observations étaient peu fondées; et, sans crainte de se contredire, ils se sont placés sur un autre terrain. Ils ont dit, que si dans l'histoire on a prononcé le mot d'Équilibre, on s'est borné au mot, on l'a traduit par des actes d'intérêt personnel, de jalousie, n'ayant aucun rapport avec la chose qu'on voulait expri

mer.

Il ne s'agit plus ici que d'une question de terminologie et il importe peu que ce soit sous un nom ou sous un autre qu'un système ait été appliqué; les conséquences seules sont à retenir.

Avant de les examiner, nous devons apprécier les critiques qui s'adressent à l'essence même du principe.

Lorsqu'on parle d'un système d'Equilibre, remarquent Laurent et Danewski, on élève un instinct à la hauteur d'une loi. Il faut s'entendre veut-on dire qu'actuellement l'Équilibre n'est autre chose encore que l'esprit de conservation, et qu'on ignore toujours ce qu'il est ou ce qu'il vaut. Il ne nous semble pas qu'il en soit ainsi. Sans doute

l'origine a été telle, mais à l'époque moderne, l'idée d'Équilibre prend chaque jour une allure plus scientifique et il y a même un organe, le Concert des grandes puissances, chargé de balancer méthodiquement et systématiquement les forces dans le monde. Reproche-t-on simplement au système en question d'être né par la force des choses; la critique alors ne se comprend plus, elle est vaine et peu scientifique, car il est inutile de critiquer la fatalité des choses.

Pour Klüber, au contraire, l'Équilibre est une pure idée des politiques. C'est encore là une affirmation à laquelle on ne peut répondre que d'un mot, en rappelant l'histoire qui semble la contredire. M. Cauchy trouve que « s'il y avait quelque avantage à changer les mots compris et acceptés dans la science, on pourrait... refuser le nom de « système » à l'Équilibre, car il n'est pas sorti et ne pouvait sortir d'aucun arrangement préconçu dans la pensée d'un homme, quelque vaste que fùt sa puissance ou son génie »> (1).

Mais, l'opinion de Klüber constitue-t-elle, à vrai dire, un reproche? Pourquoi une théorie est-elle coupable d'être une invention des hommes? La véritable critique est ailleurs, dans la conclusion qu'une pareille idée entraîne : l'Équilibre, inventé par les diplomates, n'est plus qu'une doctrine politique n'ayant aucun rapport avec le droit, et incapable d'assurer la sécurité des nations.

Il ne faut pas chercher dans notre théorie, ce qui ne s'y trouve pas, et nous n'essayerons pas de prouver qu'elle a tous les éléments d'une science. Elle n'est pas une science, étant une loi naturelle; les hommes d'État l'ont trouvée sous leur main, ils en ont abondamment

(1) Eugène Cauchy, Le Droit maritime international, t. II, p. 131.

usé, et satisfaits, à l'essai, des résultats qu'elle donnait, ils en ont fait un principe directeur de leur politique, auquel il confiait d'une manière de plus en plus suivie les destinées de leurs peuples. Mais tout ce qui n'est pas science est-il méprisable? Et le droit international peut-il se soutenir sans la politique, ou mieux sans une théorie, qui rende la politique moins chancelante, plus consciente de ses devoirs, et qui lui montre un but à atteindre, toujours le même. Car, si l'Equilibre n'a pas tous les. caractères d'une science, il s'en rapproche par certains côtés. Il n'y a de science que de ce qui est immuable, or Equilibre en soi ne change point; les éléments du problème restent les mêmes, les chiffres seuls diffèrent et voilà pourquoi la solution ne concorde pas et donne l'illusion de bases fragiles. «Bien que d'une nature avant tout politique, dit M. Pillet, ces questions (d'Equilibre entre États) ont un côté juridique que l'on a grand tort de laisser dans l'ombre. L'Équilibre entre États ou entre groupes d'États n'est pas le droit lui-même, mais il est la meilleure garantie du droit... L'Equilibre a été, il est vrai, fort décrié, et on a mis à sa charge bien des méfaits dus à la seule ambition. Mais le meilleur argument que l'on puisse donner en sa faveur est qu'il est en fait fort recherché par la politique, qui ne la politique, qui ne se dissimule point, qu'il constitue le meilleur garant du droit de chacun. Il existe done un véritable droit à l'Equilibre... en cette matière, chacun n'est jamais que le porte-parole de l'intérêt commun. » M. Pillet ajoute en note : << Faire de l'idée d'Équilibre la base du droit public européen est lui donner une compétence que ne saurait avoir un principe purement passif et neutre comme celui-là, l'idée d'Equilibre ne saurait nous enseigner quels sont les droits et les devoirs des nations. Mais, comme nous le disons au texte, l'Equilibre est précieux et doit être maintenu à titre de cons

tante garantie des droits de chacun. Et pour méconnaître son importance, il faut véritablement fermer les yeux à la lumière. N'est-ce pas la crainte d'une rupture d'Equilibre, qui sauve les derniers jours de l'Empire Ottoman, et si comme beaucoup le croient, nous sommes à la veille d'une dissociation de l'immense Empire Chinois, quels reproches ne mériterait pas une diplomatie qui traiterait cette affaire sans aucun souci de l'Equilibre entre les Puissances!... Cela ne veut pas dire que les peuples puissent l'invoquer pour se dépouiller les uns les autres. L'Equilibre peut être atteint par des moyens pleinement respectueux des droits de chacun. L'Equilibre nous présente un bon exemple d'état, à l'établissement et au maintien duquel tous les peuples ont un intérêt public égal » (4).

C'est donc une appréciation étrange que de regarder l'Équilibre comme une théorie peu sérieuse, parce qu'elle se rattache à la politique. Celle-ci n'est pas à ce point reprochable; en droit des gens, il faut se préoccuper d'elle et compter avec ses effets, si l'on ne veut pas émettre des spéculations vaines, auxquelles l'expérience ne répondrait pas.

(4) A. Pillet. Droits fondamentaux des Etats, Paris, 1899, p. 52 et 53 et note.

CHAPITRE II

LES COMPENSATIONS ET LES PARTAGES

I. Conséquences funestes de l'Equilibre.

Explications de Gentz sur la nécessité d'un Equilibre mathématique. Conséquences que tirent les adversaires de l'égalité matérielle des différents Etats et du maintien de cette égalité. Elle implique l'immobilité et les lois de l'histoire s'y opposent.

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L'Equilibre

sera donc détruit à chaque instant. Comment le rétablir? Difficultés d'appréciation. Critiques de Danewski, de Justi. d'Albert Sorel. On arrête les Etats dans leur évolution naturelle, en les empêchant de progresser. Si un Etat fait une conquête, demande de compensations de la part des autres Etats. Les petites nations serviront d'appoint et disparaîtront. L'expérience historique confirme ce raisonnement. L'œuvre du Congrès de Vienne. - L'Equilibre et la guerre.

II. La véritable cause des Partages.

L'Equilibre ne réclame pas une pondération réelle des forces. On doit arrêter l'agrandissement même légitime d'un Etat. Opinion de Fénelon L'intérêt particulier d'un Etat doit disparaître devant l'intérêt général. Raisons des médiatisations des traités de Westphalie. Les partages polonais. Rôle de l'Equilibre dans ces partages. Ils étaient rendus nécessaires par la situa

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tion de la Pologne et de l'Europe. L'Equilibre a atténué l'effet

de ces démembrements,

la paix générale.

De l'influence des traités de Vienne sur

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