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Sans parler de l'adhésion du Portugal, de la Suède et de l'Espagne aux actes que les cinq puissances avaient réglés entre elles seules, n'a-t-on pas vu tout récemment la Sardaigne et la Turquie introduites dans le grand conseil de l'Europe? Le consentement de l'Angleterre et de la France, à la présence de la Suisse dans une conférence qui aurait. jugé les réclamations de ce pays est une autre preuve de ce progrès vers l'égalité des puissances et de l'abdication de l'aristocratie diplomatique créée en 1815 » (1).

C'est peut-être aller un peu vite en besogne, mais pour certains esprits, c'est un terme qui sera certainement atteint, comme étant conforme à la nature des choses, à l'évolution qui s'est produite au sein de collectivités moins étendues que la communauté internationale; en d'autres termes, la phase de la soumission des groupes à une autorité qui commande, est une phase qui suit nécessairement la phase inorganique des groupes.

Si ces prévisions se réalisent, si elles sont la cause d'un état de tranquillité et d'harmonie, on sera redevable à l'Equilibre d'avoir ouvert la voie à cette constitution nouvelle du monde international. Il est vrai, qu'à ce moment notre théorie ne sera plus d'aucune utilité la justice seule tiendra désormais la balance, c'est dans ses attributions; mais cette perspective parait bien lointaine et bien idéale.

Est-ce à dire, comme le craignent Chrétien et Fiore, que l'égalité disparaitra avec l'avènement du gouvernement international de l'avenir? Non, elle se transformera seulement. La soumission à l'autorité n'empêche pas les citoyens d'un pays d'être juridiquement égaux devant cette autorité.

(1) E. Dottain, Revue contemporaine, op. cit., p. 139, 140.

le

L'ensemble des objections faites à la théorie d'Équilibre peut en somme se ramener à une seule critique démembrement, dit-on, est aux deux extrémités du système; pour l'établir et pour le rétablir; et seuls les États petits et faibles seront démembrés.

La théorie pure de l'Équilibre ne réclame pas systématiquement de pareilles spoliations et « c'est précisément une des tâches de l'Equilibre bien entendu de veiller à la conservation des petits Etats, pourvu qu'ils remplissent les conditions liées à l'indépendance; plus les petits États seraient absorbés par les grands, plus les collisions deviendraient fréquentes entre ces de: niers » (1).

On objectera peut-être qu'une théorie qui est susceptible de subir dans son sens et ses conséquences des déviations telles que nous en avons rencontrées dans l'histoire, est une théorie dangereuse. Mais il n'est pas de système, qui n'ait ses périls et ses écueils, et la question est de savoir, si d'autres principes sur lesquels on veut appuyer le droit international ne risquent pas eux aussi d'engendrer de périlleuses interprétations, et si, tout compte fait, la communauté internationale et les Etats faibles en particulier ne subissent ces abus que pour en éviter de plus grands encore qui résulteraient d'un abandon possible du principe de l'Equilibre. L'Europe n'a-t-elle pas cu à se plaindre contre nous du système des frontières naturelles; Napoléon ne disait-il pas que le Borysthène et la Pologne étaient la barrière naturelle de l'Empire? Le système des nationalités n'a-t-il pas démembré le Danemarck, et arraché l'indépendance au Hanovre et aux Etats Romains? Combien ces théories sont plus incertaines et ont des

(1) Heffter, op. cit., § 5.

Aussi Pradier-Fodéré, op. cit., t. I, § 286, et Carnazza Amari, Traité de Iroit intern., I, p. 435. Heeren, Manuel historique, 1, 5.

bases plus fragiles encore que celle de la Balance des forces.

De Carné se montre peu équitable, quand il cherche en vain les maux que l'Equilibre a épargnés au monde. « Il faut reconnaître, dit M. Pradier-Fodéré que ce système a produit quelques résultats dont les amis de la paix et de l'humanité ont à se féliciter: il a rendu plus' difficiles à établir et à maintenir les dominations viclentes; s'il n'a pas fermé l'ère des conquêtes, il a multiplié les obstacles sous les pas des conquérants. Si l'Equilibre, tel qu'on l'a conçu depuis deux siècles et demi, n'a empèché ni la prépondérance de la maison d'Autriche, ni celle de Louis XIV, ni celle de Napoléon Ier, il a du moins eu pour résultat que cette prépondérance, n'a pas été de longue durée (1)..... Ce n'est pas, il est vrai, le dernier mot de la perfection et les progrès successifs de la civilisation permettent d'espérer des moyens meilleurs pour assurer la libre existence des peuples,..... mais les résultats suffisent pour démontrer que le système de l'Equilibre, tel qu'il est pratiqué dans les temps modernes, ne saurait être considéré comme inutile et encore moins comme un mythe (2) ».

On a dit enfin, que n'étant pas le droit, il n'était même pas une garantie du droit et alors qu'il dirige en maître la politique des États, ceux-ci dans le même temps s'épuisent en préparatifs de guerre.

A cette objection, il y a deux réponses: La première est que la force est presque toujours la seule garantie du droit; en droit international, comme en droit national, c'est en définitive manu militari, qu'on fait respecter la

(1) Carnazza Amari et Gagern expriment la même idée dans les mêmes termes.

(2) Pradier-Fodéré, op. et loc. cit.

justice. Et c'est parce qu'il n'y a pas au dessus des nations de force supérieure, qu'il faut donner à toutes, égale puissance, pour que la loi commune qui les régit ne soit pas vaine. Puis le grand but des nations est d'éviter la guerre, et il faut pour cela, remarque de Carné, un système dans lequel «<les chances de paix seront en raison directe de la difficulté de la guerre et du peu d'intérêt qu'on y trouverait »> (1). De Carné était loin de songer àl'Équilibre, pourtant ce système en faisant augmenter parallèlement les forces des États, présente un sérieux obstacle aux grands conflits, «< car c'est la faiblesse qui appelle la guerre, une résistance générale serait la paix universelle » (2).

La seconde réponse explique la situation politique présente et les armements actuels de l'Europe. Elle découle de ce fait que nous avons essayé de mettre plusieurs fois en lumière, savoir que l'Equilibre n'a jamais été violé en vain, et qu'il porte en lui sa sanction: Là, est sa force et sa véritable garantie.

En d'autres termes, un État qui par lassitude ou arrière pensée coupable n'en empêche pas un autre d'établir sa prépondérance se verra lui-même menacé par elle. «< Toutes les faiblesses, dit M. Welschinger, toutes les lâchetés se payent tôt ou tard. Ainsi l'Autriche a contribué à écraser le Danemarck, elle a été punie par Sadowa. La France a laissé écraser l'Autriche, elle a été punie par Sedan. L'Europe a laissé écraser la France, elle a été punie

(1) Vues sur l'histoire..., II, 377. V. Pillet, suprà p. 238, 239. (2) E. de Girardin, La Paix. M. de Bülow au Reichstag, mars 1900 L'Empire a besoin d'une marine puissante pour tenir la paix.

Aussi, circulaire du comte Mouraview du 12124 août 1898... : « C'est pour mieux garantir la paix que (les Etats) ont développé dans des proportions inconnues jusqu'ici leurs forces militaires... » Sic, the Edinburgh Review...

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depuis plus de vingt ans, par des agitations et des troubles perpétuels, par une fièvre mortelle d'armements et par une folie de dépenses guerrières » (1).

CONCLUSION

Si l'évolution qui s'accomplit au sein de la communauté internationale suit un cours normal, elle doit dépasser même l'organisation si juridique que Bluntschli et Westlake rêvent déjà; elle doit atteindre une phase de coordination parfaite, où l'existence d'une autorité quelconque ne sera plus nécessaire. Mais si cet Eldorado se réalise, ce ne sera que dans un très lointain avenir; d'ici là il faut songer à conserver, à protéger la société qui se forme et qui « devient ». Comme les autres, cette société a besoin de lois pour vivre, pour règler les rapports des personnalités qui la composent ; ces lois, le droit international les fait connaître et il s'efforce de rechercher les moyens de les appliquer et de les sanctionner.

Lorsque la communauté des Etats aura atteint le second terme de son évolution, cette recherche n'aura plus de raison d'être, puisque par hypothèse, il existera alors un

(1) Bismarck (Paris, Alcan, 1900). Conclusion.

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