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LE VIEIL ARZEM O N. Il me refuferait une fimple audience?

Oui.

MEGATISE en pleurant.

LE VIEIL ARZEM ON. Sais-tu que Céfar m'admet en fa présence, Qu'il daigne me parler?

MEGATISE.

A toi?

LE VIEIL ARZEM O N.

Les plus grands rois,
Vers les derniers humains s'abaiffent quelquefois.
Ils redoutent des grands le féduifant langage,
Leur baffeffe orgueilleufe & leur trompeur hommage
Mais oubliant pour nous leur fombre majefté,
Ils aiment à fourire à la fimplicité.

Il reçoit de ma main les fruits de ma culture,
Doux préfens dont mon art embellit la nature.
Ce gouverneur fuperbe a-t-il la dureté

De rejetter l'hommage à fes mains présenté?
MEGA TISE.

Quoi! tu ne fais donc pas ce fatal homicide,
Ce meurtre affreux?

LE VIEIL ARZEM O N.

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Je fais qu'ici tout m'intimide.

Que l'inhumanité, la perfécution

Menacent mes enfans & ma religion.

C'est ce que tu m'as dit, & c'eft ce qui m'oblige A voir cet Iradan.... fon intérêt l'exige.

MEGA TISE.

Va, fui, n'augmente point par tes foins obftinés
La foule des mourans & des infortunés.

LE VIEIL ARZEM O N.

Quel difcours effroyable! explique-toi.

MEGATIS E.

Mon maître,

Mon chef, mon protecteur, eft expirant, peut-être.

LE

Lui!

VIEIL ARZEM ON.

MEGATIS E.

Tremble de le voir.

LE VIEIL ARZEM O N.
Pourquoi m'en détourner?

MEGA TISE.

Ton fils, ton propre fils vient de l'affaffiner.
VIEIL ARZEM ON.

LE

O foleil! ô mon Dieu! foutenez ma vieilleffe!
Qui? lui! ce malheureux, porter fa main traîtreffe
Sur qui!... pour un tel crime ai-je pu l'élever?

MEGATISE.

Voi quel tems tu prenais, rien ne peut le fauver.
LE VIEIL ARZEM O N.

O comble de l'horreur! hélas! dans fon enfance
J'avais cru de fes fens calmer la violence;

Il était bon, sensible, ardent, mais généreux.
Quel démon l'a changé ! quel crime ! ... ah malheureux,
MEGATIS E.

C'est moi qui l'ai perdu, j'en porterai la peine:
Mais que ta mort au moins ne fuive point la mienne.
Ecarte-toi, te dis-je.

LE VIEIL ARZEM O N.

Et qu'ai-je à perdre, hélas!
Quelques jours malheureux & voifins du trépas,
Ce foleil dont mes yeux appéfantis par l'âge,
Apperçoivent à peine une infidéle image,
Ces vains reftes d'un fang déja froid & glacé.
J'ai vécu, mon ami; pour moi tout eft paffé.
Mais avant de mourir je dois parler.

MEGATISE.

Demeure,

Refpecte d'Iradan la trifte & dernière heure.
LE VIEIL ARZEM O N.
Infortunés enfans, & que j'ai trop aimés,
J'allais unir vos cœurs l'un pour l'autre formés,
Ne puis-je voir Arzame?

MEGATIS E.

Hélas! Arzame implore La mort dont nos tyrans la menacent encore. LE VIEIL ARZEM O N.

Que je voye Iradan.

MEGA TISE.

Que ton zele empreffé

Respecte plus le fang que ton fils a verfé.

Atten, qu'on fache au moins, fi, malgré fa bleffure
Il reste affez de force encore à la nature,

Pour qu'il lui foit permis d'entendre un étranger.
LE VIEIL ARZEM ON.

·

Dans quel gouffre de maux le ciel veut nous plonger! MEGATISE..

J'entends chez Iradan des clameurs qui m'allarment. LE VIEIL ARZEM O N.

Tout doit nous allarmer.

MEGATISE.

Que mes pleurs te défarment. Mon père, éloigne-toi. Peut-être il eft mourant, Et fon frère eft témoin de fon dernier moment. Cache-toi, je viendrai te parler & t'inftruire.

LE VIEIL

Garde-toi d'y manquer.

ARZEM ON.

Dieu qui m'as fu conduire,

Dieu qui vois en pitié les erreurs des mortels,
Daigne abaiffer fur nous tes regards paternels.

SCENE I I.

IRADAN, le bras en écharpe, appuyé fur CESENE, MEGATISE.

CES EN E.

M Egatife aide-nous, donne un fiége à mon frère,

A peine il fe foutient, mais il vit; & j'espère
Que malgré fa bleffure & fon fang répandu,
Par les bontés du ciel il nous fera rendu.
IRADAN (à Mégatifte.)

Donne, ne pleure point.

CESENE ( à Mégatife.)

Veille fur cette porte,

Et prend garde furtout qu'aucun n'entre & ne forte.

(à Iradan.)

(Mégatife fort.) Prends un peu de repos néceffaire à tes fens, Laiffe-nous ranimer tes efprits languiffans.

Trop de foin te tourmente avec tant de faibleffe.

IRADA N.

Ah! Céfene, au prétoire on veut que je paraiffe!
Ce coup que je reçois m'a bien plus offenfé
Que le fer d'un ingrat dont tu me vois bleffé.
Notre ennemi l'emporte, & déja le prétoire
Nous ôtant tous nos droits, lui donne la victoire,
Le puiffant eft toûjours des grands favorisé.
Ils fe maintiennent tous, le faible est ecrafé:
Ils font maîtres des loix dont ils font interprêtes ;
On n'écoute plus qu'eux, nos bouches font muettes.
On leur donne le droit de juges fouverains;
L'autorité réfide en leurs cruelles mains.

Je perds le plus beau droit, celui de faire grace.
CESEN E.

Eh pourras-tu la faire à la farouche audace
Du fanatique obfcur qui t'ofe affaffiner?

Ah! qu'il vive.

IRADA N.

CESEN E.

A l'ingrat je ne puis pardonner.

Tu vois de notre état la gêne & les entraves;
Sous le nom de guerriers nous devenons esclaves.
Il n'eft plus tems de fuir ce féjour malheureux,
Véritable prifon qui nous retient tous deux.
Céfar eft arrivé : la tête de l'armée

Garde de tous côtés les chemins d'Apamée.
Il ne m'eft plus permis de déployer l'horreur
Que ces prêtres fanglans excitent dans mon cœur.
Et loin de te venger de leur troupe parjure,
De nager dans leur fang, d'y laver ta bleffure,
Avec eux malgré moi je dois me réunir;
C'est ton lâche affaffin que nous devons punir,
Et puifqu'il faut le dire, indigné de fon crime,
Aux facrificateurs j'ai promis la victime:
Ta fûreté le veut. Si l'ingrat ne mourait,
Il eft Guèbre, il fuffit, Céfar te punirait.
IRADA N.

Je ne fais; mais fa mort en augmentant mes peines,
Semble glacer le fang qui refte dans mes veines.

SCENE III.

IRADAN, CESENE, ARZAME.
ARZAME (Je jettant à genoux.)

D

Ans ma honte, feigneur, & dans mon desespoir J'ai dû vous épargner la douleur de me voir. Je le fens; ma présence, à vos yeux téméraire, Ne rappelle que trop le forfait de mon frère: L'audace de fa foeur eft un crime de plus.

CESENE ( la relevant. )

Ah! que veux-tu de nous par tes pleurs fuperflus?
ARZAM E.

Seigneur, on va traîner mon cher frère au fupplice,
Vous l'avez ordonné; vous lui rendez juftice;
Et vous me demandez ce que je veux!... La mort,
La mort, vous le favez.

CESEN E.

Va, fon funefte fort
Nous fait frémir affez dans ces momens terribles.
N'ulcère point nos cœurs, ils font affez fenfibles.
Eh bien, je veillerai fur tes jours innocens;

C'est tout ce que je puis, compte fur mes fermens.
ARZAM E.

Je vous les rends; feigneur, je ne veux point de grace.
I n'en veut point lui-même; il faut qu'on fatisfaffe
Au fang qu'a répandu fa déteftable erreur:
Il faut que devant vous il meure avec fa foeur.
Vous me l'aviez promis; votre pitié m'outrage.
Si vous en aviez l'ombre, & fi votre courage,
Si votre bras vengeur fur fa tête étendu
Tremblait de me donner le trépas qui m'eft dû,
Ma main fera plus prompte & mon efprit plus ferme.
Pourquoi de tant de maux prolongez-vous le terme ?
Deux Guèbres, après tout, vil rebut des humains,
Sont-ils de quelque prix aux yeux de deux Romains?
CESENE

Oui, jeune infortunée, oui, je ne puis t'entendre,

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