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C'eft c) Bouchardon qui fit cette figure;
Et cet argent fut poli par Germain. d)
Des Gobelins l'aiguille & la teinture,
Dans ces tapis furpaffent la peinture.
Tous ces objets font vingt fois répétés,
Dans des trumeaux tout brillans de clartés.
De ce fallon je vois par la fénêtre,
Dans des jardins, des myrtes en berceaux;
Je vois jaillir les bondiffantes eaux.
Mais du logis j'entens fortir le maître.
Un char commode, avec graces orné,
Par deux chevaux rapidement traîné,
Paraît aux yeux une maifon roulante,
Moitié dorée & moitié transparente;
Nonchalamment je l'y vois promené :
De deux refforts la liante fouplesse
Sur le pavé le porte avec molleffe.
Il court au bain : les parfums les plus doux
Rendent fa peau plus fraiche & plus polie;
Le plaifir preffe, il vole au rendez-vous,
Chez Camargot, chez Goffin, chez Julie.
Il eft comblé d'amour & de faveurs.
Il faut fe rendre à ce palais magique,
Où les beaux vers, la danfe, la mufique,
L'art de tromper les yeux par les couleurs,
L'art plus heureux de féduire les cœurs,
De cent plaifirs font un plaifir unique.
Il va fifler quelque opéra nouveau,
Ou malgré lui court admirer Rameau.
Allons fouper. Que ces brillans fervices,
Que ces ragoûts ont pour moi des délices!
Qu'un cuifinier eft un mortel divin!
Cloris, Eglé me verfent de leur main,
D'un vin d'Aï, dont la mouffe preffée,
De la bouteille avec force élancée,
Comme un éclair fait voler fon bouchon,
Il part, on rit, il frappe le plafond.
De ce vin frais l'écume pétillante

c) Fameux fculpteur né à Chaumont en Champagne.

d) Excellent orfêvre dont les deffeins & les ouvrages font du plus grand goût,

De nos Français eft l'image brillante.
Le lendemain donne d'autres defirs,
D'autres foupers & de nouveaux plaifirs.
Or maintenant, monfieur du Télémaque,
Vantez-nous bien notre petite Ithaque,
Votre Salente & vos murs malheureux,
Où vos Cétois, triftement vertueux
Pauvres d'effet, & riches d'abstinence,
Manquent de tout pour avoir l'abondance.
J'admire fort votre ftile flatteur,

Et votre profe, encor qu'un peu traînante.
Mais, mon ami, je confens de grand cœur,
D'être feffé dans vos murs de Salente,
Si je vais là pour chercher mon bonheur.
Et vous, jardin de ce premier bon-homme,
Jardin fameux par le Diable & la pomme,
C'est bien en vain que triftement féduits,
Huet, Calmet, dans leur favante audace,
Du paradis ont recherché la place.
Le paradis terreftre eft où je fuis. e)

e) Les curieux d'anecdotes feront bien aifes de favoir que ce badinage, non-feulement très innocent, mais dans le fond très utile, fut compofé dans l'année 1736. immédiatement après le fuccès de la tragédie d'Alzire. Ce fuccès anima tellement les ennemis littéraires de l'auteur, que l'abbé Desfontaines alla dénoncer la petite plaifanterie du Mondain à un prêtre nommé C...., qui avait du crédit fur l'efprit du cardinal de Fleuri. Desfontaines falfifia l'ouvrage, y mit des vers de fa façon comme il avait fait à la Henriade. L'ouvrage fut traité de fcandaleux, & l'auteur de la Henriade, de Mérope, de Zaire, fut obligé de s'enfuir de fa patrie. Le roi de Pruffe lui offrit alors le même afyle qu'il lui a donné depuis ; mais l'auteur aima mieux alors aller retrouver fes amis dans fa patrie. Nous tenons cette anecdote de la bouche même de Mr. de Voltaire.

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LETTRE «)

DE MONSIEUR DE MELON, ci-devant fecrétaire du régent du royaume, A MADAME LA COMTESSE DE VERRUE, SUR L'APOLOGIE DU LUXE.

J'Ai lu, madame, l'ingénieuse apologie du luxe.

Je regarde ce petit ouvrage comme une excellente leçon de politique, cachée fous un badinage agréable. Je me flatte d'avoir démontré dans mon Efai politique fur le commerce

com

bien ce goût des beaux-arts, & cet emploi des richeffes, cette ame d'un grand état, qu'on nomme luxe, font néceffaires pour la circulation de l'efpèce & pour le maintien de l'industrie; je vous regarde, madame, comme un des grands exemples de cette vérité. Combien de familles de Paris fubfiftent uniquement par la protection que vous donnez aux arts? b) Que l'on ceffe d'aimer les tableaux, les eftampes, les curiofttés en toute forte de genre; voilà vingt mille hommes au moins, ruinés tout-d'un-coup dans Paris, & qui font forcés d'aller chercher de l'emploi chez l'étranger. Il eft bon que dans un canton Suiffe on faffe des loix fomptuaires, par la raifon qu'il ne faut pas qu'un pauvre vive comme un riche. Quand les Hollandais ont commencé leur commerce, ils avaient befoin d'une extrême frugalité; mais à préfent que c'est la nation de l'Europe qui a le plus d'argent, elle a besoin de luxe, &c.

a) Cette lettre fut écrite dans le tems que la piéce du Mondain parut en 1736.

b) Madame la comteffe de Verrue, mère de madame la princeffe de Carignan, dépenfait cent mille francs par an en curiofités: elle s'était formé un des beaux cabinets de l'Europe en raretés & en tableaux. Elle raffemblait chez elle une fociété de philofophes, auxquels elle fit des legs par fon teftament. Elle mourut avec la fermeté & la fimplicité de la philosophie la plus intrépide.

DEFENSE

DU MONDAIN,

O U

L'APOLOGIE DU LUXE.

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Table hier, par un triste hazard,
J'étais affis près d'un maître caffard,
Lequel me dit : Vous avez bien la mine
D'aller un jour échauffer la cuifine
De Lucifer; &\moi, prédestiné,

Je rirai bien quand vous ferez damné.
Damné! comment ? pourquoi? Pour vos folies.
Vous avez dit en vos œuvres non pies,
Dans certain conte en rimes barbouillé,
Qu'au paradis Adam était mouillé ;
Lorfqu'il pleuvait fur notre premier père,
Qu'Eve avec lui buvait de belle eau claire,
Qu'ils avaient même, avant d'être déchus,
La peau tannée & les ongles crochus.
Vous avancez dans votre folle yvresse,
Prêchant le luxe, & vantant la molleffe,
Qu'il vaut bien mieux, ô blafphêmes maudits !
Vivre à préfent qu'avoir vécu jadis.
Parquoi, mon fils, votre mufe polluë
Sera rôtie, & c'eft chofe concluë.

Difant ces mots, fon gofier altéré

Humait un vin, qui d'ambre coloré,
Sentait encor la grape parfumée,

Dont fut pour nous la liqueur exprimée.

Un rouge vif enluminait fon teint;

Lors je lui dis: Pour DIEU, monfieur le faint,
Quel eft ce vin? d'où vient-il, je vous prie?
D'où l'avez-vous? Il vient de Canarie:

C'est un nectar, un breuvage d'élû;

4

DIEU nous le donne, & DIEU veut qu'il foit bû.
Et ce caffé, dont, après cinq fervices,

Votre eflomac goûte encor les délices?
Par le feigneur il me fut deftiné.

Bon. Mais avant que DIEU vous l'ait donné,
Ne faut-il pas que l'humaine industrie
L'aille ravir aux champs de l'Arabie?
La porcelaine & la frêle beauté
De cet émail à la Chine empaté,
Par mille mains fut pour vous préparée,
Cuite, recuite, & peinte & diaprée:
Cet argent fin, cifelé, gaudronné;
En plat, en vafe, en foucoupe tourné,
Fut arraché de la terre profonde,

Dans le Potofe, au fein d'un nouveau monde.
Tout l'univers a travaillé pour vous,

1

Afin qu'en paix, dans votre heureux couroux,
Vous infultiez, pieux atrabilaire,

Au monde entier épuifé pour vous plaire.
O faux dévot, véritable mondain,
Connaiffez-vous; & dans votre prochain
Ne blâmez plus ce que votre indolence
Souffre chez vous avec tant d'indulgence.
Sachez furtout que le luxe enrichit
Un grand état, s'il en perd un petit.
Cette fplendeur, cette pompe mondaine,
D'un régne heureux eft la marque certaine.
Le riche est né pour beaucoup dépenser,
Le pauvre est fait pour beaucoup amaffer.
Dans ces jardins regardez ces cafcades,
L'étonnement & l'amour des nayades;
Voyez ces flots, dont les napes d'argent
Vont inonder ce marbre blanchiffant;
Les humbles prés s'abreuvent de cette onde;
La terre en eft plus belle & plus féconde.
Mais de ces eaux fi la fource tarit,
L'herbe eft féchée & la fleur fe flétrit.
Ainfi l'on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l'abondance:
Le goût du luxe entre dans tous les rangs ;
Le pauvre y vit des vanités des grands:
Et le travail gagé par la molleffe,

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