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conforme à cette juste fierté, si naturelle à un sexe dont elle est la défense! Personne n'a su mieux que Racine faire parler les femmes comme il leur convient de parler.

MITHRIDATE.

C'est donc votre réponse? et sans plus me complaire,
Vous refusez l'honneur que je voulais vous faire !
Songez-y bien; j'attends, pour me déterminer.....

MONIM E.

Non, Seigneur, vainement vous croyez m'étonner.
Je vous connais; je sais tout ce que je m'apprête;
Et je vois quels malheurs j'assemble sur ma tête.
Mais le dessein est pris : rien ne peut m'ébranler.
Jugez-en puisqu'ain‹i je vous ose parler,
Et m'emporte au-delà de cette modestie

Dont, jusqu'à ce moment, je n'étais point sortie.
Vous vous êtes servi de ma funeste main,
Pour mettre à votre fils un poignard dans le sein.
De ses feux innocens j'ai trahi le mystere;

Et quand il n'en perdrait que l'amour de son pere,
Il en mourra, Seigneur : ma foi ni mon amour
Ne seront point le prix d'un si cruel détour.
Après cela, jugez: perdez une rebelle:

Armez-vous du pouvoir qu'on vous donna sur elle.
J'attendrai mon arrêt; vous pouvez commander.
Tout ce qu'en vous quittant j'ose vous demander,
Croyez (à la vertu je dois cette justice)
Que je vous tralis seu'e, et n'ai point de complice;
que d'un plein succès vos vœux seraient suivis
Si j'en croyais, Seigneur, les vœux de votre fils.

Et

pas

Ce rôle me paraît, dans son genre, un véritable chef-d'œuvre : il y en a sans doute d'un plus vif intérêt et d'un effet plus entraînant. Il y y a des sions plus fortes et des situations plus déchirantes; mais je ne connais point de caractere plus parfaitement nuancé. Le soin qu'a eu le poëte de sup poser que Monime et Xipharès s'aimaient avant que le toi de Pont eût pensé à la mettre au rang de ses épousés, écarte de ces deux amans jusqu'à l'ombre du reproche. La marche de la pièce est graduée avec árt, par les alternatives d'espérance et de crainte que fait naître d'abord la fausse nouvelle de la mort de Mithridate, ensuite l'offre simulée d'unir Monime à Xipharès; enfin le périt des deux amans, dont l'un est menacé de la ven geance de son pere, et l'autre est prête à boite le poison que son époux lui envoie. Le dénoûment est régulier et agréable au spectateur : Mithridate meurt en héros, et rend justice, en mourant, à son fils et à Monime. Tous deux sont unis, et à l'égard de Pharnace, si sa punition est différée, on sait qu'elle est sûre, et l'auteur s'est fié avec raison à la connaissance que tout le monde a de cette histoire, lorsqu'il a fait dire à Mithridate

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse:
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

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Le.commentateur de Racine, que j'ai déjà cité, s'exprime ainsi sur Mithridate. « Le défaut essen» tiel de cette piece est dans l'intrigue, où, quoi qu'on en puisse dire, il se trouve deux intérêts » fort distincts; le premier est l'amour de Xipha» rès et de Monime, l'autre est la haine de Mi"thridate pour les Romains et les projets de sa » vengeance. Racine, il est vrai, à su fondre ces deux intérêts avec un art qui n'appartient qu'à » lui; mais en admirant l'adresse du poëte, on » est forcé de convenir que les projets de Mithri» date devraient faire l'unique intérêt de cette piece, et que cet intérêt ne commence qu'au » troisieme acte, où l'on oublie alors les amours » de Xipharès et de Monime. »

دو

Quoi que le commentateur en puisse dire, on est forcé de convenir que ces observations critiques sont autant de méprises bien lourdes. Jamais la haine de Mithridate pour les Romains n'a pu faire l'intérêt d'une piece; elle est seulement un des caracteres du héros : c'est comme si l'on disait que la haine de Pharasmane pour les Romains doit faire l'intérêt de la tragédie de Rhadamiste. Jamais le projet de porter la guerre en Italie n'a pu faire l'intérêt d'une piece. L'intérêt tient nécessairement au sujet, à l'action. Or, la haine

pour un peuple, un projet de guerre contre ce peuple, ne sont ni un sujet ni une action. Le sujet est l'amour intéressant et vertueux de Monime et de Xipharès, et le nœud de ce sujet, le nœud de l'intrigue est la jalousie de Mithridate. Comment concevoir que sa haine pour les Romains , que l'idée d'une expédition incertaine, éloignée, puisse former un intérêt à part? Elle en répand sur le personnage de Mithridate, qu'elle releve de son abaissement et de sa défaite; mais depuis quand le simple développement d'un caractere peut-il former un intérêt distinct, à moins qu'il ne tienne à une seconde action ? Et cette seconde action, où est-elle ? Il faudrait qu'elle existât pour faire oublier l'amour de Xipharès et de Monime, comme le dit le commentateur; mais cette scene le fait si peu oublier, qu'elle commence le péril des deux amans dont elle découvre l'intelligence. Cette scene, avec tant d'autres mérites, a encore celui de nouer plus fortement l'intrigue, comme il doit toujours arriver dans un troisieme acte cette scene finit par ces vers de Pharnace:

J'aime. L'on vous a fait un fidele récit.

Mais Xipharès, Seigneur, ne vous a pas tout dit.
C'est le moindre secret qu'il pouvait vous apprendre ;
Et ce fils si fidele a dû vous faire entendre

Que, des mêmes ardeurs dès long-tems enflammé,
Il aime aussi la reine, et même en est aimé.

Ce mot terrible, qui porte la jalousie et la rage dans le cœur de Mithridate, et jette dans un si grand danger Monime et Xipharès, ce mot est le dernier d'une scene qui, selon le commentateur, fait oublier leur amour! En vérité, l'on ne sort pas d'étonnement de tout ce qu'on imprime aujourd'hui sur les auteurs classiques du siecle passé et du nôtre. Il est dit dans le Dictionnaire historique, que j'ai cité à propos d'Andromaque, que Mithridate est une magnifique épithalame. On ajoute qu'un homme d'esprit a comparé l'intrigue de cette piece à celle de l'Avare. Cet homme d'esprit, c'est Voltaire, et vous avez vu comme il les a comparées.

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