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chez lui Mithridate tout entier, son implacable haine pour les Romains, sa fermeté et ses ressources dans le malheur, son audace infatigable, sa dissimulation profonde et cruelle, ses soupçons, ses jalousies, ses défiances, qui l'armerent si souvent contre ses proches, ses enfans, ses maîtresses. Il n'y a pas jusqu'à son amour pour Monime qui ne soit conforme, dans tous les détails, à ce que les historiens nous ont appris. Les mêmes juges qui louaient Corneille si mal-à-propos d'avoir rendu l'amour héroïque dans toutes ses pieces, n'ont pas voulu faire grace à celui de Mithridate; ils l'ont regardé comme avilissant pour un héros, tant l'injustice et l'inconséquence semblent attachées à la plupart des jugemens que l'on a portés sur ces deux poëtes. Il n'en est pas moins vrai que Racine, en peignant la passion tyrannique et jalouse du roi de Pont pour Monime, a conservé un des traits. caractéristiques sous lesquels les Anciens nous ont représenté Mithridate. On sait que plus d'une fois, au moment d'un danger ou d'une défaite, il fit périr celles de ses femmes qu'il aimait le plus, de peur qu'elles ne tombassent au pouvoir du vainqueur. C'est à ces ordres sanguinaires, à cette jalousie féroce, qu'on a reconnu dans tous les tems ce qu'est l'ainour dans le cœur des despotes asiatiques. Celui de Mithridate, non-seulement a le

mérite d'être conforme aux mœurs et à l'histoire, il est encore tel que l'auteur de l'Art poétique desire qu'il soit dans une tragédie :

Et que l'amour, souvent de remords combattu,
Paraisse une faiblesse et non une vertu.

Avec quelle force Mithridate se reproche le penchant malheureux qui l'entraîne vers Monime, à l'instant où sa défaite le force de chercher un asyle dans une de ses forteresses du Bosphore ! et combien de circonstances se réunissent pour rendre excusable cette passion qui, par elle-même, n'est pas faite pour son âge ! C'est dans le tems de ses prospérités qu'il a envoyé le bandeau royal à Monime; et depuis ce tems la guerre l'a toujours éloigné d'elle. Il était alors glorieux et triomphant; il est malheureux et vaincu.

Ses ans se sont accrus, ses honneurs sont détruits.

C'est dans un semblable moment qu'il est cruel de perdre ce qu'on aimait, parce qu'alors cette perte semble une insulte faite au malheur, et la derniere injure de la fortune, qui devient plus sensible après toutes les autres. On est porté à excuser, à plaindre un roi fugitif, occupé de vengeance et de haine, et allant malgré lui demander des consolations à l'amour, qui met le comble à tous ses

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maux. C'est sous ce point de vue que le poëte a eu l'art de nous montrer Mithridate. Quand ce prince s'aperçoit avec quelle triste résignation Monime se prépare à le suivre à l'autel, cette âme altiere et aigrie se révolte à la seule idée de ce qui peut ressembler au mépris.

Ainsi, prête à subir un joug qui vous opprime,
Vous n'allez à l'autel que comme une victime;
Et moi, tyran d'un cœur qui se refuse au mien,
Même en vous possédant, je ne vous devrais rien!
Ah Madame! est-ce là de quoi me satisfaire ?
Faut-il que désormais, renonçant à vous plaire,
Je ne prétende plus qu'à vous tyranniser?
Mes malheurs, en un mot, me font-ils mépriser ?
Ah! pour tenter encor de nouvelles conquêtes,
Quand je ne verrais pas des routes toutes prêtes,
Quand le sort ennemi m'aurait jeté plus bas,
Vaincu, persécuté, sans secours, sans États
Errant de mers en mers, et moins roi que pirate,
Conservant pour tout bien le nom de Mithridate,
Apprenez que, suivi d'un nom si glorieux,
Partout de l'Univers j'attacherais les yeux;

,

Et qu'il n'est point de rois, s'ils sont dignes de l'être,
Qui sur le trône assis, n'enviassent peut-être,
Au dessus de leur gloire, un naufrage élevé,
Que Rome et quarante ans ont à peine achevé.

C'est avec ces mouvemens qui peignent si bien

l'âme et le caractere, que l'on donne encore aux

faiblesses le ton de la grandeur; et le

spectateur les pardonne encore plus volontiers à celui qui sait en. rougir, qui sait dire comme Mithridate :

O Monime! ô mon fils! inutile courroux !

Et vous, heureux Romains! quel triomphe pour vous,
Si vous saviez ma honte, et qu'un avis fidelle
De mes lâches combats vous portât la nouvelle!
Quoi des plus cheres mains craignant les trahisons,
J'ai pris soin de m'armer contre tous les poisons;
J'ai su, par une longue et pénible industrie,
Des plus mortels venins prévenir la furie :

Ah! qu'il cût mieux valu, plus sage et plus heureux
Et repoussant les traits d'un amour dangereux,
Ne pas laisser remplir d'ardeurs empoisonnées
Un cœur déjà glacé par le froid des années!

On a fait à Mithridate le même reproche qu'à Néron, de se servir, contre Monime, d'un moyen aussi peu fait pour la tragédie, que celui dont se sert Néron contre Junie. Je réponds à la même objection par la même apologie : la scene est tragique, puisqu'elle produit de la terreur. Il y a même ici une raison de plus, prise dans la dissimulation habituelle, qui était une des qualités particulieres à Mithridate. Il soutient cette même dissimulation lorsqu'il redouble de caresses pour Xipharès à l'instant où il médite de s'en venger; et le poëte a soin de faire dire à Xipharès, qu'il reconnaît

Mithridate à ses artifices ordinaires, et qu'il est perdu puisque son pere dissimule avec lui.

Reconnaissons avec Voltaire, ce juge si sévere et si éclairé des convenances théâtrales, que si la tragédie et la comédie ne peuvent jamais se ressembler par le ton et les effets, elles peuvent se rapprocher quelquefois par les moyens de l'intrigue. Il en donne une preuve bien frappante en faisant voir les rapports qui se trouvent entre l'intrigue de l'Avare et celle de Mithridate.

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Harpagon et le roi de Pont sont deux vieillards » amoureux; l'un et l'autre ont leur fils pour rival; » l'un et l'autre se servent du même artifice pour » découvrir l'intelligence qui est entre leur fils et » leur maîtresse, et les deux pieces finissent par le » mariage du jeune homine. Moliere et Racine ont également réussi en traitant ces deux intrigues. » L'un a amusé, a réjoui, a fait rire les honnêtes » gens; l'autre a attendri, a effrayé, a fait verser » des larmes. Moliere a joué l'amour ridicule d'un » vieil avare: Racine a représenté les faiblesses » d'un grand roi et les a rendues respectables. »

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Mais pourquoi, parmi nous, deux choses aussi différentes que la tragédie et la comédie ont-elles ce point de ressemblance qu'elles n'ont jamais chez les Anciens? Voltaire ne pouvait pas l'ignorer; mais voulu le dire: c'est parce apparemment il n'a pas

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