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Je finis en vous félicitant d'être tranquille chez vous; au train que les choses devront nécessairement prendre, nous voilà cloués pour longtemps à Versailles

Je suis très inquiet, d'après ce qu'on m'a marqué d'une seconde attaque contre M. de Laubrières, du sort de mes petites filles. Se sont-elles trouvées exposées dans les bagarres? Faites-moi le plaisir de me rassurer sur leur compte.

VI

Versailles, 12 mai 1789.

Les séances se continuent toujours en ordres séparés et sans que, dans aucune chambre, il se termine facilement la plus petite motion; l'esprit de méfiance dans lesquels sont les Ordres vis-à-vis les uns des autres, les individus même de chaque ordre, tiendront encore quelque temps en suspens toute opération même conciliatoire.

Dans les Communes, la séance du samedy s'est passée à continuer l'appel des sénéchaussées sur le règlement provisoire et le changement de la salle pour la disposer en amphithéâtre. Le résultat des opinions, à la pluralité, a été d'adopter une police provisoire qui ne serait écrite que pour soulager la mémoire du Doyen. Quant aux changements de la salle, résolution d'attendre la réunion des trois Ordres pour la demander. Ainsi, comme vous le voyez, voilà deux jours passés à avoir des suffrages sur des motions peu importantes. Ce n'est cependant pas un temps totalement perdu. Nous avons entendu

matin, avant la séance, le serait, le lendemain pour le repos de l'âme de M. Héliand et avait chargé la députation du Maine d'aller en informer les Communes. M. le cardinal de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen, président de l'Ordre du Clergé, avait nommé pour assister à la sépulture MM. l'évêque du Mans, l'évêque de Lydda. Fougère, curé de Saint-Laurent de Nevers, Vallet, curé de Saint-Louis de Gien, Goulard, curé de Roanne, et de Castellas, doyen du chapitre de Lyon. Le service fut célébré dans l'église Saint-Louis. Les coins du drap mortuaire étaient portés par deux membre du Clergé, un de la Noblesse et un du Tiers-Etat.

plusieurs discours bien faits, les uns pour agir, les autres pour demeurer tranquilles. On s'est aussi exercé à la lutte, et on a présenté l'esquisse de talents qui deviendront plus importants lorsque les matières exigeront plus de développements et inspireront des discours plus inté

ressants.

M. de Volney a parlé sur cette motion, il n'avait pas son thème bien disposé. Il n'a pu donner à ses idées tout le développement et la clarté possibles. M. de Mirabeau a aussi péroré, même avec impétuosité et avec feu, quoique la matière n'en fût pas très susceptible.

La séance a été prorogée au lundi 10. Elle a commencé par une messe pour M. Héliand qu'a célébrée M. le cardinal de la Rochefoucault, doyen et président provisoire de l'Eglise, à laquelle les Ordres ont assisté. On vota des remerciments à faire à l'assemblée du Clergé et, pour ne pas se contredire, les députés du Maine, en leur nom seul, se chargèrent de les faire et à raison seulement de la célébration de la messe.

M. Malouet proposa, pour sortir de l'état d'inertie, que les Communes se constituassent en grand comité; que dans cet état, qui n'indique point une chambre, un ordre distinct, ainsi qu'il se pratique en Angleterre, lorsque la chambre basse ne veut point agir comme Parlement, comme corps constitutif, on nommât des commissaires pour aviser aux moyens de conciliation avec les deux Ordres privilégiés. On est allé aux voix sur cette motion et, sur l'appel commencé, d'autres proposèrent que chaque baillage ne fût pas astreint à voter sur cet objet, mais qu'il fût permis de proposer ce qu'il jugerait convenable. Cette facilité a donné ouverture à plusieurs discours, très inutiles au fond, bons seulement pour satisfaire les plus pressés de jaser. Le gros des opinions s'est attaché à la motion. Quelques-uns ont été pour la motion, le plus grand nombre pour attendre: 1° une liste imprimée; 2o la députation de Paris; 3° les discours. L'appel n'est pas encore fini à la séance d'aujourd'hui mardi.

Hier la séance fut ralentie par la distribution d'un écrit de M. l'évêque de Langres', fort bien fait pour prouver la nécessité de sortir de l'embarras que doivent éprouver les Ordres pour se concilier sur l'opinion par tête ou par ordre, la nécessité d'adopter un parti moyen, l'avantage de faire deux chambres, la première composée des deux Ordres privilégiés réunis, l'autre des Communes. Cet écrit est censuré. On y voit, dit-on, l'énigme. C'est pour ôter l'influence des curés qui se perdrait dans la chambre baute par la réunion du Haut-Clergé à la noblesse. Cependant, avec plusieurs modifications au plan de l'évêque, s'il est impossible de faire sortir la Noblesse de sa résolution de rester en Ordre séparé, résolution non encore sanctionnée, mais préjugée, il faudra en revenir à ce plan modifié ou, comme il faudra bien finir, convenir d'opérer séparément, mais en remettant ce point à fixer après que tous les points sur lesquels on est d'accord seront sanctionnés.

les

murs,

Demain mercredy arriva la députation de Paris hors dont est M. Target?. Demain paraîtront les discours dont je vous enverrai un exemplaire. Demain paraîtra la liste. Trois choses attendues pour prendre enfin quelque parti.

Nous avons été voir aujourd'hui M. le Garde des Sceaux pour le prier de faire passer les ordres au Mans pour nommer un député à la place de M. Héliand et trois suppléants en cas d'événement. Il doit proposer ce soir au Comité cet objet, et il a promis d'agir d'après la décision, même d'éviter, s'il y en a moyen, le transport. des électeurs au Mans.

J'attendrai deux ordinaires pour vous annoncer ce qu'auront produit nos séances de cette semaine.

1. César-Guillaume de la Luzerne.

2. Avocat au Parlement, membre de l'Académie française.

VII

Versailles, 15 mai.

Nous avons eu hier, jeudy 14, une séance vraiment intéressante, quoiqu'elle n'ait encore rien produit. Celle du mercredy 13, avait été tumultueuse. On n'avait pu s'entendre. Deux députations de la Noblesse et du Clergé avaient trouvé l'assemblée dans un vrai désordre. Il fut. augmenté encore par la distribution des discours de l'Ouverture. Tous les députés se jettèrent à la fois sur le Bureau. Le Doyen fut renversé par terre. Je n'assistais pas heureusement à cette séance, dont tous nos Messieurs revinrent le cœur navré. Il ne fut pris d'autre parti que de se diviser provisoirement en 18 gouvernements qui nommeraient chacun un député pour assister le Doyen, former un corité de police, ce qui se fit dans l'après-diner.

Les deux députations de la Noblesse et du Clergé étaient pour instruire les Communes que les deux Ordres avaient nommé des commissaires pour aviser avec les Ordres aux moyens de vérifier les pouvoirs. Je ne peux que vous rendre imparfaitement les termes des deux députations, je les copierai pour vous les faire passer.

Hier les commissaires des différents gouvernements ayant pris place autour du Bureau, M. Rabaud de SaintEtienne', protestant, fit une motion tendante à ce que les Communes, avant de se constituer, nommassent des commissaires qui délibéreraient entre eux sur les moyens de conciliation qu'on pourrait employer pour engager les membres privilégiés à se réunir dans la salle des Etats, sans que les commissaires pussent, en aucune manière, engager la question de l'opinion par tête ou par ordre, ni préjudicier en rien à l'indivisibilité des Etats.

Il appuya la nécessité de cette motion sur les motifs

1. Député de la sénéchaussée de Nimes et Beaucaire.

les plus pressants qu'avaient les Communes de s'environner de l'opinion publique, de prouver qu'un entêtement déplacé ne motivait pas sa résolution. Il parla comme un ange pour faire passer dans l'esprit des Communes les principes d'honnêteté, d'égards, de prudenco, que devaient employer les Communes avant ceux de la fermeté, dont sans doute, en définitif, elles ne devaient pas se départir. I! fut vivement applaudi.

M. Le Chapellier, avocat de Rennes, s'éieva pour s'opposer à la motion et proposa, contre celle de M. Rabaut, une déclaration que devait faire la Commune qu'en vain depuis dix jours elle attendait dans la salle des Etats les autres membres de l'Assemblée, que déjà la Noblesse avait, par une délibération, arrêté qu'elle se regardait comme légalement constituée en ordre séparé; que si le Clergé ne s'était pas expliqué aussi nettement, évidem. ment son retard à se réunir annonçait ses vues de former aussi un ordre distinct; que d'après ces motifs les Communes interpellaient les deux classes privilégiées de se rendre dans la salle des Etats, leur déclarant que leur refus serait dénoncé à la Nation, etc.....; la déclaration imprimée, etc.... Il appuya sa motion de la nécessité de pas perdre plus longtemps des moments précieux, que la fermeté seule amènerait les deux classes séparées une réunion.

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On alla aux voix. MM. Garat frères parlèrent fortement en faveur de la motion de M. Rabaut, prouvèrent d'une manière lumineuse que la démarche des commissaires conciliateurs était indispensable avant d'en venir

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une déclaration qui ne ferait qu'accélerer une scission effrayante. D'autres soutinrent la motion de M. Le ChaPellier. On en est resté à peu près à la moitié du tour d'opinion à 2 heures 1/2 qu'on se sépara. Mais, dans les suffrages donnés, les 5/6 sont pour la motion de M. Rabaut, sauf, d'après les tentatives des commissaires, la

1. Députés du Pays de Labour siégeant à Ustaritz.

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