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volumes bien connus et d'y copier, ici un chapitre, là une monographie entière, depuis le premier mot jusqu'au dernier point, en oubliant de mentionner la source où il puisait si largement. Ni Miroy, ni J. Hubert, ni G. de Pouilly, ni M. Graffin, ni M. Anatole de Barthélemy, ni les autres n'ont l'aumône d'une simple citation; par contre, l'auteur s'empresse de donner comme siennes les laborieuses recherches faites par ce dernier dans les archives de Paris, de Reims, des Ardennes, de la Meuse! Seul, M. Vincent trouve grâce devant lui, sans doute parce que son ouvrage est trop récent et trop connu pour qu'il puisse être démarqué sans protestation. Le procédé est vraiment trop naïf, le plagiat trop flagrant; la commission a dù éliminer d'emblée ce peu difficile travail de mosaïque, et ses membres sont restés un peu confus en songeant qu'un candidat pouvait les croire assez ignorants de l'histoire de leur pays pour leur tendre un piège si grossier.

Passons aux travaux vraiment originaux.

Voici d'abord une courte Monographie de Lametz (canton de Tourteron). Le texte, illustré de quelques photographies, renferme des pièces justificatives qu'il eût été préférable de rejeter en appendice; elles sont extraites des papiers des derniers seigneurs du village et des registres paroissiaux. L'histoire est surtout étudiée. depuis le xvi° siècle et l'on peut regretter que l'auteur n'ait pas eu davantage recours aux archives des Ardennes (titres de l'abbaye de Longwé) et au fonds de l'Archevêché, où il aurait puisé certainement des renseignements utiles; la charte communale de Lametz méritait aussi d'être reproduite en entier. Enfin on s'étonnerait de ne pas trouver de détails plus étendus sur le couvent des

Prémontrés, jadis existant aux Mares, écart de Lametz, si nous ne savions l'abbé Haizeaux déjà auteur d'une Histoire de l'Abbaye de Longwé. Or, c'est à Longwé que fut transporté le couvent des Mares au XIVe siècle, et, pour ne pas se répéter, M. Haizeaux a dû renvoyer à la brochure précédemment parue. Il a donné aussi l'an dernier une Histoire de Tourteron, et, imitant en cela son voisin de cure, l'abbé Alexandre, ce laborieux travailleur a édité lui-même ses ouvrages. Certes, les modestes imprimeurs de Saint-Loup-Terrier et de Guincourt n'ont point la prétention d'atteindre la perfection; mais les produits de leurs presses ont leur cachet original et seront recherchés un jour comme des raretés bibliographiques.

C'est pour l'ensemble de ces trois monographies que l'Académie attribue à M. l'abbé Haizeaux, curé de Guincourt, une médaille d'argent.

Un de ses confrères, M. l'abbé Antoine, curé de VireuxMolhain, nous a envoyé : « Chooz, monographie d'une commune importante de la vallée de la Meuse »; ancien lauréat de l'Académie, M. Antoine voudra bien ajouter aux lauriers déjà glanés une médaille d'argent qui lui est décernée aujourd'hui. Il a compulsé avec autant de soin que de patience les registres de la mairie, les inventaires, les anciens testaments, et a reproduit quantité de ces documents dont la source n'est peut-être pas toujours indiquée avec assez de précision. Il est fâcheux qu'il n'ait pu prendre connaissance des chartes conservées à Namur et à Dusseldorf et qui jettent le plus grand jour sur l'histoire de Chooz, alors que ce village appartenait à l'abbaye de Stavelot (1); nous aurions

(1) Ces chartes, dont les plus anciennes remontent au 1xo siècle,

désiré aussi quelques détails sur la cession à la France de la terre de Chooz par l'évêque de Liège en 1772, et lu volontiers le texte de la convention intervenue entre l'ambassadeur des Pays-Bas et le ministre des affaires étrangères de France. Ces preuves historiques auraient remplacé avec avantage l'énumération d'étymologies fantaisistes auxquelles, nous nous empressons de le constater, l'auteur ne paraît ajouter aucune créance; pourquoi aussi cette profusion de vers latins dont, en admirateur enthousiaste de la littérature classique, il aime à fleurir son récit? Ovide, Catulle ou Columelle ne sont guère à leur place dans un travail d'histoire purement locale. Pour notre part, nous préférons lui voir citer Dom Noël ou l'abbé Roland, les deux savants historiographes de l'Ardenne française et de l'Ardenne belge. Nous louerons aussi M. l'abbé Antoine des quelques pages qu'il a consacrées au langage et aux légendes de son pays, bien qu'il ait cru devoir s'excuser de s'arrêter sur des sujets de si minime importance.

Ces scrupules, M. Paulin Lebas, auteur d'une Monographie du village de Sévigny-la-Forêt, ne les a pas éprouvés : « Je me suis plu, écrit-il, à pénétrer les détails les plus intimes de la vie de nos aïeux, de leur existence si humble, si difficile, si mouvementée »; et c'est précisément cette étude ethnographique et psychologique qui nous plaît par-dessus tout. Le passé historique de Sévigny-la-Forêt est bien effacé, et pour tenter de remplir cette partie de sa tâche, l'auteur a dû introduire

viennent d'être analysées par M. l'abbé Roland dans la Revue historique ardennaise, mars-avril 1898: Les anciennes propriétés de l'abbaye de Stavelot-Montmédy dans les Ardennes françaises.

quelques hors-d'œuvre dans son mémoire: tel un long récit de la bataille de Rocroi qu'il était peut-être superflu de refaire après l'historien de la Maison de Condé ; telle encore la page sur la terre des Pothées et le testament de saint Remi: il suffisait de renvoyer aux travaux de M. Longnon. Ces légères critiques faites, nous sommes tout à notre aise pour dire tout le bien que nous pensons de la monographie de Sévigny. Dans un style simple et sincère, celui de l'écrivain qui sait et qui a vu, M. Paulin Lebas nous dit les mœurs des ancêtres, les luttes pour l'existence des forestiers, leurs pénibles travaux ; il nous introduit dans le milieu familial, nous décrit en détail les habitations, nous parle des salaires aux différentes époques, nous initie aux mœurs, aux coutumes, aux anciens usages liturgiques, nous fait assister aux jeux et aux fètes, nous conte les légendes de la forêt, nous dévoile en un mot l'âme de ces paysans de l'Ardenne, robustes et pauvres, travailleurs et crédules. Nous vivons un instant de leur vie, nous parcourons les étapes du progrès, nous pouvons comparer, en connaissance de cause, le présent et le passé.

Nous prisons trop l'érudition et on en fait trop de cas ici même, pour que l'on nous soupçonne d'en détourner les chercheurs qui veulent bien nous faire juges de leurs travaux. Mais nous croyons qu'elle n'est pas tout. Si l'histoire des puissantes abbayes d'autrefois, des villes et des bourgs jadis importants, nécessite de longues et compétentes investigations dans les bibliothèques et les archives, par contre il n'est si petite localité qui ne puisse être l'objet d'une œuvre intéressante, à condition de fouiller son passé, de recueillir les souvenirs qui la concernent, d'établir l'état social de ses habitants et de dresser ses modestes annales.

C'est pour affirmer ces principes, pour reconnaître cet amour intelligent du clocher, que la Commission a demandé à l'unanimité une médaille d'or de cent francs pour M. Paulin Lebas. Elle est heureuse de récompenser son travail, fruit de vingt années de recherches. Elle veut ainsi montrer que la lumière de l'histoire ne doit. pas seulement éclairer les sommets, mais qu'il lui faut pénétrer jusque dans les plus humbles vallées; elle entend rappeler qu'à côté de la biographie des savants et des capitaines, il y a lieu de tenir compte des faits et gestes des paysans et de réserver une place à l'histoire intime du peuple, de ce peuple qui, selon l'expression de Pascal «< compose le train du monde. »

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