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VII

Le Luxembourg ne possède pas d'Université complète. Ses jeunes bacheliers doivent aller en pays étranger pour y achever leurs études et élargir ainsi leur horizon intellectuel. Le Code Napoléon étant en vigueur dans le Grand-Duché, c'est naturellement en France, et de préférence à Paris, à Nancy ou à Lille, que les aspirants en droit font leurs études.

Leurs ingénieurs ne vont qu'en infime minorité dans les écoles techniques d'Outre-Rhin, quelquefois à Aix-la-Chapelle. Un plus grand nombre se rend en Belgique, à Liège ou à Louvain, quelquesuns en Suisse, à Zurich. Mais ce qui reste toujours et en toute circonstance le plus beau titre de gloire pour un ingénieur luxembourgeois, c'est d'avoir été reçu à l'École Centrale de Paris et d'y avoir conquis son diplôme.

Les médecins font d'ordinaire leurs études universitaires en Allemagne, et passent en France les années du doctorat, l'institution de l'internat rendant les Facultés françaises d'un accès très difficile, sinon impossible, pour les étrangers.

Enfin, les étudiants qui se destinent au professorat partagent leurs études entre les diverses Facultés ou les centres d'instruction de l'Allemagne, de la Belgique et de la France. Mais c'est toujours notre vieille Sorbonne qui exerce sur eux son pouvoir attirant, et le Gouvernement français a eu la gracieuse obligeance d'accorder aux jeunes aspirants

luxembourgeois quelques places à l'École normale.

Toutefois, en quelque pays qu'ils aient fait leurs études, dans quelque Université étrangère qu'ils aient déjà pris leurs grades, les aspirants aux fonctions publiques ou officielles dans le Grand-Duché magistrature, barreau, notariat, médecine et chirurgie, enseignement public à tous les degrés doivent, pour être admis à exercer ces fonctions dans leur patrie, être « diplômés >> par leur compatriotes et subir à Luxembourg de nouveaux examens, devant des jurys spéciaux qui passent pour être assez sévères. L'abondance des candidats et le nombre restreint des places à pourvoir imposent aux exami nateurs le devoir de n'accepter que des sujets très instruits et tout à fait aptes à remplir les fonctions qu'ils sollicitent.

Nous n'avons pas à rappeler ici la situation géographique du Grand-Duché de Luxembourg (1). grand aujourd'hui comme un de nos départements,

(1) Le Grand-Duché de Luxembourg, tel qu'il existe actuellement apres le morcellement de 1839. est d'une superficie de 2,587 kilom. carres, avec une population (au 1 décembre 1890), de 211,088 habitants. Il est compris à peu près entre 49' 27' et 50° 12′ de latitude nord et 3o 25' et 4° 12' de longitude est, d'après le meridien de Paris. La plus grande longueur du sud au nord atteint 82 kilom.; la plus grande largeur de l'est à l'ouest, 57 kilom. Il appartient, pour la presque totalité, au bassin de la Moselle par son affluent la Sure.

On dit à Luxembourg qu'il y a autant de Luxembourgeois résidant en dehors du Grand-Duché que d'habitants dans le pays même, soit environ 200,000. La majeure partie est en France (Paris en compte de 20 à 25,000. Lille, Nancy, Reims, en comptent également beaucoup), et dans l'Amérique du Nord, surtout au Canada (où l'on parle de 50 à 60,000 Luxembourgeois).

IX

mais on sait que les relations sont très suivies entre le Luxembourg et tout le Nord-Est de la France : les Ardennes, dont il fait partie géologiquement, les quelques parcelles de la Lorraine qui nous restent encore, et, enfin, la Champagne.

Et c'est ce petit pays qui a joué un rôle si important dans l'histoire générale de l'Europe, depuis le moyen âge jusqu'à la fin de notre xix siècle. Pour justifier l'intérêt que peut présenter l'étude que nous allons faire, nous croyons devoir reproduire ici ce résumé complet, dù à la plume d'un diplomate très au courant de ces questions:

Il est des pays,

dit M. Rothan au début de son intéressant ouvrage sur l'Affaire du Luxembourg en 1867 (1), il est des pays qui, par leur situation et leurs conditions stratégiques, sont appelés à jouer dans les combinaisons de la politique, aux dépens de leur indépendance, un rôle considérable que ne justifie ni le chiffre de leur population, ni la superficie de leur territoire.

Le Grand-Duché de Luxembourg, qui a donné des empereurs à l'Allemagne, des rois à la Bohème et à la Hongrie, des reines et des connétables à la France (2), a eu depuis plusieurs siècles ce triste privilège. Jamais pays n'a été l'objet de plus de convoitises et n'a passé sous plus de dominations diverses. Il a appartenu successivement aux maisons de Bourgogne, d'Espagne, de Habsbourg et de Nassau, sans parler des époques où, comme sous Louis XIV, il s'est trouvé passagèrement associé aux destinées de la France. Dans aucun temps la diplomatie française ne l'a perdu de vue.

(1) G. ROTHAN. L'Affaire du Luxembourg. Ouvrage couronné par l'Académie française (prix Thiers). Paris, Calmann Lévy. 1881.

(2) Empereurs d'Allemagne: Henri VII, 1308-1313; Charles IV, 13161378; Wenceslas, 1378-1419; Josse de Moravie, 1410-1411; Sigismond, 1110-1437, empereur et roi de Bohême et de Hongrie. Rois de Bohême : Jen l'Aveugle, 1310-1346; Charles IV, Wenceslas et Sigismond. Reine de France: Marie, fille de l'empereur Henri VII, épousa, le 24 août 1322, Charles le Bel, roi de France; elle mourut en 1324.

Tous nos grands ministres, au XVIe et au XVIe siècle, ont cherché à le rattacher à notre système défensif. Richelieu se le réserve dans le traité qu'en 1635 il signe avec la Hollande; Mazarin en poursuit la conquête après la bataille de Rocroi et le réclame, à défaut du Roussillon, dans les négociations de Lyonne avec la cour de Madrid. En 1739, lors de la paix de Belgrade, le cardinal Fleury essaie de se l'assurer comme prix de sa médiation et comme garantie des sommes qu'il a avancées à Charles VI. Le Grand-Duché figure de nouveau dans le traité d'alliance que Bernis conclut avec l'Autriche, et il reparaît en 1785 dans les pourparlers de Joseph II avec le cabinet de Versailles au sujet de la Bavière.

En 1797, le traité de Campo-Formio devait, pour bien peu d'années, il est vrai, réaliser le rêve de notre vieille diplomatie : le Luxembourg devenait un front d'attaque contre l'Allemagne. Mais, en 1815, le Congrès de Vienne en donnait un morceau à la Prusse, et, par des liens artificiels, rattachait le reste à la Confédération germanique sous la souveraineté nominale du Roi des Pays-Bas. Il retournait l'œuvre de Vauban contre la France, en faisait un boulevard de la Sainte-Alliance, et, en la reliant au système défensif de l'Allemagne, il en confiait la défense à la Prusse.

Nous présenterons ces notes historiques sous six chapitres distincts, correspondant aux six périodes dont nous avons parlé au début de cette Introduction :

I. Clovis et les Rois Francs.

II. Les Ducs de Bourgogne et la Maison d'Autriche.
III. Louis XIV et Vauban.

IV. La Révolution française. - Napoléon 1er.

V. Le Traité de Londres du 11 mai 1867.

VI. La Guerre Franco-Allemande (1870-187 1).

CHAPITRE Ier.

Clovis et les Rois francs.

On peut dire que la première apparition des Francs, nos ancêtres (du moins des Francs Saliens, car les Ripuaires y étaient établis déjà), dans le pays de Luxembourg, remonte à l'année 496, à l'époque de la bataille de Tolbiac, gagnée par Clovis sur les Alamans du Sud qui voulaient envahir les provinces Belgiques de la Gaule.

Auparavant, ce pays était, depuis Jules César, sous la domination romaine, qui fit de la ville de Trèves, voisine de Luxembourg, le centre de son action militaire et administrative. On peut suivre encore la trace de la chaussée très importante, créée par les Romains, qui conduisait de Trèves à Reims, en passant par Luxembourg, et d'une autre, menant à Metz, par Thionville. De nombreux vestiges de l'époque romaine existent encore dans tout le pays luxembourgeois.

Les Francs, au contraire, sauf des sépultures et quelques monnaies, laissèrent peu de traces de leur passage; mais, c'est à cette époque que le pays acheva de se convertir à la religion chrétienne, sous l'influence des évêques de Trèves. L'empereur Constantin le Grand paraît avoir résidé à plusieurs reprises et assez longtemps à Trèves, dont un des évêques, saint Maximin, fonda dans cette ville l'abbaye qui conserva son nom.

En 698, une fille du roi franc Dagobert donne à saint Willibrord, l'apòtre des Frisons, un petit hospice qu'elle possédait à Echternach. En 706, Pépin d'Héristal, maire du Palais, y ajoute des biens considérables. Ce fut l'origine de la fondation par saint Willibrord du célèbre monastère des Bénédictins d'Echternach, qui, pendant les onze siècles de son existence,

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