AVANT-PROPOS Dans les ouvrages de droit international, publiés en France, il est fort peu question du Maroc. Les auteurs se bornent à dire que ce pays1 doit être rangé parmi les Etats souverains 2, mais que sa souveraineté subit des restrictions par suite de la juridiction consulaire et de la protection étrangère 3. D'ailleurs, ils ne jugent point nécessaire de s'occuper plus longuement d'une nation qui, réfractaire à la civilisation européenne, refuse d'envoyer des représentants auprès des autres nations. Un tel laconisme me parait regrettable. 1. La population du Maroc est de 8,000,000 habitants environ. Pour la description géographique, on peut consulter: E. RECLUS, Géographie universelle, t. XI, p. 653 et suiv. M. DE LA MARTINIÈRE a donné un Essai de bibliographie marocaine pour la période de 1844 à 1886. Revue de géographie, 1. XIX, p. 96 et 182. 2. CHRÉTIEN, Principes du droit international public, p. 551. 3. BONFILS, Manuel du droit international public, nos 790 et 905. CHRÉTIEN, op. cit., p. 550. FÉRAUD-GIRAUD, De la juridiction française dans les Echelles du Levant et de Barbarie, t. I, p. 250 et suiv. - DESPAGNET, Cours de droit international public, p. 364. La question marocaine peut être considérée comme l'une des principales questions de notre politique étrangère. Des intérêts considérables sont en jeu : il s'agit, en effet, d'obtenir la rectification de notre frontière algérienne, de préparer notre pénétration dans le Sahara par l'occupation définitive du Touat et d'ouvrir plus largement le marché africain à notre commerce national. Or, pour comprendre le rôle que la diplomatie française doit jouer à ce triple point de vue, il est indispensable de bien connaître les traités conclus jusqu'à ce jour entre la France et le Maroc. C'est cette considération qui m'a engagé à écrire le présent livre. INTRODUCTION Pendant longtemps, aucune relation diplomatique n'exista entre la France et le Maghreb-el-Aksa1. Les pirates de ce. pays, comme les forbans des Régences barbaresques2, attaquaient nos navires dans l'Océan et la Méditerranée. A leurs violences et à leurs déprédations, nos marins répondaient en exerçant des représailles. De là, un état de guerre permanent. Au milieu du XVIe siècle, quelques rapports commencèrent à s'établir entre les Rois de France et les Sultans: un consul fut même installé au Maroc pour défendre les intérêts des marchands français. Néanmoins, la lutte se poursuivit avec âpreté et sans relâche. Dans les siècles suivants, si les hostilités ne cessèrent pas absolument, du moins furent-elles interrompues par des trèves de quelques mois3. On profita de ces courts répits pour envoyer d'un pays dans l'autre des ambassadeurs chargés de conclure des traités de paix et d'amitié. De la sorte, furent passées sous l'ancienne Monarchie des 1. C'est par cette appellation d'« Occident extrême » que les africains désignent le Maroc. 2. Alger, Tunis et Tripoli. 3. On peut citer la trève conclue le 3 septembre 1630. conventions assez nombreuses qui, non seulement déterminaient les conditions du rachat des captifs, mais qui, en ontre, avaient trait aux attributions et immunités des consuls, à la faculté de naviguer et de trafiquer, au libre exercice du culte catholique1. La dernière de ces conventions, signée le 28 mai 1767 et confirmée le 28 mai 18252, était encore en vigueur lorsque, à la suite d'un incident de frontière, la guerre éclata entre la France et le Maroc. Les troupes françaises remportèrent sur les bords de l'Isly une brillante victoire et contraignirent l'Empereur Abd-er-Rhaman à faire sa soumission. Cela se passait au mois de septembre 1844. A ce moment, notre diplomatie aurait pu essayer de régulariser et de développer les relations politiques, commerciales et maritimes entre les deux Etats, mais elle ne voulut pas entamer des négociations, parcequ'elle craignit de retarder la conclusion de la paix et d'indisposer l'Angleterre. Lors de la signature de la paix3, elle se borna à reconnaître plein et entier effet aux traités que la guerre avait résolus. On pouvait penser que le rétablissement des conventions anciennes serait provisoire. En effet, dans l'article 7 du traité de Tanger, il était dit que « les Hautes Parties >> Contractantes s'engageaient à procéder de bon accord » et le plus promptement possible à la conclusion d'un »> nouveau traité ». Cependant, cette promesse solennelle demeura lettre morte. Grâce à la négligence des agents français et à l'inertie du Sultan, le traité du 1. Traités de paix conclus les 17 et 24 septembre 1631. Traité d'amitié conclu le 18 juillet 1635. Traité de paix conclu le 29 janvier 1682. Traité de paix conclu le 28 mai 1767. 2. Articles additionnels conclus le 28 mai 1825, portant renouvellement des traités subsistants. 3. Traité de paix conclu à Tanger le 10 septembre 1844. |