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longues tirades de tragédie passent rarement cent vers, et ne reviennent pas fréquemment. Que dirait-on d'un monologue aussi long que la moitié d'une héroïde?

Dans un poème les longs discours sont également déplacés; le poète n'en sauve l'uniformité qu'en variant son style, qu'en coupant l'action par les discours, et les discours par l'action.

L'Héroïde, dira-t-on, n'est pas un discours ; c'est une lettre. Oui, mais c'est toujours la même personne que l'on entend; elle parle toujours du même objet elle doit être forcée de revenir souvent sur les mêmes idées, exprimées en vers plus ou moins beaux. De là naissent la fatigue et l'ennui.

Il fallait beaucoup d'art pour attacher, pour entraîner le lecteur, et le faire parcourir le même cercle sans qu'il s'en aper

çût. Colardeau est presque le seul qui, dans sa lettre d'Héloïse à Abeilard, ait donné la preuve de ce talent. Son fragment de la réponse d'Abeilard ne promettait pas la même perfection; nous l'avons cependant placé dans ce volume, pour donner au lecteur le plaisir de comparer l'auteur avec lui-même. Nous avons aussi de Colardeau une héroïde d'Armide à Renaud, où quelques tirades harmonieuses ne rachètent pas la froideur de l'ouvrage.

Dorat a donné un volume d'héroïdes sous le titre des Victimes de l'Amour. Il s'élève quelquefois assez heureusement au ton de la haute poésie; le caractère de son talent est la flexibilité; mais il mais il prouve bientôt que l'esprit ne remplace pas le sentiment : les grandes pensées viennent du cœur.

Gilbert a composé une héroïde de Didon à Enée, dans laquelle on trouve plus de cha

leur que de goût, plus de mouvement que de charme on y remarque quelques heureuses imitations de Virgile, mais en général de l'embarras et de la prolixité.

Quelques auteurs modernes se sont exercés dans l'Héroïde, mais presqu'aucun ne s'y est exclusivement consacré, ce qui prouve la difficulté d'un genre où il faut sans cesse lutter contre l'ingratitude du sujet. Il faut pourtant savoir gré à ceux qui ont eu assez de ressources dans l'imagination et dans le style pour trouver dans l'Héroïde le secret de plaire et de toucher.

HÉLOISE A ABEILARD.

(Héloïse, dans sa cellule du Paraclet, est censé a

occupée à lire une lettre d'Abeilard; elle y répond.)

DANS
ANS ces lieux habités par la simple innocence,
Oùrègne avec la paix un éternel silence,

Où les cœurs, asservis à de sévères loix,
Vertueux par devoir, le sont aussi par choix,
Quelle tempête affreuse, à mon repos fatale,
S'élève dans les sens d'une faible vestale?
De mes feux mal éteints qui ranime l'ardeur?
Amour, cruel amour! renais-tu dans mon cœur?
Hélas! je me trompais; j'aime, je brûle encore.
O nom cher et fata!... Abeilard... je t'adore.
Cette lettre, ces traits, à mes yeux si connus,
Je les baise cent fois, cent fois je les ai lus:

De sa bouche amoureuse Héloïse les pressé...
Abeilard! cher amant!... Mais quelle est ma faiblesse?
Quel nom dans ma retraite osé-je prononcer?

Ma main l'écrit... hé bien! mes pleurs vont l'effacer.
Dieu terrible, pardonne; Héloïse soupire...

Au plus cher des époux tu lui défends d'écrire :

A tes ordres cruels Héloïse souscrit...

Que dis-je? mon cœur dicte... et ma plume obéit.

Prisons où la vertu, volontaire victime,
Gémit et se repent, quoique exempte du crime;
Où l'homme, de son être imprudent destructeur,
Ne jette vers le ciel que des cris de douleur;
Marbres inanimés, et vous, froides reliques,

Que nous ornons de fleurs, qu'honorent nos cantiques,
Quand j'adore Abeilard, quand il est mon époux,
Que ne suis-je insensible et froide comme vous !
Mon Dieu m'appelle en vain du trône de sa gloire;
Je cède à la nature une indigne victoire;

Les cilices, les fers, les prières, les vœux,

Tout est vain, et mes pleurs n'éteignent point mes feux.

Au moment où j'ai lu ces tristes caractères,
Des ennuis de ton cœur secrets dépositaires,
Abeilard, j'ai senti renaître mes douleurs.

Cher époux! cher objet de tendresse et d'horreurs!
Que l'amour dans tes bras avait pour moi de charmes!
Que l'amour loin de toi me fait verser de larmes!

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