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AUX MANES DE GENONVILLE.

Tot

or que le ciel jaloux ravit dans son printems; Toi de qui je conserve un souvenir fidelle;

Vainqueur de la mort et du tems,
Toi dont la perte, après dix ans,

M'est encore affreuse et nouvelle,

Si tout n'est pas détruit, si sur les sombres bords
Ce souffle si caché, cette faible étincelle,

Cet esprit, le moteur et l'esclave du corps,

Ce je ne sais quels sens qu'on nomme ame immortelle,
Reste inconnu de nous, est vivant chez les morts;
S'il est vrai que tu sois, et si tu peux m'entendre,
O mon cher Genonville, avec plaisir reçoi
Ces vers et ces soupirs que je donne à ta cendre,
Monument d'un amour immortel comme toi.
Il te souvient du tems où l'aimable Egérie,
Dans les beaux jours de notre vie,

Ecoutait nos chansons, partageait nos ardeurs:
Nous nous aimions tous trois; la raison la folie,
L'amour, l'enchantement des plus tendres erreurs,
Tout réunissait nos trois cœurs.

Que nous étions heureux! même cette indigence,
Triste compagne des beaux jours,

Ne put de notre joie empoisonner le cours.

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Jeunes, gais, satisfaits, sans soins, sans prévoyance,
Aux douceurs du présent bornant tous nos desirs,
Quel besoin avions-nous d'une vaine abondance?
Nous possédions bien mieux! nous avions les plaisirs:
Ces plaisirs, ces beaux jours coulés dans la mollesse,
Ces ris, enfans de l'allégresse,

Sont passés avec toi dans la nuit du trépas!
Le ciel en récompense accorde à ta maîtresse
Des grandeurs et de la richesse,
Appuis de l'âge mûr, éclatant embarras,
Faible soulagement quand on perd sa jeunesse :
La fortune est chez elle où fut jadis l'amour.
Les plaisirs ont leur tems; la sagesse a son tour.
L'amour s'est envolé sur l'aile du bel âge;
Mais jamais l'amitié ne fuit du cœur du sage.
Nous chantons quelquefois et tes vers et les miens,
De ton aimable esprit nous célébrons les charmes;
Ton nom se mêle encore à tous nos entretiens;
Nous lisons tes écrits, nous les baignons de larmes.
Loin de nous à jamais ces mortels endurcis,

Indignes du beau nom du nom sacré d'amis,

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Ou toujours remplis d'eux, ou toujours hors d'eux-même, Au monde, à l'inconstance ardens à se livrer, Malheureux dont le cœur ne sait pas comme on aime, Et qui n'ont point connu la douceur de pleurer!

Par VOLTAIRE.

ÉLÉGIE DANS LE GOUT ANCIEN.

PLEURE

LEUREZ, doux Alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux Alcyons, pleurez!
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!

Un vaisseau la portait aux bords de Camarine:
Là l'Hymen, les chansons, les flûtes, lentement,
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée, et loin des matelots,
Elle tombe,
elle crie, elle est au sein des flots:
Elle est au sein des flots la jeune Tarentine!

Son beau corps a roulé sous la vague marine!

Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher, Aux monstres dévorans eut soin de le cacher.

Par son ordre bientôt les belles néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage; et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphir déposé mollement;

Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein, et traînant un long deuil,
Répétèrent hélas autour de son cercueil:

Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée,

L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux!

Par ANDRÉ CHÉNIER.

LES

FUNÉRAILLES D'ADONIS,

imitation de Bion.

Tu

PLEURON
LEURONS tous Adonis, Adonis et ses charmes!
meurs, bel Adonis! Amours, fondez en larmes.
Réveille-toi, Vénus; sors des bras du repos;
Change en tristes cyprès les myrtes de Paphos!
Tu n'as plus d'Adonis! pleure, hélas, malheureuse!
Annonce à l'univers ta perte douloureuse.

Pleurons Vénus, pleurons ses mortelles douleurs;
Son Adonis n'est plus. Amours, fondez en pleurs;
Au charmant Adonis la lumière est ravie,

Sur un rocher désert il repose sans vie.

D'un ivoire assassin les barbares efforts

Ont souillé sa blancheur et percé son beau corps..... Il paraît respirer..... Vénus, suspends tes peines..... Un sang noir cependant s'écoule de ses veines.

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