Plein de ton souvenir quand j'applaudis Racine, Je pleure au même vers où pleura Caroline; Aux pièces de Molière on me voit attendri, Et seul je pleure encore où Caroline a ri! Si le hasard conduit ma rêveuse indolence
Vers ce jardin fameux planté par l'opulence, Lieu charmant dont cent fois nous avons fait le tour, Lieu cher à tous les goûts, et qui sert tour à tour De théâtre au plaisir, de retraite à l'étude, Mon cœur te redemande à cette solitude; Mon pied croit ressaisir la trace de tes pas, Je baise le gazon foulé par tes appas,
Et je rends grâce, assis sous son discret feuillage, A l'orme hospitalier qui t'offrit son ombrage. Suis-je dans un parterre où la rose et le lis De leur éclat rival brillent enorgueillis, Mon avide regard cherche la tubéreuse;
Plus belle par ton choix, ou du moins plus heureuse, Cette fleur à mes yeux est la reine des fleurs. Que dis-je ? ô souvenir qui redouble mes pleurs! Caroline plus juste, à son heure suprême, A la reine des fleurs rendit son diadême. Je voudrais, me dis-tu, ( j'étais à son côté, Cachant sous son front calme un cœur bien agité) Je voudrais une rose; et ton ami fidelle Court, vole, t'en offre une aussi fraîche que Tu la prends d'une main faible, et veux la poser Sur ta bouche qui s'ouvre encore pour la baiser.
Je te vis tendrement sourire à ton image:
Tu semblais au plaisir rendre un dernier hommage, Et ton regard disait : « J'ai brillé comme toi,
<< Charmante rose... Adieu... tu vivras plus que moi! » Le lendemain s'accrut par degrés ta souffrance, Et par degrés aussi mourut mon espérance;
Le lendemain Malouet vint me dire: Elle est mieux; Le lendemain ton ame avait rejoint les cieux !!!... Je m'arrête... ma main tremble... ma plume tombe.... Mon cœur m'échappe encore; il te suit dans la tombe... Un éclair de bonheur vient de luire pour moi; J'ai cru te voir, j'ai cru converser avec toi... Mais le charme est détruit, et je dis à ta cendre Un éternel adieu... que tu ne peux entendre!
Je n'ai que toi, mon arbre, en ce triste univers: Aussi n'est-ce qu'à toi que j'adresse mes vers; A toi qui fus planté des mains de mon amie, A tes pieds maintenant pour jamais endormie! De la Parque, dit-on, qui nous moissonne tous Minerve ni Vénus ne craignent point les coups: Et cependant la tombe enferme Eléonore! Le sort qui me condamne, hélas! à vivre encore, Me frappant au lieu d'elle, eût exaucé mes vœux. Que je te porte envie, arbre chéri des dieux ! De nos folles erreurs tu méconnais l'ivresse. Le ciel, qui d'amertume a nourri ma jeunesse, De ton heureux printems craint de troubler la paix; Il défend aux Amours de te lancer leurs traits. Quand sa rigueur m'opprime il semble te sourire: Au bonheur de ton sort ici bas tout conspire: Au plus léger péril qui vient te menacer mortels s'empresser;
On te donne un soutien lorsque dans sa furie L'impétueux Borée a menacé ta vie.
Tu ne connus jamais l'injure des saisons; De chaume enveloppé, tu braves les glaçons; Et lorsque, ramenant l'ardente canicule, Apollon en courroux de ses rayons nous brûle; Que la triste naïade, au milieu des roseaux, Pour éteindre sa soif a trop peu de ses eaux, Une onde salutaire, à tes pieds épanchée, Abreuve autour de toi la terre desséchée.
L'épouse du Zéphir, t'accablant de faveurs, Dès tes plus jeunes ans te couronne de fleurs. Dans un âge plus mûr tu nous combles de joie : Les présens que par toi Pomone nous envoie
Te font chez les humains une foule d'amis. Mais, nous dès la jeunesse aux passions soumis, L'orgueil, l'ambition nous forgent mille entraves. Fiers des préjugés vains qui nous tiennent esclaves, Sans trouver le bonheur au bout de nos travaux, Nous n'avons pour amis qu'un peuple de rivaux. Chacun de nos instans compte plus d'un orage, Et chaque jour pour toi s'écoule sans nuage.
Moins passager que nous, bravant l'aile du Tems, Tu ne vois la vieillesse avancer qu'à pas lents; Et, dans cet âge encore exempt de nos misères, Tu sembles nous donner des avis salutaires:
Tu nous fais souvenir que le héros, le roi
Malgré cent noms pompeux vieilliront avant toi; Que tout passe ici bas; mais sur nous la vieillesse Attire les mépris de la folle jeunesse :
A nos sages conseils nous la voyons s'aigrir. Nous voyons nos enfans à leur perte courir, Sans que de nos erreurs la triste expérience Les sauve des écueils où périt l'imprudence.
Le voile de la mort nous dérobe le jour, Et, par l'affreux tombeau dévorés sans retour, Nous ne laissons bientôt qu'une cendre stérile. Mais après son trépas l'arbre est encore utile: Quand le Zéphir s'enfuit, chassé par les hivers, Qu'aux noirs enfans du Nord il livre l'univers, Près de l'arbre enflammé nous bravons leur furie: La cabane du pauvre avec l'arbre est bâtie; L'arbre soutient aussi le faite des palais; Et l'arbre qui long-tems régna sur les forêts En vaisseau transformé va régner sur les ondes, Et, vainqueur de Neptune, il unit les deux mondes.
Heureux arbre! pour toi les destins moins cruels Sont avares des maux prodigués aux mortels. Ah! ton sort est trop beau! tu vis, tu meurs tranquille; Toujours aimé de nous, quoique toujours utile, Toi seul fais des heureux sans faire des ingrats. Ton ombre au dieu du jour dérobe les appas
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