Images de page
PDF
ePub

PLUS D'ILLUSION.

Hé quoi! tout fuit dans le vieil âge!

Tout fuit! jusqu'à l'illusion!

Ah! la nature aurait été plus sage
De la garder pour l'arrière saison.
Oui, si l'imagination

Conservait sa douce magie,

Elle préserverait sur la fin de la vie
De l'ennui, ce mortel poison.
Dans la jeunesse elle décore
Tous les objets et tous les lieux;
La raison vient qui décolore
Ces tableaux si délicieux.

Je les regrette, et ce n'est pas

folie;

Je ne vois plus mes gazons et mes bois,

Ni mon ruisseau, ni ma prairie,
Comme je les vis autrefois.

Lorsque j'entends la tourterelle
Roucouler ses tendres amours,

Je ne dis plus, comme dans mes beaux jours,
Il faut la prendre pour modèle.

Progné n'est plus pour moi qu'une simple hirondelle;
Et quand le rossignol s'égosille en chantant,

Je ne m'attendris plus sur le vieil accident
De cette pauvre Philomèle.

Tircis, dont je vantais les séduisans appas,
Les grâces, le tendre langage,
N'est plus maintenant que Lucas
A l'air nigaud, aux cheveux plats;
C'est le plus rustre du village:
Et les bergères du canton,
La belle Aminte et Célimène,

Pour qui je fis une chanson,

Ne sont plus à mes yeux que Margot et Suzon,
Qui de mes vers ne valaient pas la peine.
Pour vous, mes paisibles moutons,

Je vous trouve toujours aimables;
En tous lieux, en toutes saisons
Vos attraits pour moi sont durables.
Ce qui rappelle la candeur,

Et la douceur et l'innocence,

Ne peut cesser d'être cher à mon cœur.

Je ne crains plus la pétulance

Des faunes indiscrets que trouve sur le soir
La bergère qui veut reposer sous les hêtres:

Quand on ne les craint plus on cesse de les voir.
Adieu, divinités champêtres;

Adieu, dryades et sylvains;

Adieu, sylphes, charmans lutins,
Tous enfans de l'erreur, chers à la poésie.
Je ne me livre plus à ces illusions

Qui, sans tes vérités, triste philosophie,
Pourraient jusques au bout enchanter notre vie.
Oui, ces riantes fictions

Valent mieux mille fois que tes doctes leçons.

Je ne desire point les charmes

De la beauté, de la fraîcheur, Ni des amans les soupirs, la langueur; Sans regret je verrais leurs larmes: L'amour n'est fait, hélas! que pour les jeunes gens; Douces réalités, transports, tendres mystères Sont les trésors de leurs printems. Ah! de cet âge heureux, de ce précieux tems Je ne voudrais que les chimères.

Par Mme la marquise DE ***

LE POÈTE MALHEUREUX.

Vou
ous que l'on vit toujours, chéris de la fortune,
De succès en succès promener vos desirs,

Un moment, vains mortels, suspendez vos plaisirs:
Malheureux!... ce mot seul déjà vous importune;
On craint d'être forcé d'adoucir mes destins:
Rassurez-vous, cruels! environné d'alarmes,
J'appris à dédaigner vos bienfaits incertains,
Et je ne viens ici demander que des larmes.

Savez-vous quel trésor eût satisfait mon cœur?
La gloire : mais la gloire est rebelle au malheur,
Et le cours de mes maux remonte à ma naissance.
Avant que, dégagé des ombres de l'enfance,
Je pusse voir l'abyme où j'étais descendu,
Père, mère, fortune, oui, j'avais tout perdu.

Du moins l'homme éclairé, prévoyant sa misère,
Enrichit l'avenir de ses travaux présens.

L'enfant croit qu'il vivra comme a vécu son père,
Et, tranquille, s'endort entre les bras du Tems.
La raison luit enfin, quoique tardive à naître.
Surpris il se réveille, et, chargé de revers,
Il se voit sans appui, dans un monde pervers,
Forcé de haïr l'homme, avant de le connaître.

127

Saison de l'ignorance, ô printems de mes jours!
Faut-il que, tourmenté par un instinct perfide,
J'aie à force de soins précipité ton cours,
Trop lent pour mes desirs, mais déjà si rapide!
Ou faut-il qu'aujourd'hui, sans gloire et malheureux,
Jusqu'à te desirer je rabaisse mes vœux,
Pareil à cet aiglon qui, de son nid tranquille,
Voyant, près du soleil son père transporté,
Nager avec orgueil dans des flots de clarté,
S'élève, bat les airs de son aile indocile,
Retombe; et, ne pouvant le suivre que des
En accuse son nid, et "n bec furieux
Le disperse brisé, mai
vain le regrette,
Quand, égaré dans l'on re, il erre sans retraite !

yeux,

Mais on admire, on aime, on soutient les talens:
C'est en vain qu'on voudrait repousser leurs élans;
Sur ses pâles rivaux renversant la barrière,
Le génie à grands pas marche dans la carrière.

« PrécédentContinuer »