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C'est vous qui l'assurez; et moi, que les destins
Ont toujours promené sur la scène du monde,
Je dis (et ma jeunesse, en naufrages féconde,
Etudia long-tems les perfides humains,
Apprit où s'arrêtaient les forces du génie.)

<< Le talent rampe et meurt s'il n'a des ailes d'or,
<< Ou, vendant ses vertus, rare et noble trésor,
< Lève un front couronné de gloire et d'infamie.»

Que ne puis-je, ô mortels, être accusé d'erreur!
Quel que soit mon orgueil, oui, j'aimerais à croire
Que j'ai par trop d'audace irrité mon malheur;
Que je frappais sans titre aux portes de la gloire.
Il en coûte à mon cœur de vous croire méchans;
Mais expliquez, cruels! l'énigme de ma vie,
Ou rendez-moi raison de votre barbarie.
Dieu plaça mon berceau dans la poudre des champs;
Je n'en ai point rougi: maître du diadême,
De mon dernier sujet j'eusse envié le rang,
Et, honteux de devoir quelque chose à mon sang,
Voulu renaître obscur, pour m'élever moi-même.
A l'âge où la raison sommeille, oisive encor,
La mienne impatiente ose prendre l'essor:

Au nom seul d'un grand homme on voit couler mes larmes.
Grand Dieu, ne puis-je encor m'élancer sur ses pas?
Condé bégaie à peine, il demande des armes,

Et, déjà plein de Mars, respire les combats..... Dannez-moi des pinceaux. Qu'exiges-tu d'un père! Mon fils, crois-moi, surmonte un penchant téméraire:

Tu veux chercher la gloire! Eh! ne sais-tu donc pas
Que les plus grands talens y montent avec peine;
Que, noircis par l'envie, accablés par la haine,
Tous ont vu le bonheur s'échapper de leurs bras?
Songe au sort de Milton, songe au destin d'Homère:
L'homme, ingrat de leur tems, a-t-il changé depuis?
Ah, mon fils! je suis pauvre, et tu n'as plus de mère;
Bientôt tu vas me perdre; où seront tes appuis?
Mon fils, crois-moi; mon fils, sors de ton indigence,
Et vers la gloire alors dirige tes travaux,

Au nom de tous les soins qu'on prend de ton enfance,
Parmes cheveux blanchis.-Donnez-moi des pinceaux!
Hé bien, vis à ton gré; je te livre à toi-même,
Ingrat! mais, en suivant ta folle passion,

Crains un père, reçois sa malédiction.

Vous pleurez!.... Ah, mon fils!... votre père vous aime; Ecoutez.

·Des pinceaux! Moi, sillonnant les mers,

J'aurais donc, sur la foi du zéphyr infidèle,
Poursuivi la fortune au bout de l'univers,
Et peut-être, pour prix de mon avare zèle,
Enterré sous les flots, en revenant au port,
Et mes jours et mon nom! Qui peut vaincre la mort ?
Qu'à son gré l'opulence, injuste et vile amante,
Berce sur le damas ce parvenu grossier,
Et laisse le poète, à l'ombre d'un laurier,
Charmer par ses concerts le sort qui le tourmente:
Il n'est qu'un vrai malheur; c'est de vivre ignoré.
L'homme brille un mo ment, et la tombe dévore

Les titres fastueux dont on fut décoré,

Nos maux, et ces plaisirs que le vulgaire adore;
Tout périt sous la faulx de la Mort ou du Tems:
Mais la gloire du moins que l'homme a méritée
Survit à son trépas, et s'accroît par les ans;
Et, loin de les flétrir, la Fortune irritée
Ajoute un nouveau lustre aux talens glorieux.

Racine, dieu des vers! Corneille, esprit sublime!
Vous pouvez effrayer un cœur pusillanime;

Peut-être avec dédain vos mânes radieux

Du haut des monts sacrés regardent qui nous sommes:
Mais, si j'en crois mon cœur, on peut vous égaler:
Le ciel en vous formant voulut vous signaler,

J'y consens; mais enfin vous n'êtes que des hommes.

Ainsi je m'abusais. Sans guide, sans secours,
J'abandonne, insensé, mon paisible village,
Et les champs où mon père avait fini ses jours.
Cieux, tonnez contre moi; vents, armez votre rage;
Que, vide d'alimens, mon vaisseau mutilé

Vole au port sur la foi d'une étoile incertaine,
Et par vous loin du port soit toujours exilé!
Mon asile est partout où l'orage m'entraîne.
Qu'importe que les flots s'abyment sous mes piés;
Que la mort en grondant s'étende sur ma tête:
Sa présence m'entoure; et, loin d'être effrayés,
Mes yeux avec plaisir regardent la tempête:

Du sommet de la poupe, armé de mon pinceau,
Tranquille en l'admirant j'en trace le tableau.

Je n'avais point alors essuyé de naufrage,
Mon génie abusé croyait à la vertu,

Et, contre les destins rassemblant son courage, Se nourrissait des maux qui l'avaient combattu. << Mon sort est d'être grand; il faut qu'il s'accomplisse; « Oui, j'en crois mon orgueil, tout, jusqu'à mes revers. << Qui de ceux dont la voix éclaira l'univers

« N'a point de la fortune éprouvé l'injustice?

Un dieu, sans doute un dieu m'a forgé ces malheurs, « Comme des instrumens qui peuvent à ma vue << Ouvrir du cœur humain les sombres profondeurs, << Source de vérités au vulgaire inconnue. << Rentrez dans le néant, présomptueux rivaux! « Ainsi que le soleil dans sa lumière immense

<< Cache ces astres vains levés en son absence,
<< Je vais vous effacer par mes nobles travaux. »
Mon ame (quel orgueil, grand Dieu, l'avait séduite!)
Dévorait des talens le trône révéré,

Et dans tous les objets dont je marche entouré
Ma gloire en traits de feu déjà me semble écrite.

Prestiges que bientôt je vis s'évanouir,
Doux espoir de l'honneur, trop sublime délire,
Ah! revenez encor, revenez me séduire:
Pour les infortunés espérer c'est jouir.

Je n'ai donc en travaux épuisé mon enfance
Que pour m'environner d'une affreuse clarté
Qui me montrât l'abyme où je meurs arrêté.
Ne valait-il pas mieux garder mon ignorance?

Trop heureux Philémon s'il connaît son bonheur!
Fidèle au rang obscur qu'il reçut de ses pères,
Long-tems de sa jeunesse il voit briller la fleur;
Et, cultivant en paix ses champs héréditaires,
Ne craint pas que toujours ses efforts abusés
Laissent tomber son corps privé de nourriture;
La terre au jour marqué lui rend avec usure
Les trésors qu'en ses flancs il avait déposés.
Il n'a point, il est vrai, vu nos cités immondes,
D'où le grand, étonné de ses vastes besoins,
De leurs productions épuise les deux mondes;
Nos sciences, nos arts, étrangers à ses soins,
Ne l'ont point dépouillé de ses mœurs ingénues.
Roulez en char brillant votre heureux déshonneur;
Jamais de Philémon vous ne serez connues,
Beautés dont on nourrit les vices sans horreur,
Tandis que les talens, amis de l'innocence,
Méconnus, repoussés dans leur premier essor,
Tombent découragés, et meurent d'indigence
Sous l'ombre d'un laurier qu'on leur dispute encor.
Ce protecteur, qui marche en semant les promesses,
Même en trompant ses vœux l'abaissa-t-il jamais?
Burrhus, qui va comptant les ingrats qu'il a faits,
Lui vient-il reprocher ses honteuses largesses?

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