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Aux malheureux toujours on trouve des forfaits,
Et les plus généreux vendent cher leurs bienfaits.
Pour qui les verts bosquets ouvrent-ils leurs ombrages?
Les tranquilles étangs, les tortueux vallons,

Les antres toujours frais, les ruisseaux vagabonds,
Les chants du peuple ailé, ses jeux dans les feuillages,
Le paisible sommeil sur des lits de gazon,
La justice, la paix, tout rit à Philémon.
Oh! combien j'eusse aimé cette beauté naïve
Qui, d'un époux absent pressentant le retour,
Rassemble tous les fruits de son fertile amour,
Dirige des aînés la marche encor tardive,
Et, portant dans ses bras le plus jeune de tous,
Vole au bout du sentier par où descend leur père!
Elle le voit: grand Dieu! dérobe à ma misère

L'aspect de leurs plaisirs dont mon cœur est jaloux!...
N'est-ce donc point assez des tourmens que j'endure?
Quoi! je porte un cœur noble, et d'un œil plein d'effroi
Je lis sur tous les fronts le mépris et l'injure!
Le dernier des mortels est plus heureux que moi!
Ah! brisons ces pinceaux : tombe, lyre inutile!
Périsse un monde injuste! Et toi qui m'as perdu,
Gloire, fantôme ingrat, à la brigue vendu,
Va, je perds sans regret ta couronne futile:
C'est le prix de l'intrigue, et je ne puis ramper.

Si pourtant les destins cessaient de me frapper...
Des hommes quelquefois l'injustice se lasse...
Tome XI.

12

Je puis être du moins fameux par mon audace.
Oui, tremblez, fiers rivaux! détournez vos mépris!
L'intrépide lion, dans un piège surpris,

S'irrite du danger, et de sa dent tenace

Ronge en grondant la toile où lui-même s'enlace,
Se roule, et peut enfin par un dernier effort
La briser, s'échapper, et, prodiguant la mort
Au peuple de chasseurs qui l'attaque et le brave,
Marcher, roi des forêts qui le virent esclave.
Vain espoir; qu'ai-je dit? hélas! sans de longs jours
Le poète languit dans la foule commune,
Et s'il fut en naissant chargé de l'infortune,
Si l'homme, pour lui seul avare de secours,
Refuse à ses travaux même un juste salaire,
Que peut-il lui rester?... Oh! pardonnez, mon père;
Vous me l'aviez prédit... je ne vous croyais pas.
Ce qui peut lui rester! La honte et le trépas.

C'en est donc fait! déjà la perfide espérance
Laisse de mes longs jours vaciller le flambeau!
A peine il luit encore, et la pâle indigence
M'entr'ouvre lentement les portes du tombeau!
Mon génie est vaincu. Voyez ce mercenaire
Qui, marchant à pas lourds dans un sentier scabreux,
Tombe sous son fardeau: long-tems le malheureux
Se débat sous le poids, lutte, se désespère,
Cherchant au loin des yeux un bras compatissant;
Seul il soutient la masse à demi-soulevée.

Qu'on lui tende la main, et sa vie est sauvée:
Nul ne vient; il succombe, il meurt en frémissant.
Tel est mon sort. Bientôt je rejoindrai ma mère,
Et l'ombre de l'oubli va tous deux nous couvrir.

O rives de la Saône, où ma faible paupière
A la clarté des cieux commença de s'ouvrir,
Lieux où l'on sait au moins respecter l'innocence,
Vous ne me verrez plus! mon dernier jour s'avance;
Mes yeux se fermeront sous un ciel inhumain.
Amis!... Vous me fuyez, cruels! Je vous implore;
Rendez-moi ces pinceaux échappés de ma main...
Je meurs... ce que je sens je veux le peindre encore.
Par GILBERT.

AUX MANES D'EUCHARIS.

DEPUIS que tu n'es plus, depuis que je te pleure,

Le soleil a fini, recommencé son tour:

Je puis enfin vers ta demeure

Tourner mes tristes yeux, lassés de voir le jour !
O toi, jadis l'objet du plus ardent amour,
Toi que j'aimais encor d'une amitié si tendre,
m'entendre

Eucharis, si tu peux

Des bords du fleuve affreux qu'on passe sans retour, Reçois ces derniers vers que j'adresse à ta cendre!

Lorsque, du sort si jeune éprouvant la rigueur,
Tu périssais, hélas! d'un mal lent et funeste,
Moi-même, tu le sais, consumé de langueur,
Je voyais de mes jours s'évanouir le reste.
Tu mourus: à ce coup, j'en atteste les dieux,
Je demandai la mort ; j'étais prêt à te suivre;
A mes plus chers amis j'avais fait mes adieux :
Catilie à l'instant vint s'offrir à mes yeux,

Me serra sur son cœur; et je promis de vivre.
Trop heureux sous sa douce loi,

Elle-même aujourd'hui permet que je t'écrive:
Tout ce qui te connut te regrette avec moi,
Et cherche à consoler ton ombre fugitive.

Déjà, les yeux mouillés de pleurs,

Et brisant son beau luth qui résonnait encore,
Le doux chantre d'Eléonore

Sur tes restes chéris a répandu des fleurs.
Il t'élève un tombeau; c'est assez pour ta gloire.
Moi, plus timide, tout auprès

Je choisis un jeune cyprès,

Et là je grave notre histoire.

A ce mot, Eucharis, ne va point t'alarmer;
Loin de moi tous ces noms dont un amant accable

L'objet qu'il cesse de charmer!

Le tems a dû me désarmer,

Et ton cœur n'est point si coupable.
Pour un autre que moi s'il a pu s'enflammer,
Sans doute il était plus aimable:
Hélas! savait-il mieux aimer?

N'importe; dors en paix, ombre toujours chérie!
D'un reproche jaloux ne crains plus la rigueur;
Ma haine s'est évanouie.

Tu fis, sept ans entiers, le bonheur de ma vie;
C'est le seul souvenir qui reste dans mon cœur.

Par BERTIN.

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