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Leur berceau fut sans gloire, et leur tombe est obscure;
Créanciers de la terre, enfans de la nature,
Des présens de leur mère ils vécurent heureux.

La beauté, le pouvoir, la gloire, la richesse
Ne peuvent éviter l'inévitable sort:
La poussière confond le crime et la sagesse;
Le sentier des honneurs nous conduit à la mort.

Et toi, riche orgueilleux ! si leur tombe ignorée
Sous des murs dont l'enceinte ose braver le tems,
De marbres fastueux ne fut point décorée,
Leur ombre eût dédaigné ces honteux monumens,
Et l'éloge avili qu'une basse éloquence

Trop souvent, sans rougir, vendit à l'opulence.

Mais le bruit de la gloire et des vœux impuissans
Peuvent-ils réveiller la poussière endormie?
La verra-t-on sourire à ce funèbre encens?
L'oreille de la mort sera-t-elle attendrie
Par l'hommage menteur qu'offre la flatterie?
Sous ce gazon inculte est peut-être enfermé
Un cœur d'un feu céleste autrefois animé,
Un mortel qui pouvait gouverner un empire,
Ou commander l'extase en éveillant sa lyre.

Mais Clio n'a jamais étalé sous ses yeux
Les dépouilles du tems dont elle est héritière;
L'indigence étouffa ces germes précieux,
Et son génie éteint n'a point vu la lumière.

De l'avare Océan la vaste profondeur
Enferme des trésors refusés à la terre;
Dans l'ombre du désert, fière de sa couleur,
La rose exhale au loin son parfum solitaire.
Peut-être ici repose un pasteur courageux
Qui d'un tyran obscur affranchit sa cabane;
Quelque Milton muet, moins grand, plus vertueux;
Un Cromwel ignoré, dont la bouche profane
N'a point dicté l'arrêt d'un prince généreux.
Le sort leur défendit d'acheter le suffrage
D'un sénat avili dans un long esclavage,
De braver le trépas, la honte et les revers,
De polir l'âpreté d'un peuple encor sauvage,
De lire leur histoire aux yeux de l'univers.
S'il borna leurs vertus il leur sauva des crimes.
Ah! sans doute il retint leur bras audacieux
Prêt à ravir un trône entouré de victimes;
Et fermant aux remords d'un peuple factieux
L'accès de la clémence et les temples des dieux:
Conservez, leur dit-il, cette honte ingénue
Que sur le front de l'homme imprime la candeur;
Jamais la vérité n'a rougi d'être nue.

Sur l'autel de l'orgueil qui brave la pudeur
Le flambeau d'une muse à vos succès vendue
N'allumera jamais un encens corrupteur.

Loin du monde, enfermés dans l'étroite carrière
Que marqua la fortune à leurs vœux modérés,

Ils suivirent en paix la route salutaire,
Où leurs pas un instant glissèrent ignorés.

Sur leur cendre s'élève un monument fragile,
Bien moins pour l'honorer que pour la protéger;
Et des rimes sans art empreintes sur l'argile
Implorent d'un soupir le tribut passager.

Une muse rustique y retraça leur âge,
Et leur nom, de leur fils à jamais respecté:
C'est là leur élégie et leur célébrité.
Là des livres sacrés, au pâtre du village,
Quelques vers consolans ouvrant l'éternité,
Lui montrent dans la mort son immortalité.

L'homme, quoique oppressé sous le poids de la vie,
Ne rompt qu'avec effort la chaîne qui le lie.
Effrayé de la tombe et de l'oubli muet,

Il s'arrête... il se tourne au bout de la carrière
Pour appeler encor, par un dernier regret,
Cette terre d'exil qu'habita sa misère.

L'ame, prête à franchir un espace infini,
Aime à se reposer sur le sein d'un ami.
Un œil mourant réclame une larme plaintive;
Même au fond des tombeaux les mânes enfermés
Brûlent encor des feux qui les ont animés,
Et par un souvenir la nature attentive
Les rejoint aux vivans dont ils furent aimés.

Pour toi, qui dans ces vers as crayonné l'histoire
De ces êtres obscurs moissonnés par la mort,
Si quelque solitaire, amant de leur mémoire,
Vient dans ce champ de deuil s'informer de ton sort,
Réjouis-toi... peut-être un pasteur vénérable
Lui dira: Je l'ai vu, foulant aux pieds le thym,
Secouer la rosée, et sur ces monts de sable
Surprendre le soleil aux portes du matin.

Vers le milieu du jour, sous ces hêtres antiques.
Qui portent dans les airs leurs cimes romantiques,
Nonchalamment couché, d'un œil inattentif
Il suivait les replis d'un ruisseau fugitif.

Errant près de ces bois, je l'ai vu d'un sourire
De l'homme ambitieux accuser le délire;
Je l'ai vu murmurer ses chagrins, ses desirs,
Ou, dans les noirs accès que la douleur inspire,
D'un amour sans espoir exhaler les soupirs.

Un jour il ne vint point sur cette humble colline;
En vain je le cherchai sous l'arbre accoutumé,
En vain je le cherchai dans la grotte voisine.
Le lendemain ce bois qu'il avait tant aimé,
Et même du ruisseau le pénible murmure,
Semblaient de son absence accuser la nature.

Le lendemain je vis les regrets du hameau,
Unis au son plaintif de l'hymne funéraire,

Accompagner son corps, et le suivre au tombeau. Ecartez ce buisson, et lisez sur la pierre

Ces vers où sans orgueil se peint son caractère:

ÉPITAPHE.

Ici dort à jamais un jeune homme ignoré
De la Fortune et de la Gloire;

Mais

par les filles de mémoire

D'un regard favorable il se vit honoré;

Et la triste Mélancolie

Imprima sur son front le sceau de son génie.
Son cœur aima la vérité,
Sa vertu fut la bienfaisance:

Aussi le ciel dans sa bonté

Par le plus grand bienfait passa son espérance:
Il offrit au malheur tout ce qu'il possédait:

Une larme.

Un ami.

Il obtint tout ce qu'il demandait:
Respectez ce pieux sanctuaire;

Ses faiblesses en paix dans ce lieu redouté

Se cachent. Il tremble... il espère

Au grand jour de l'éternité

Retrouver dans son Dieu moins un juge qu'un père.

Par HYACINTHE GASTON.

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