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L'ORAGE.

JA vieillissait l'automne. Au long d'un frais bocage Silvanire et Blanchette allaient parlant d'amour: Voici de loin s'épandre un sombre et lourd nuage Sur la vive face du jour :

L'air d'abord un petit sommeille en paix profonde, que ne tremblottait feuille d'aucuns roseaux;

Si

Puis brillent longs éclairs, bruyant tonnerre gronde,
Prolongé d'échos en échos.

Où fuir, tant s'obscurcit l'ombre tempétueuse?
Là près est vieille roche ; ils s'en courent de dans.
Et leur sort ne plaignez; roche, tant soit affreuse,
Est doux olympe à vrais amans.

Or, la nue à torrens roule aux flancs des montagnes,
La grêle sautillante encomble creux sillons;
Diriez foudres et vents, par les vastes campagnes,
Guerroyer en noirs tourbillons.

A sa Blanchette en vain par doux mots et caresses Bien veut l'ami berger cacher telles horreurs, Bien lui veut-elle aussi rendre douces tendresses; Et ne lui viennent que des pleurs.

Voyez, dit-elle, ami, voici venir froidure;

Ne vont plus oiselets s'aimer jusqu'aux beaux jours. Or, s'aimaient comme nous: comme eux si d'aventure Allions nous trouver sans amours!

L'ami d'un doux baiser fait loin fuir ses alarmes; L'orage, à ne mentir, loin fuyait-il aussi. Tournons au pré, dit-elle en étanchant ses larmes; Là n'aurai tant cruel souci.

Et rameaux fracassés, et verdure flétrie,

D'un trop affreux semblant ici tout peint l'hiver:
De plus joyeux pensers aurons par la prairie,
Voyant encore son beau vert.

Au pré s'en vont tous deux. Oh! que de fois Blanchette
Au ruissel qui l'arrose a conté son bonheur!
Mais sur ses bords à peine advient la bergerette,
Oh! quel trait aigu poind son cœur!

Plus n'est-il ce ruissel où l'été fraîches ondes
Doucettement baignaient siens membres délicats:
Plus n'est qu'un noir torrent qui ses eaux vagabondes
Fait bouillonner en grand fracas.

Un baiser à ce coup n'en charme point sa peine, Hélas! ni cent. O dieux! à travers longs sanglots, Dit-elle, quel torrent! comme inondant la plaine, Il va déjoindre nos hameaux!

Un chacun sur un bord, las! auront beau nous rendre;
Tant bruira sourdement, tant vomira brouillards,
Que ne pourront nos voix l'un à l'autre s'entendre,
Ni se rencontrer nos regards.

A tems se tut Blanchette. Or passait là son père,
De l'orage inquiet, cherchant sa fille au bois,
Puis aux champs, puis partout. Quelle surprise amère
Lorsque la voit pâle et sans voix !

Qu'avez, ma chère enfant? en bref par Silvanire
Instruit tout dès l'abord de leurs soucis cruels:
N'est que cela? dit-il; et se prend à sourire,
Et tous deux les mène aux autels.

Hymen les y fêta. Vint Amour en cachette,
Qui de plus vif encore enflamme leurs desirs.
Et ce cruel hiver que tant craignait Blanchette,
La saison fut de ses plaisirs.

Par BERQUIN.

PHILÈNE ET LAURE.

DEJA du soir l'ombre légère
Couvrait la cime des coteaux;
La jeune et timide bergère
Ramenait des champs ses troupeaux:
Triste et pensif le beau Philène
Sous le saule d'une fontaine

Seul laissait errer ses chevreaux,
Et, rejetant chien et houlette,
Il soupirait sur sa musette
Ces chants redits par les échos:

Si ton berger, ingrate Laure,
T'est désormais indifférent,
Immole un amant qui t'adore,
Et qui périt en t'adorant.
Dieux qui vîtes notre tendresse,
Sauvez celle qui me délaisse

D'être ainsi délaissée un jour;
Ma mort remplira son envie:
Elle pourra m'ôter la vie,

Mais non pas m'ôter mon amour.

En vain dans l'eau de ces fontaines
Je cours éteindre mon ardeur;
L'amour dans mes brûlantes veines
S'allume avec plus de fureur.
Innocens agneaux que j'envie,
Ah! rien ne trouble votre vie;
L'Amour est pour vous sans danger;
Ce dieu dispense en ses caprices
Au troupeau toutes les délices,
Et tous les tourmens au berger.

Sur votre écorce avant l'aurore,
Ormeaux, combien ai-je tracé
Le nom de ma perfide Laure
Avec mon nom entrelacé!

Croissez, couvrez-vous de feuillages;
Le rossignol sous votre ombrage
Viendra lamenter sa douleur:
Un jour sous votre asile sombre
Le voyageur, cherchant de l'ombre,
Sentira palpiter son cœur.

En revenant des pâturages,
Tous deux pressés de nous revoir,
Ma Laure et moi dans ces bocages
Tous deux nous devancions le soir.

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