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Mais, hélas! de ses sens esclave malheureux,
L'homme ose se dire le maître

Des animaux, qui sont peut-être

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Plus libres qu'il ne l'est, plus doux, plus généreux,

Et dont la faiblesse a fait naître

Cet empire insolent qu'il usurpe sur eux!

Mais que fais-je? où va me conduire

La pitié des rigueurs dont contre eux nous usons?
Ai-je quelque espoir de détruire

Des erreurs où nous nous plaisons?
Non, pour l'orgueil et pour les injustices
Le cœur humain semble être fait.
Tandis qu'on se pardonne aisément tous les vices
On n'en peut souffrir le portrait.
Hélas! on n'a plus rien à craindre,

Les vices n'ont plus de censeurs;
Le monde n'est rempli que de lâches flatteurs:
Savoir vivre c'est savoir feindre.

Ruisseau, ce n'est plus que chez vous

Qu'on trouve encor de la franchise:

On y voit la laideur ou la beauté qu'en nous
La bizarre nature a mise;

Aucun défaut ne s'y déguise;

Aux rois comme aux bergers vous les reprochez tous:
Aussi ne consulte-t-on guère

De vos tranquilles eaux le fidèle cristal;
On évite de même un ami trop sincère.
Ce déplorable goût est le goût général.

Les leçons font rougir; personne ne les souffre:
Le fourbe veut paraître homme de probité.
Enfin, dans cet horrible gouffre
De misère et de vanité

Je me perds; et plus j'envisage
La faiblesse de l'homme et sa malignité,
Et moins de la divinité

En lui je reconnais l'image.

Courez, ruisseau, courez, fuyez-nous; reportez Vos ondes dans le sein des mers d'où vous sortez, Tandis que, pour remplir la dure destinée

Où nous sommes assujettis,

Nous irons reporter la vie infortunée

Que le hasard nous a donnée,

Dans le sein du néant d'où nous sommes sortis.

Par Mme DESHOULIÈRES.

LA PROMESSE TROP BIEN GARDÉE.

DAPHNIS ET PHILIS.

Au sein d'un doux sommeil Daphnis sous un feuillage

Du midi bravait les fureurs,

Lorsqu'il sentit un nuage de fleurs

Qui par flocons légers volait sur son visage.
Il ouvre un peu les yeux, et sur l'herbe à deux pas
Il aperçoit Philis qui lui tendait les bras.

S'il voulut s'y jeter c'est chose vaine à dire:
Mais des fleurs l'enchaînaient; il le voulut en vain:
Et voilà que Philis se mit si fort à rire,

Que son bouquet s'échappa de son sein.
Ah! méchante, dit-il, tu ris; mais de ma chaîne
Dans un moment je vais me dégager,

Et tu verras si je sais me venger.

Il eut beau se débattre, il y perdit sa peine.
Te venger! dit Philis. Oui, si je romps tes nœuds:
Mais si je le faisais, çà, voyons, et pour cause,
Dis, comment prétends-tu te venger? - Oh! je veux
Te donner tant de baisers amoureux,

Que ta joue en sera rouge comme une rose.
-Oui dà! si c'est ainsi, tenez, mon cher Daphnis,
Riez, pleurez, mettez-vous en colère;

Point ne vous délierai que ne m'ayez promis

De ne point m'embrasser pendant une heure entière.
-Philis, comment veux-tu?-Philis s'obstine.-Hé bien,
Soit, pas un seul baiser. Philis alors s'empresse
De rompre ses nœuds. Le moyen,

Disait-elle tout bas, qu'il tienne sa promesse !
Mais lui pour se venger contraignit son desir;
Sans l'embrasser il reste assis près d'elle.
Un moment passe et deux; on hasarde un soupir,
Puis un coup d'œil, puis un mot. Le rebelle

Voit, entend tout cela sans se laisser fléchir.
-Daphnis, dit-elle enfin, l'heure est, je crois, passée.
- A peine est-elle commencée,
Répondit-il. Philis sourit,

Non toutefois sans un secret dépit.

Elle attend; mais bientôt d'un air d'impatience:
Oh! sûrement l'heure vient de passer.

-Y penses-tu? - Qu'importe; allons, plus de vengeance.
Comment as-tu donc fait pour ne pas m'embrasser?
Dans ses mains aussitôt la belle avec adresse
Cache à demi son front. Le berger triomphant
Par cent baisers alors satisfait sa tendresse.
Il gagnait de bien peu; las! encore un moment
L'Amour emportait sa promesse.

Par BERQUIN.

L'INNOCENCE DE L'AMOUR.

LUCINDE ET ZERBIN.

ZERBIN.

Oma chère Lucinde, écoute:
Je crains de m'abu ser; est-ce toi que je voi?

LUCINDE.

Tu ne t'abuses pas; oui, Zerbin, oui, c'est moi.

ZERBIN.

J'ai beau te regarder, j'en doute;
Mes yeux peuvent m'en imposer:
Pour en être plus sûr laisse-moi t'embrasser.

LUCINDE.

Zerbin, nous sommes au village;

Ce n'est pas ici comme aux champs:

Sais-tu bien que ces lieux sont pleins d'esprits méchans Qui font passer pour crime un simple badinage.

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