Images de page
PDF
ePub

ZERBIN.

Peut-on être fâché que nous soyons heureux?

LUCINDE.

On dit que c'est l'honneur qui nous défend ces jeux.

ZERBIN.

L'honneur a tort de les défendre.

Va, ma chère Lucinde, il n'y faut plus penser;
Laisse là cet honneur, et permets-moi de prendre
Un baiser sur ta main, seulement un baiser.

LUCINDE.

Volontiers... Mais, ô ciel! qu'est-ce donc qui t'agite?

ZERBIN.

C'est un mal inconnu qui fait que je palpite.

LUCINDE.

Hélas, Zerbin, ce mal est-il bien douloureux?

ZERBIN.

Je suis comme un enfant à qui tout fait envie;
Quand j'ai pris un baiser j'en voudrais prendre deux:
Ai-je baisé ta main, je veux baiser tes yeux.
Cette envie est encor de mille autres suivie...
D'où cela vient-il done? Lucinde, apprends-le-moi.

LUCINDE.

Je te le demande à toi-même.

ZERBIN.

Tu dois mieux le savoir; j'ai moins d'esprit que toi.

LUCINDE.

Pourtant je n'en sais rien.

ZERBIN.

Ma surprise est extrême!

Je suis ravi quand je te voi;

Cependant je frissonne en t'abordant... Pourquoi?

LUCINDE.

Et d'où vient suis-je triste, inquiète, abattue
Quand je dois être un jour, un seul jour sans te voir?
Je voudrais au matin que la nuit fût venue;

Je soupire en voyant le soir:

Parais-tu, je rougis et je baisse la vue........
Pourquoi ce tourment-là? je voudrais le savoir.

[blocks in formation]

Je crois que c'est plutôt le tien;

Car sitôt que je touche à ton joli corsage

Voilà qu'un feu subit se répand dans mon sein...

LUCINDE.

Tu sais quand nous jouons combien je suis joyeuse:

Cependant...

ZERBIN.

Cependant?

LUCINDE.

J'ai par fois du chagrin;

Tout à coup je deviens taciturne, rêveuse;

Et je ne sais pas à la fin

Quels jeux il me faudrait pour que je fusse heureuse.

ZERBIN.

Quand les jeux t'ennuieront tu n'as qu'à les quitter;
Je t'apprendrai des chansonnettes:
Quand tu ne voudras plus chanter
Je sais beaucoup d'historiettes,
Je pourrai te les raconter:

Puis d'autres passe-tems rempliront notre vie.
En variant ainsi nos jeux et nos discours
Nous verrons s'écouler nos jours

Comme le ruisseau pur qui fuit dans la prairie.

LUCINDE.

Hélas! contre ma peine inutile secours

Souvent tu m'entretiens dès la naissante aurore Jusqu'au tems où la nuit recommence son cours; Quand nous nous séparons il me semble toujours Que tu n'as point tout dit encore.

ZERBIN.

Je dis ce que je sais; mais il est, je le voi,
Bien d'autres choses que j'ignore.

LUCINDE.

C'est ce que j'imagine; et toi, Zerbin, et toi,
Es-tu toujours content, toujours gai près de moi?

ZERBIN.

Toujours, Lucinde, hormis quand ce mal me tourmente:
Je sens alors en moi je ne sais quelle ardeur;

Je voudrais t'embrasser, te serrer sur mon cœur:
Je t'embrasse, te serre.... et rien ne me contente.

LUCINDE.

Ah! je me doutais bien que tu souffrais aussi.
Mais par quelle étrange disgrace

Notre bonne amitié nous gêne-t-elle ainsi?
Plus j'y rêve, Zerbin, plus cela m'embarrasse.

ZERBIN.

Serait-ce quelque sort qu'on nous aurait jeté?

LUCINDE.

O ciel, que dis-tu là! nous serions bien à plaindre!

ZERBIN.

C'est qu'il est des bergers dont on a tout à craindre: On dit que d'un seul mot ils ôtent la santé.

LUCINDE.

Les méchans! pourquoi nuire à ma félicité?
Jamais à leurs troupeaux je n'ai fait de dommage.

FROSINE, qui les avait écoutés sans étre
aperçue.

Est-il possible qu'à leur âge

On ait tant de simplicité!

Tome XI.

21

LUCINDE, à Frosine.

Ah! vous m'avez fait peur.

ZERBIN.

Pourquoi donc nous surprendre?

FROSINE.

Calmez-vous, mes enfans; je viens de vous entendre; Je sais quel est le mal que vous souffrez tous deux, Et j'ai pour le guérir des secrets merveilleux.

LUCINDE, à Zerbin.

N'est-ce pas de ces gens qui font des sortilèges?
ZERBIN, à Frosine.

Mais vous ne venez pas pour nous tendre des pièges?
Vous auriez tort; Lucinde et moi
Nous sommes de si bonne foi!

FROSINE.

Non: soyez rassurés; je viens pour vous instruire.

LUCINDE.

Et ce mal, s'il vous plaît, comment l'appelle-t-on?

FROSINE.

Ecoutez, je vais vous le dire;

Mais ne vous vantez pas de connaître son nom:
C'est l'amour.

« PrécédentContinuer »