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Puis-je espérer encor d'être belle à tes yeux?

Semblable à ces flambeaux, à ces lugubres feux

Qui brûlent près des morts sans échauffer leur cendre,
Mon amour sur ton cœur n'a plus rien à prétendre;
Ce cœur anéanti ne peut plus s'enflammer:
Héloïse t'adore, et tu ne peux l'aimer!

Ah! faut-il t'envier un destin si funeste?
Abeilard, ces devoirs, ces lois que je déteste,
L'austérité du cloître et sa tranquille horreur,
A ton cher souvenir rien n'arrache mon cœur:
Soit que ton Héloïse, aux pleurs abandonnée,
Sur la tombe des morts gémisse prosternée;
Soit qu'aux pieds des autels elle implore son Dieu,
Les autels, les tombeaux, la majesté du lieu,
Rien ne peut la distraire, et son ame obsédée
Ne respire que toi, ne voit que ton idée;

Dans nos cantiques saints c'est ta voix que j'entends.
Quand sur le feu sacré ma main jette l'encens,
Lorsque de ses parfums s'élève le nuage,
A travers sa vapeur je crois voir ton image:
Vers ce fantôme aimé mes bras sont étendus;
Tous mes vœux sont distraits, égarés et perdus.
Le temple orné de fleurs, nos fêtes et leur
Tout ce culte imposant n'a plus rien qui me trompe.
Quand, autour de l'autel, brillant de mille feux,
L'ange courbe lui-même un front respectueux,
Dans l'instant redouté des augustes mystères,
Au milieu des soupirs, des chants et des prières;

pompe,

Quand le respect remplit les cœurs d'un saint effroi, Mon cœur brûlant t'invoque, et n'adore que toi.

Mais que dis-je? O destin! ô puissance suprême!
Quelle main me déchire et m'arrache à moi-même?
Tremble, cher Abeilard; un dieu parle à mon cœur:
De ce dieu, ton rival, sois encor le vainqueur;
Vole près d'Héloïse, et sois sûr qu'elle t'aime.
Abeilard dans mes bras l'emporte sur Dieu même.
Oui, viens... ose te mettre entre le ciel et moi;
Dispute-lui mon cœur... et ce cœur est à toi.
Qu'ai-je dit? Non, cruel! fuis loin de ton amante;
Fuis, cède à l'Eternel Héloïse mourante;
Fuis, et mets entre nous l'immensité des mers;
Habitons les deux bouts de ce vaste univers.
Dans le sein de mon Dieu quand mon amour expire,
Je crains de respirer l'air qu'Abeilard respire;
Je crains de voir ses pas sur la poudre tracés:
Tout me rappellerait des traits mal effacés.

Du crime au repentir un long chemin nous mène,
Du repentir au crime un instant nous entraîne.
Ne viens point, cher amant; je ne vis plus pour toi;
Je te rends tes sermens, ne pense plus à moi.
Adieu, plaisirs si chers à mon ame enivrée!
Adieu, douces erreurs d'une amante égarée!
Je vous quitte à jamais, et mon cœur s'y résout:
Adieu, cher Abeilard, cher époux... adieu tout!

Mais quelle voix gémit dans mon ame éperdue?
Ah! serait-ce... Oui, c'est elle, et mon heure est venue.
Une nuit... je veillais à côté d'un tombeau,

La torche funéraire, obscur et noir flambeau,
Poussait par intervalle un feu mourant et sombre:
A peine il s'éteignit et disparut dans l'ombre,
Que du creux d'un cercueil des cris, de longs accens
Ont porté jusqu'à moi cette voix que j'entends:
« Arrête, chère sœur; arrête, me dit-elle;

<< Ma cendre attend la tienne, et ma tombe t'appelle: «Du repos qui te fuit c'est ici le séjour.

<< Comme toi j'ai vécu victime de l'amour;
<< Comme toi j'ai brûlé d'un feu sans espérance:
« C'est dans la profondeur d'un éternel silence
<«< Que j'ai trouvé le terme à mes affreux tourmens.
<< Ici l'on n'entend plus les soupirs des amans;
<< Ici finit l'amour, ses soupirs et ses plaintes;
<< La piété crédule y perd aussi ses craintes.

<< Meurs, mais sans redouter la mort ni l'avenir:

<< Ce Dieu que l'on nous peint armé pour nous punir, << Loin d'allumer ici des flammes vengeresses,

<< Assoupit nos douleurs, et pardonne aux faiblesses. » O mon Dieu! s'il est vrai, si telle est ta bonté, Précipite l'instant de ma tranquillité.

O grâce lumineuse! ô sagesse profonde!
Vertu, fille du ciel, oubli sacré du monde,
Vous qui me promettez des plaisirs éternels,
Emportez Héloïse au sein des immortels.
Tome XI.

Je me meurs... Abeilard, viens fermer ma paupière;
Je perdrai mon amour en perdant la lumière:
Dans ces derniers momens viens du moins recueillir
Et mon dernier baiser et mon dernier soupir.

Et toi, quand le trépas aura flétri tes charmes,
Ces charmes séducteurs, la source de mes larmes;
Quand la mort de tes jours éteindra le flambeau,
Qu'on nous unisse encor dans la nuit du tombeau;
Que la main des Amours y grave notre histoire;
Et que le voyageur, pleurant notre mémoire,
Dise: Ils s'aimèrent trop; ils furent malheureux:
Gémissons sur leur tombe, et n'aimons pas comme eux.
Par COLARDEAU.

FRAGMENT

D'UNE RÉPONSE

D'ABEILARD A HELOISE.

QU'AI-JE lu! qu'as-tu fait, malheureuse Héloïse !

Au joug de tes devoirs je te croyais soumise;
Je croyais que ton cœur, puni d'avoir aimé,
A de froids sentimens s'était accoutumé.
Moi-même, plus tranquille et dans la solitude,
Sous le poids de mes fers courbé par l'habitude,
Inconnu, séparé du reste des mortels,
N'adorant que le Dieu dont je sers les autels,
J'oubliais qu'Héloïse, aux larmes condamnée,
Achevait loin de moi sa triste destinée;

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