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Qu'aurais-je fait alors? tes yeux pleins de tendresse
Par des larmes semblaient accuser ma faiblesse.
Il fallait t'éviter. Ce nouveau culte, hélas !
Dut fixer un amant arraché de tes bras:

Mais qu'il est languissant! quelle faible puissance
En captivant mon cœur y laisse un vide immense?

La nature pour moi n'est qu'un désert affreux
Où parmi des débris se traîne un malheureux.
Sur les plus beaux objets ma vue appesantie
Etend le voile épais dont elle est obscurcie:
Le soleil, que toujours je préviens par mes pleurs,
Ne trace pour moi seul qu'un cercle de douleurs;
Le silence des bois, le cristal des fontaines,
La verdure, les fleurs et l'émail de nos plaines,
D'un ciel pur et serein le spectacle riant,
Ne font que redoubler mon ennui dévorant.
Je cherche les rochers et les antres funèbres;
J'aime à m'ensevelir dans l'horreur des ténèbres:
Là, plein de mon outrage, indigné de mes fers,
Je voudrais me cacher aux yeux de l'univers;
Là j'appelle Héloïse, et, dans ma sombre ivresse,
Je crois entendre encor ta voix enchanteresse:
Un lamentable écho, sur les ailes des vents,
Semble me renvoyer tes longs gémissemens;
Et, sans cesse frappant mon oreille surprise 9
Répète en sons plaintifs : Héloïse!... Héloïse !...
Jusque dans le repos ton image me suit;
Je soupire le jour, et je brûle la nuit;

Et quand je crois saisir, embrasser ce que j'aime,
A mes regards confus je disparais moi-même...
Cette nuit même un songe, un songe séducteur
Avait rempli mes sens de leur première ardeur;
J'expirais sur ton sein, et mon ame enivrée
Errait avec transport sur ta bouche adorée.
O douce illusion! ô funeste réveil!

Mon rapide bonheur fuit avec le sommeil!
Jetant les yeux sur moi j'ai détesté tes charmes:
Ils ont fait mes plaisirs; ils m'arrachent des larmes.
Quel état! Mais pourquoi t'offrir ces noirs tableaux,
Et t'accabler encor du récit de mes maux?

Retrace-toi plutôt ce moment de ma gloire
Où l'Amour malgré toi m'accorda la victoire.
L'astre du jour baissait, un vent paisible et frais
Se jouait à travers les ombres des forêts:

Je volai dans tes bras, et ta pudeur secrète
Au lieu de te défendre assura ta défaite.
Quels transports redoublés! hélas! t'en souviens-tu?
Abeilard triomphait dans ton cœur combattu.
Ta voix éteinte en vain me reprochait mon crime;
J'embrasais de mes feux ma mourante victime:
La foudre aurait grondé je n'entendais plus rien,
Heureux par mon transport, plus heureux par le tien!

La bienfaisance alors, sûre de mon hommage,
Pour entrer dans mon cœur empruntait ton image.

En vain mes ennemis, ardens persécuteurs,
Diffamaient saintement mes écrits et mes mœurs,
Pour mieux m'assassiner se paraient d'un beau zèle,
Semblaient d'un dieu vengeur embrasser la querelle,
Et, défendant partout qu'on osât m'approcher,
Déjà pour plaire au ciel allumaient mon bûcher;
Je riais sur ton sein de leur haine farouche,
Et j'étais consolé par un mot de ta bouche;
Je plaignais ces mortels, ces savans ténébreux,
Toujours vils et cruels, et souvent dangereux;
J'oubliais avec toi ces absurdes systêmes,
Démentis l'un par l'autre, et distraits par eux-mêmes;
Et je savais unir par un heureux lien

Les plaisirs d'un amant aux devoirs d'un chrétien...

Si j'étais près de toi peut-être, chère amante,
Tu pourrais ranimer ma force languissante;
Dans tes yeux je verrais éclore un nouveau jour:
La nature obéit aux ordres de l'amour:
Je te verrais du moins, contente d'un vain songe,
Te prêter aux efforts d'un pénible mensonge...

Hé bien! dût l'Eternel s'élever contre moi,
Je romps tous mes liens, et je vole vers toi:
Toi seule de mon cœur tu peux remplir l'abyme:
Si mon amour te plaît je le crois légitime.
Héloïse m'appelle, Héloïse m'attend;

Je mourrai dans ses bras, et je mourrai content,

D'une religion aussi triste qu'austère

Je suis las de traîner la chaîne involontaire;
Consumé de regrets, sous le joug abattu,

Dans le vil esclavage il n'est point de vertu:
Je préfère Héloïse à mes vœux, au ciel même;
Et, fût-ce un crime enfin, c'est un crime que j'aime.

Je reverrai ces lieux par mes mains élevés,
A l'innocence ouverts, par tes soins cultivés!
Ces lieux où la vertu, fière de son supplice,
S'impose les ennuis et la peine du vice!
Dans ce réduit obscur, séjour du repentir,
Tu reverras briller les rayons du plaisir!

Malheureux! pour moi seul ce mot est un outrage;
Puis-je réaliser une si douce image?

Moi j'irais dans des lieux où tes jeunes appas
Livreraient à mon cœur d'inutiles combats!
La beauté gémissante assiégerait sans cesse,
Sans cesse irriterait ma honteuse faiblesse !
Je verrais dans les pleurs éteindre tes beaux jours,
Et sans jamais jouir je brûlerais toujours!...

Que dis-je? tout fuirait un mortel déplorable
Que le desir dévore, et que son être accable;
Et toi-même, évitant la trace de mes pas,
Tu maudirais l'amour expirant dans mes bras.
Sous un chêne brisé par les coups du tonnerre
Voit-on se reposer la timide bergère?

Voit-on dans la prairie un essaim attaché
Sur le pavot mourant, ou le lis desséché?

C'en est fait; étouffons un espoir inutile:
Pour les infortunés la tombe est un asile.
Va, cesse de chérir un fantôme d'amant,
Que l'amour seul anime et dispute au néant.
A conserver ton cœur est-ce à moi de prétendre?
Lorsque l'amant n'est plus adore-t-on sa cendre?
Ferme, ferme l'oreille à ma mourante voix:
J'expire... Dieu te parle... obéis à ses loix.
Dans l'ombre de son temple ensevelis tes charmes;
Offre à ce Dieu jaloux tes amoureuses larmes;
Des plus funestes feux éteins le souvenir:
Je n'exige de toi que ton dernier soupir.

Par DORAT.

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