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Quoi! tu brûles pour moi, tu m'inspires ton feu,
Tu me quittes, je meurs.... et ce n'est là qu'un jeu !
Ah, Phaon! à ton cœur je rends plus de justice:
Ton amour pourrait-il n'être qu'un vain caprice?
Ne m'as-tu pas cent fois dit dans ces mêmes lieux
Qu'un amant infidèle était un monstre affreux?

Du plus tendre des dieux mère plus tendre encore,
Déesse des plaisirs, ô Vénus! je t'implore;
Toi qui, propice aux vœux d'un mortel enflammé,
Donnas un cœur sensible au marbre inanimé,
A mes cris pourrais-tu n'être pas favorable?
Il ne faut point toucher une ame inexorable:
Je te demande, hélas! qu'en ces lieux rappelé
Phaon brûle des feux dont son cœur a brûlé.

Dès l'instant que pour toi je conçus cette flamme,
L'Amour en traits de feu t'a gravé dans mon ame:
Je ne vis que pour toi; je t'aime avec fureur,
Et rien ne peut jamais t'arracher de mon cœur.
Quand par l'éclat du jour la nuit est effacée,
Ton image, Phaon, vit seule en ma pensée;

Et, par le doux sommeil quand mes maux sont calmés,
Un songe vient t'offrir à mes regards charmés:
Je te vois t'avançer à ma voix qui t'appelle;
Tu souris.... dans tes yeux le plaisir étincelle.
Je renais à l'instant; tous mes sens sont émus:
Je vole t'embrasser.... et ne te trouve plus!

Juste ciel! quel réveil à mon repos funeste!

Je n'ai plus mon amant.... et mon amour me reste!

O nuit, charmante nuit favorable à l'amour,
Nuit cent fois à mon gré plus belle que le jour,
Par tes illusions reviens tromper mon ame,
Sans cesse montre moi cet objet qui m'enflamme,
Et, par le faux plaisir d'un mensonge charmant,
Viens de la vérité m'épargner le tourment!

Est-il vrai, cher Phaon, que ta main infidelle
Ait rompu pour jamais une chaîne aussi belle?
De quoi peux-tu te plaindre? ai-je trahi ta foi?
Dans mon cœur un rival l'emporte-t-il sur toi?
Ai-je franchi des mers cet immense intervalle
Pour troubler ton repos et braver ma rivale?
Tu ne te plains de rien, ingrat, et tu me fuis!
Tu me laisses en proie aux plus tristes ennuis!
Non, cruel! ne crois pas que ma trop juste haine,
Sans cesse menaçante et sans cesse incertaine,
En frivoles transports s'exhalera toujours;
Que tu sois maître encor d'en arrêter le cours:
Des cœurs tels que le mien portent tout à l'extrême:
Si j'aime avec fureur, je déteste de même.

Je te suivrai partout; partout mes tristes vers
Publieront mon amour, ta fuite et mes revers:
On saura que Sapho, de son siècle admirée,
Sapho des plus grands rois vainement adorée,
Tome XI.

Parmi la foule obscure a daigné te choisir;
Qu'elle fit de te voir son unique plaisir;

Que, feignant de l'aimer et la bravant sans cesse,
Ingrat, tu connus peu le prix de sa tendresse;
Qu'avec tranquillité préparant son malheur,
Tu te plus à plonger un poignard dans son cœur.
Que dis-je? penses-tu qu'une amante se porte
De l'amour le plus tendre à l'horreur la plus forte?
Hélas! tu ne sais pas combien dans ce moment
Il en coûte à mon cœur d'offenser mon amant!
Mon ame s'abandonne aux douleurs les plus vives;
Mais si Phaon revient, si dans peu sur ces rives
Sa bouche de mes maux daignait me consoler,
Oui, dans ses bras encore il me verrait voler.
Hé quoi! de te revoir n'ai-je plus d'espérance?
Sapho plus que la mort craint ton indifférence.
De tes retardemens mon cœur est alarmé.
Grands dieux ! qu'il est affreux de cesser d'être aimé!
Le soleil qui me luit m'offre un jour que j'abhorre.
Puis-je, mon cher Phaon, te perdre et vivre encore?
Tu me fuis!... Ah, cruel! que ne puis-je à mon tour
Etouffer dans mon cœur les flammes de l'amour!
Mais ce feu dévorant qui brûle dans mes veines,
Accru par mes plaisirs, croît encor par mes peines.
Il est vrai, la nature, avare en ses bienfaits,
Ne m'a point prodigué les plus brillans attraits;
Cependant l'autre jour, rêvant sur ce rivage,
Dans le miroir des eaux j'aperçus mon image:

Si cette onde est fidèle et ne me trompe pas,
On pourrait à Sapho trouver quelques appas:

Et d'ailleurs ce talent qu'admire en moi la Grèce,
Qui me fait mettre au rang des nymphes du Permesse,
Ce luth que je touchais pour toi si tendrement,

Ne peut-il remplacer un fragile agrément?

Va, crois-moi, la beauté dont ton orgueil se vante
Est semblable à la fleur, à la rose éclatante
Qui naît avec l'aurore et meurt avec le jour.

Dans les premiers accès de ton naissant amour
Tu craignais que Sapho ne devînt infidèle:

«Que mon cœur, disais-tu, te serve de modèle;
<< Hélas! puissions-nous être unis jusqu'au trépas!... »
Et maintenant tu fuis!... Non, tu ne m'aimais pas;
Ton hypocrite cœur ne sut jamais que feindre,
Et ce cœur inconstant est las de se contraindre:

Si

par de vains transports tu flattais mon tourment, Je les dus au caprice, et non au sentiment.

Mesyeux s'ouvrent enfin: brûlant pour d'autres charmes,
Phaon, glacé pour moi, triomphe de mes larmes.
Quoi! je saurais qu'une autre aurait pu t'enflammer,
Et je vivrais encore et vivrais pour t'aimer!
Qui, moi t'aimer, cruel! moi chérir un perfide
Qui brave ses sermens, que l'inconstance guide,
Et qui, tout orgueilleux de ses faibles attraits,
Sait inspirer des feux, et n'en ressent jamais!
Va, ne te flatte pas que ta beauté funeste
Nourrisse dans mon cœur des feux que je déteste.

Quand l'Amour à mes pieds t'enchaînait sous ma loi,
Phaon tendre et fidèle était un dieu pour moi;
Mais Phaon inconstant, et surtout inflexible,

A mes yeux indignés n'est plus qu'un monstre horrible.
Et vous,
terribles dieux, implacables vengeurs,
Dieux justes qui lisez dans l'abyme des cœurs,
Vous dont l'œil est ouvert sur toute la nature,
Vous saviez
que Phaon était traître et parjur,
Et vous ne pouviez pas, propices à mes vœux,
Soulever contre lui les vents impétueux!

Quoi! ces mers, quoi! ce ciel, si fameux par l'orage,
Ont par un calme heureux secondé son passage!
Grands dieux, pour qui la foudre est-elle dans vos mains?
Favorisez-vous donc les crimes des humains?
Oui, cruel! je te livre à leur juste vengeance!
Que ce terrible mont, témoin de ta naissance,
Barbare, soit aussi témoin de ton trépas!

Que ses gouffres brûlans s'entr'ouvrent sous tes pas!
Ou
que
du haut des airs la foudre étincelante
Sur toi tombe en éclats, et venge ton amante!...
Mais, hélas! où m'égare un vain emportement?
Ma bouche te menace, et mon cœur la dément.
Dieux, ne m'exaucez point; épargnez ce que j'aime:
Ah! frapper mon amant c'est me frapper moi-même!
Et toi, mon cher Phaon, pardonne à mon courroux;
Peut-on sentir l'amour, et n'être point jaloux!
Viens; que je puisse, au gré de ma brûlante flamme,
Me livrer toute entière aux transports de mon ame;

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