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La première candeur, présent de l'innocence,
La constante amitié, même la bienfaisance,

Ce

rayon émané de l'astre qui nous luit,

Hélas! j'ai tout perdu! le monde a tout détruit;
Le monde, affreux chaos d'intrigue et d'injustices,
Où l'intérêt confond les vertus et les vices,
Où l'orgueil insolent dégénère en fureurs,
Où l'esprit personnel a desséché les cœurs,
Où le luxe au front d'or des cieux atteint la cime,
Et de ses pieds d'airain presse un immense abyme.
O monde! je te hais... j'ai tiré le rideau,

Et j'échappe au danger par l'horreur du tableau.

Jeté dans tes détours, j'ai vu la perfidie,
Par son impunité bassement enhardie,
De mes crédules vœux cherchant à s'emparer,
Approcher de mon cœur pour le mieux déchirer.
J'ai vu des hommes bas, insolens et perfides,
A force d'être vils devenus intrépides,
De honte enveloppés, méchans avec froideur,
Tourner à leur profit jusqu'à leur déshonneur.

J'ai connu l'envieux et ses pâles alarmes;
Tous mes faibles succès ont fait couler des larmes:
La gloire en me trompant ne me suffisait pas;
Mes amis les plus chers furent les plus ingrats:
Je méprisai la haine, et je fus sa victime:
On déteste encor plus l'ennemi qu'on estime....

Dieu! combien de serpens, réchauffés dans mon sein,
Pour le prix de mes soins m'ont soufflé leur venin!
C'est alors que, traînant ma vague inquiétude,
J'ai dans le tourbillon trouvé la solitude.
Il fallut craindre, hélas! ce que j'avais aimé;
J'ai détourné les yeux, et mon cœur s'est fermé.

Eh! pouvait-il s'ouvrir à tous ces vains sectaires,
Despotes déguisés, novateurs téméraires,
Corrupteurs des esprits sous leur joug abattus,
Sous les opinions éteignant les vertus;
Esprits intolérans dont l'inquiète audace
Sape les préjugés sans rien mettre à leur place;
Qui, sous un air humain sachant l'art d'immoler,
Oppriment les mortels qu'il faudrait consoler?

Mais pourquoi retracer ces funestes images?
Laissons dans le lointain gronder les noirs orages:
Entraîné par le cours de ces mourantes eaux,
Au défaut du bonheur saisissons le repos.

Le repos!.... doux mensonge, agréable chimère,
Nous te cherchons en vain; tu n'es point sur la terre.
Je crus toucher au calme, et ce calme est affreux;
Les cœurs passionnés sont toujours malheureux:
L'imagination, trop souvent importune,

Fait

par les souvenirs prolonger l'infortune; Et ce cœur douloureux, à lui-même livré, Emporte tous les traits dont il fut déchiré.

Destin, à mes ennuis permets que je succombe:
La vie est un sommeil qui finit dans la tombe;
Et l'ame, qu'enflammaient des desirs vertueux,
Comme un rapide éclair prend son vol dans les cieux.
Trop heureux le vieillard dont l'heure enfin arrive,
Qui de la mort trop lente entend la voix tardive!
Sur sa tombe paisible, où dorment les douleurs,
Plus d'un infortuné viendra verser des pleurs:
Après de courts plaisirs il rend aux destinées
Des siècles de tourmens qu'il nommait des années.
Mais cent fois plus heureux qui tombe avant le tems,
Moissonné sur des fleurs aux jours de son printems!
S'il n'a point ceint le myrte, ornement de nos fêtes,
Il n'a point de la vie éprouvé les tempêtes;
Ses sens par le malheur n'ont pas été flétris.
Ainsi dans nos jardins où folâtrent les Ris
Se détache une rose, espérance de Flore,
Et qui s'ouvrait à peine au rayon de l'aurore.
Mais quoi! quel tourbillon, par les vents apporté,
Couvre d'un voile épais le monde épouvanté?

Aux tonnerres des monts des foudres souterraines
Au loin semblent répondre, et font gémir ces plaines
Des profondeurs des bois sort un bruit menaçant!
Ce troupeau consterné s'arrête en mugissant!
Dans le fracas des airs la nuit inattendue,
Précipitant son char, sort des flancs de la nue!
L'éclair meurt sur sa trace en y laissant l'effroi,
Et la vague écumante a monté jusqu'à moi !...

Je ne redoute rien: il est un être juste

Dont la voix me rappelle à son essence auguste;
Il ne détruira point l'ouvrage de ses mains:
Mon ame va jouir; elle échappe aux humains.
Oui, je crois au bonheur... mon dernier jour s'achève;
L'existence pour moi fut un pénible rêve;

Il finit... Ah! grand Dieu, je bénis mon trépas:
L'ami de la vertu doit tomber dans tes bras...

Tout change ce désert se transforme en bocage;
L'aquilon dans les cieux a dispersé l'orage;
De brillantes vapeurs, enveloppant les monts,
Semblent un voile d'or ceintré sur les vallons;
L'onde amoureusement embrasse la verdure;

La fleur naît, l'oiseau chante, et le zéphyr murmure,
Tout me plaît, tout s'anime en ce riant séjour:
C'est le tranquille Eden embelli par l'Amour.
Que vois-je? mille amans enchaînés sur ces rives
Rappellent en riant les Heures fugitives,
S'enivrent à longs traits d'une innocente ardeur,
Et m'offrent à l'envi le tableau du bonheur.
Où suis-je? quel rayon a dessillé ma vue?
O transports consolans dont mon ame est émue!...
Jeune et sensible encor je puis jouir comme eux:
C'est la haine et l'ennui qui font les malheureux.
Corilla! Corilla! je t'adore et tu m'aimes;
Qu'importe l'univers; n'est-il pas en nous-mêmes?
Pardonne à ce délire où s'égaraient mes sens;

Non, je ne hais plus rien, pas même les méchans. Ame compatissante, ame pure et céleste,

Que m'ont-ils enlevé, si ton amour me reste?
Je verrai ton sourire, il m'ouvrira les cieux;
Un chagrin passager n'a point éteint mes feux:
Il est tant de plaisirs que tu sauras m'apprendre!
Instruit, sauvé par toi, j'en deviendrai plus tendre,
Et ton regard, semblable au jour pur du matin,
Appaisera le trouble élevé dans mon sein;

Je sentirai l'amour, je connaîtrai l'estime;
Je plaindrai le malheur sans soupçonner le crime;
Je n'étoufferai plus l'indulgente pitié.
Revenez, revenez, plaisirs de l'amitié!

O ma lyre! chantons tout ce qui m'intéresse;
L'héroïsme de l'ame et même sa faiblesse,
L'oubli des songes vains qui m'avaient abattu,
L'Amour et Corilla, la gloire et la vertu.

Par DORAT.

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