Images de page
PDF
ePub

WERTHER A CHARLOTTE,

(Werther est dans son cabinet, auprès d'une table, sur laquelle sont des livres, un vase de fleurs, des lettres, des pistolets, etc.: il a sous les yeux le portrait de Charlotte. Minuit est l'heure à laquelle il a résolu de se donner la mort.)

APRÈS tant de projets, tant de vœux superflus,
Charlotte, j'ai fixé mes pas irrésolus:
Lorsqu'au soleil naissant s'ouvrira ta paupière
Werther ne sera plus qu'une froide poussière.

Que la nature en pleurs se couvre d'un long deuil;
Son fils, son bien-aimé va descendre au cercueil!
De tous mes sentimens elle a reçu l'hommage;
Je l'adorai surtout dans son plus bel ouvrage.

Charlotte, objet céleste, ah! lorsque ton devoir
Te défend d'écouter mon amour sans espoir,

Tes conseils, mes combats l'ont rendu plus terrible.
Qui pourrait modérer l'élan d'un cœur sensible?
Un amour malheureux s'alimente d'erreurs,
Et ses desirs trompés se changent en fureurs.
Sous un ciel embrasé, dans une immense plaine,
Sans pouvoir la saisir j'embrasse une ombre vaine.
Haletant, épuisé par un dernier effort,

Dans un autre univers je cherche un autre sort;
Je veux mourir. Le son de ta voix si touchante
Quand tu me dis de fuir me glace d'épouvante.
Ah! ne m'exile point au sein de l'amitié;
Je ne puis supporter le poids de ta pitié:
Mon courage est éteint, et mon ame est flétrie;
Le dégoût m'accompagne au banquet de la vie;
Je veux mourir. L'instant qui t'offrit à mes yeux
M'annonça le bonheur que promettent les cieux:
Autour de moi tout prit une forme nouvelle;
A tout ce que j'aimais je devins infidelle;
Ton image partout se plaça devant moi;

Mes goûts, mes vœux, mes soins se portèrent vers toi.
Je ne respirai plus qu'au sein de ta retraite:
Nos jeux calmaient l'ennui de mon ame inquiète;
Tu ne me cachais point tes plaisirs, tes douleurs;
Je pouvais y mêler et ma joie et mes pleurs:
Et j'irais, poursuivant de brillantes chimères,
Porter sur d'autres biens mes regards adultères!

Signalant sur mon front ma honte et mes revers,
J'égarerais mes pas dans un monde pervers,
Où le vil intérêt, plus fort que la nature,
Est seul des actions la règle et la mesure;

Où, soumis en esclave à d'arbitraires lois,
L'homme pour de faux biens a vendu tous ses droits;
Où le vice triomphe, où l'intrigue prospère,
Où la vertu languit au sein de la misère;
Où le charlatanisme, heureux et couronné,
Insulte aux longs soupirs du génie enchaîné,
Et, pour lui seul ouvrant les sentiers de la gloire,
Proclame sans pudeur sa facile victoire!

Ton amant attendrait son destin d'un coup d'œil
De ces prétendus grands, pleins d'audace et d'orgueil,
Qui, dans leurs volontés n'éprouvant point d'obstacles,
De la vérité sainte ont proscrit les oracles!
Le dirai-je? en leur cercle on ne vit un instant:
Ma présence y fit naître un murmure insultant.
Il eût fallu du sang pour assouvir ma rage;
Mais les grands savent-ils réparer un outrage?
Cet affront, je l'avoue, est resté sur mon cœur.
Je veux mourir; la tombe est pour moi sans horreur.
Mourir! de cet espoir l'infortuné s'enivre;
Mais que disent ces mots : mourir, cesser de vivre?
Au moment où j'écris, plein de force et d'amour,
Dans une heure de toi séparé.... sans retour....
Cet abyme de mort, où vivant je me plonge,
Ressemble aux noirs tableaux que présente un vain songe;

Et ce mot, effrayant par son lugubre son,
Sans éclairer l'esprit égare la raison.

Une amie enchaîna ma première jeunesse:
Elle mourut. Cédant à ma sombre tristesse,
Je suivis le cercueil jusqu'au sein des tombeaux.
Les sons du triste airain, et les pâles flambeaux,
Et les sanglots mêlés aux funèbres cantiques,
L'écho les prolongeant sous des voûtes antiques,
Tout dans un nouveau trouble avait jeté mon cœur;
Mais, Charlotte, comment te peindre ma terreur
Lorsqu'aux premiers rejets de l'insensible terre
Résonna sourdement l'asile mortuaire?

Le bruit devint plus sourd, tel que dans un lointain;
Le bruit, encor plus sourd, ne fut plus qu'incertain.
Seul et ne voyant rien au-delà de ma perte,
J'osai porter mes yeux sur la fosse couverte,
Et tombai tout à coup tremblant, inanimé.
Ah! pour sentir ces maux il faut avoir aimé;
Mais ces sons, ces apprêts, ces images funèbres
Ont laissé mon esprit flottant dans les ténèbres.
Non, Charlotte, la mort ne peut se concevoir.

Rappelle-toi ce jour, et d'alarme et d'espoir,
Où de jeunes amis l'élite rassemblée
Par l'orage un moment vit sa fête troublée:
Dans ce désordre heureux, si propice à l'amour,
Mon cœur s'ouvrit à toi; tes beaux yeux à leur tour

M'offrirent du chagrin l'expression plaintive.
Le nom d'Albert sortit de ta bouche craintive;
Ta main était promise: ô regrets! ô douleurs!
Tu ne pouvais parler, tu me donnas des fleurs.
La nuit je fus long-tems prosterné devant elles;
Mais ces impressions ne sont point éternelles;
Les fleurs, les souvenirs, la beauté, les regrets,
Tout s'éteint mon amour ne s'éteindra jamais.
Non, l'ame que ma bouche aspira sur tes lèvres,
Cette soif de jouir, ces dévorantes fièvres,
Sources de voluptés, de pleurs et de tourmens,
Où s'avivent les cœurs des malheureux amans,
Enfin ce que l'on sent de plaisirs et d'extase
Quand par de longs baisers on s'émeut, on s'embrase,
Tout cela ne craint rien ni du tems ni du sort:
Ne point aimer voilà le signe de la mort.

Tu le sais, oui, malgré ton austère sagesse,
Tes soins pour me guérir d'une fatale ivresse,
L'impérieux amour a blessé ta raison.

Tu t'abreuves aussi de son cruel poison;

Oui, tu m'aimes; en vain tou devoir en murmure:
Ah! peut-on résister au vœu de la nature!
Peut-on mettre à la vaincre une horrible vertu!
Elle parlait; je meurs pour avoir combattu.

Laissons nos préjugés; ton hymen fut un crime,
Le noeud que tu formas ne fut point légitime,
Albert: lorsque deux cœurs, l'un vers l'autre attirés,
Sont unis par l'amour, ces liens sont sacrés.

« PrécédentContinuer »