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Quels autres intérêts, quels pouvoirs et quels titres
Peuvent de leurs destins devenir les abitres?

Peut-on les séparer sans offenser le ciel,

Sans se rendre à la fois et vil et criminel?
Non, d'indiscrets sermens, ni les mœurs, ni l'usage
Ne légitiment pas un barbare esclavage.

Je vais donc expier le forfait de nos lois!
Expier! qu'ai-je dit? je rentre dans mes droits.
La mort aux vrais amans ne peut être fatale;
De la terre et des cieux franchissant l'intervalle,
Ils meurent pour renaître au sein des voluptés:
Dieu qui vit mes tourmens m'appelle à ses côtés.

Je te baise cent fois, arme libératrice

Que Charlotte toucha de sa main bienfaitrice!
Je te tiens d'elle-même. Elle a tremble, dit-on:
Elle a tremblé! Pourquoi? De sa triste prison
L'infortuné captif s'il le peut se délivre;
Un autre infortuné n'aspire qu'à le suivre.

O Charlotte! Werther t'attendra dans les cieux:
Pense à moi, sois tranquille, et qu'Albert plus heureux
Ecarte loin de toi les sinistres nuages;

Je vais te présenter de plus douces images.
Ecoute je dormais de mon dernier sommeil;

Un songe du printems m'offrait tout l'appareil;

Un air calme, un ciel pur, des fleurs et de l'ombrage, Des sites variés, un riant paysage

Tome XI.

7

Ornaient le cercle étroit du paisible horizon:
Mollement étendu sur un lit de gazon,

Des arbres et des champs j'admirais la parure,
D'un ruisseau fugitif j'écoutais le murmure,
Lorsqu'aux sons enchanteurs de divers instrumens
Le vallon se remplit de fortunés amans.
Figure-toi leurs jeux, leurs naïves caresses,
Leurs reproches légers, leurs rapides promesses!
Impatient, je vole au sein de leurs plaisirs,
A leurs soupirs brûlans je mêle mes soupirs;
Je t'appelle bientôt tu parais à ma vue,
Belle de ces attraits dont le ciel t'a pourvue,
Mais plus brillante encor d'amour que de beauté.
De nos embrassemens conçois la volupté!
A lui-même rendu, sans voile, sans alarmes,
O dans son abandon que l'amour a de charmes!

lents

Nous enlaçons nos bras, et marchons à pas
Dans un air embaumé, sous les dais transparens
Que forment avec art de légères guirlandes;
Et de fleurs et de fruits les modestes offrandes
Souvent ont pour accueil un timide baiser.
Tumulte de nos sens, qui pourrait t'appaiser?
Des chants harmonieux bientôt se font entendre:
Et quel concert jamais fut plus doux et plus tendre!
J'éprouvai tour à tour à ces nouveaux accords
Ce qu'amour irrité fait naître de transports,
Et ces frémissemens, ce trouble, ce délire

Qu'on voudrait prolonger, et qu'on ne peut décrire.

Dans les sentiers fleuris de ces magiques lieux
Nous laissons s'égarer les couples amoureux;
Nous suivons au hasard une route secrète :
Un bosquet odorant nous offre sa retraite:
Là dans un seul desir nos vœux sont arrêtés;
Nos sens ont pris l'essor vers d'autres voluptés;
Nos

cœurs, plus rapprochés, se parlent, s› répondent ; Nos baisers, plus ardens, se pressent, se confondent, Et dans un songe enfin j'ai connu le bonheur!

Illusion cruelle ! ô réveil plein d'horreur !

Jour affreux! tout mon sang s'est glacé dans mes veines!
Je mesure effrayé l'abyme de mes peines;

Prêt à te perdre, hélas! je veux encor te voir.
Insensé ! dans tes yeux je crois apercevoir
La même expression que leur donnait un songe;
Mais ta vertu bientôt a détruit ce mensonge.
Tu le veux, j'obéis; je pars abandonné,
Ainsi qu'un criminel à périr condamné,
De l'arrêt qui le tue accusant l'injustice.

Je cours; je voudrais être au lieu de mon supplice:
Comme un spectre hideux ton adieu me poursuit ;
Je perce avec effroi le voile de la nuit;
Et, tandis qu'à regret la lune nébuleuse
Laisse à mes pas pressés une clarté douteuse,
Jeté loin du sentier par la fougue des vents,
Je m'élance à travers les ravins, les torrens,
Et, malgré le péril gravissant la montagne,
Mon œil pénètre au sein de l'obscure campagne.

Je cherche et vois encor debout, dans les vallons,
Entouré tristement de débris, de glaçons,
De l'état de mon cœur, ô trop fidèle image!
Le saule qui souvent nous prêta son ombrage.
Hélas! que n'ai-je pu, m'élançant du rocher,
Du tableau des humains soudain me détacher,

Et, tel qu'un vent du nord dans ces horreurs profondes,
Mugir en agitant la surface des ondes!

Je m'éloigne à regret de ce mont orageux.

Près de là des tombeaux l'enclos silencieux
Offre à mes sens troublés des fantômes plus sombres:
Par degrés sur mes yeux s'épaississent les ombres;
De lamentables cris retentissent dans l'air:
J'écoute,et n'entends plus que ces mots: viens, Werther!
Mes cheveux à l'instant se dressent sur ma tête.
Malheureux! vois le port, et brave la tempête!
J'arrive le front nu, sanglant et consterné;
Devant Dieu, devant toi je tombe prosterné...

Charlotte, ce récit a fait couler tes larmes :
Ah! ne te livre point à de vaines alarmes ;
Vois plutôt, effrayé par un songe cruel,
Ton ami s'éveillant au sein de l'Eternel.
Sur le soir d'un beau jour, rêveuse, solitaire,
Si tu viens visiter mon urne funéraire,
Quand tes yeux affligés se lèveront vers moi
Je descendrai des cieux, et planerai sur toi,

Je ne verrai donc plus le beau ciel, la prairie,
Les monts, les bois, amis de la mélancolie!
Je n'entendrai donc plus le murmure des eaux,
Le doux bruit des zéphyrs et le chant des oiseaux!
Dieu d'amour et de paix, tu vois mon sacrifice;
Au dernier de mes vœux, ah! daigne être propice:

Tu sais ce que je laisse en ce lieu de douleurs;
Donne-leur la pitié qu'on refuse aux bons cœurs.

Un silence profond entoure cet asile.

Mortel infortuné, dors d'un sommeil tranquille;
Dors long-tems! le réveil te rendra tous tes maux.
Tu pourrais comme moi jouir d'un long repos;
Tu pourrais... mais j'entends sonner ma dernière heure;
Je vais quitter enfin ma profane demeure:
Déjà je ne vois plus qu'un nuage de feu;

L'arme est prête; je meurs : adieu, Charlotte! adieu!

Par LABLÉE.

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