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LA

DUCHESSE DE LA VALLIERE

A LOUIS XIV.

(Cette lettre paraît écrite le 2 juin 1674*, au moment où elle s'est rendue religieuse carmélite, sous le nom de sœur Louise de la Miséricorde.)

SIRE...

quel autre titre, en l'état où je suis, Me sied-il de donner au plus grand des Louis? Il m'est permis encor d'admirer votre gloire... Des songes trop flatteurs remplissaient ma mémoire; C'est l'instant du réveil... et j'écris à mon roi : Vous cessez de m'aimer... tout est fini pour moi!

(*) Mademoiselle de Montpensier prétendait que madame de la Vallière écrivit en effet, sous la dictée de M. de Lauzun, une lettre à Louis XIV, du couvent même des Carmélites, avant que d'y faire profession.

Vous savez si mon ame, à vous seul attachée,
De toutes vos grandeurs fut un moment touchée!
Vous m'aimâtes... l'amour me fit tout oublier.
A cet amour éteint j'ai pu sacrifier

Tout... jusqu'à la vertu : vous l'avez surmontée;
Le remords seul m'en reste... et vous m'avez quittée!
Vous ne me verrez point, les yeux noyés de pleurs,
Apporter à vos pieds ma honte et mes douleurs;
Trop peu sûre de moi, je craindrais que mes larmes
N'eussent plus de pouvoir qu'il n'en reste à mes charmes ;
Et que mon cœur, suivant des sentimens trop doux,
Si vous étiez à moi ne fût encor à vous.

Tant que je vous verrais toute votre inconstance
Me convaincrait trop peu de votre indifférence;
J'en douterais sans cesse, et mon crédule amour
En pleurant l'infidèle attendrait son retour.

Il faut qu'une barrière éternelle et barbare
Entre nous élevée à jamais nous sépare...
Pour m'arracher à vous il faut la voix d'un Dieu;
Mais cette voix l'emporte... et pour jamais... adieu!
Pour jamais!... ah! chassons cette importune image!
Le tems n'existe point; le tems fut notre ouvrage,
Et je n'aperçois plus dans sa mobilité

Qu'un fantôme fuyant devant l'éternité.

Eternité vivante, ô mon Dieu! tu m'appelles;
Je te suis... mais éteins des flammes criminelles;

Tu

Fais naître un feu plus pur par toi-même inspiré :
Seul, après mon amant, tu peux être adoré;
peux seul ranimer ma languissante vie,
Et rendre au sentiment mon ame anéantie;
Cette ame si sensible, et qu'il te plut former,
Se donne à son auteur... elle a besoin d'aimer.

Loin ces hommes cruels sous qui le faible tremble,
Nés pour faire haïr un Dieu qui leur ressemble!
Le Dieu que j'ai choisi, qui va régner sur moi,
N'est point défiguré par un indigne effroi;
Il ne s'est point offert à mon ame éperdue
Tenant entre ses mains la foudre suspendue;
Il n'a point déployé l'appareil des tourmens
Dont il devait punir mes longs égaremens.
A des traits plus chéris mon Dieu s'est fait connaître:
Il voyait ma faiblesse... il la plaignait peut-être.
Ses soins consolateurs ont été mon appui;

Il me tendait les bras en m'appelant à lui.

Il ne veut que nos cœurs; il les veut sans partage:
Je croirais l'offenser par un servile hommage.
Mon ame ne craint point son éternel courroux;
Elle est toute à mon Dieu... comme elle était à vous.
Au pied des saints autels je croirai voir encore
Le plus beau des portraits où Dieu veut qu'on l'adore.

Flatteuse illusion trop prompte à s'échapper!...
Vainement je m'égare et cherche à me tromper;

Puis-je dans ces momens me cacher à moi-même Qu'en me donnant à Dieu, c'est vous encor que j'aime?

Il est tems d'expier dans les austérités

Des sentimens si chers, que j'ai trop écoutés;
De présenter au monde, en cédant à la grace,
Et l'état que je quitte, et l'état que j'embrasse.
De mourir à toute heure... en attendant la mort...
Je me suis déjà fait un plus cruel effort!

Adieu. Si les douleurs qui seront mon partage
Peuvent du sentiment me laisser quelque usage;
Si mon cœur en secret peut former quelques vœux,
Ce sera de vous voir.... de vous savoir heureux...
De joindre les transports de mon ame charmée
Au bruit des nations et de la renommée;
D'entendre l'univers, rempli de vos exploits,
En vous applaudissant justifier mon choix.
Pardonnez-moi, grand Dieu! l'essor involontaire
D'un cœur qui se dévoue aux pieds du sanctuaire.
L'heure vient... l'airain sonne, et le glaive est tiré;
Il étincelle aux mains du pontife sacré...

On m'appelle... voici l'instant du sacrifice:

Je me soumets... cher prince... il faut qu'il s'accomplisse:
Adieu!... Quand vous lirez ces mots interrompus,
La tombe est entr'ouverte... et je ne serai plus!

Par AUG. XIMÉNÈS.

FIN DES HÉROIDES.

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