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Nos premiers poètes français ont cultivé la poésie élégiaque; quelques-uns y mirent du naturel et du sentiment. Beaucoup de petits poèmes sur des sujets touchans sont véritablement des élégies, quoiqu'ils n'en portent pas le nom. Nous en avons placé dans ce volume quelques-uns de cette na

ture.

A MA SOEUR,

SUR MA CONVALESCENCE.

Toi que la voix de ma douleur

A fait voler vers moi du sein de ta patrie,
Et qui, portant encor dans ton ame attendrie
Du spectacle de mon malheur

La douloureuse rêverie,

Après mon péril même en conserves l'horreur,
Renais, rappelle la douceur

De ton allégresse chérie,

Ma Minerve, ma tendre sœur.

Mais quoi! suis-je encor fait pour nommer l'allégress,

Et enchanter les appas,

pour

Moi qui, depuis deux mois de wortelle tristesse,
Ai vu sur ma demeure étinceler sans cesse

La faulx sanglante du trépas!

Par les songes du sombre empire, Enfans tumultueux du bizarre délire,

Mon esprit si long-tems noirci

Pourra-t-il retrouver sous ses épais nuages
Les pinceaux du plaisir, les brillantes images,
Et lever le bandeau qui le tient obscurci?
Quand sur les champs de Syracuse

Un volcan vient au loin d'exercer ses fureurs,
Aux bords désolés d'Aréthuse
Daphné cherche-t-elle des fleurs?
Dans de mâles et sages rimes

Si de l'inflexible raison

Il ne fallait qu'offrir les stoïques maximes,
Ici plus que jamais j'en trouverais le ton:
Je sors de ces instans de force et de lumière
Où l'éclatante vérité,

Telle que le soleil au bout de sa carrière,
Donne à ses derniers feux sa plus vive clarté;
J'ai vu ce pas fatal où l'ame plus hardie,
S'élançant de ses tristes fers,

Et prête à voir finir le songe de la vie,
Au poids du vrai seul apprécie

Le néant de cet univers.

Eclairé sur les vœux frivoles

Et sur les faux biens des humains,

Je pourrais à tes yeux renverser leurs idoles, Les dieux de leur folie, ouvrage de leurs mains, Et, dans mon ardeur intrépide,

De la vérité, moins timide,

Osant rallumer le flambeau,

Juger et nommer tout avec cette assurance
Que j'ai su rapporter du sein de la souffrance

Et de l'école du tombeau.

Réduit comme je fus par l'arrêt inflexible
Et de la douleur et du sort,

A demander aux dieux le bienfait de la mort,
Je te dirais aussi que cette mort, horrible
Pour le vulgaire malheureux,

Pour un sage n'est point ce spectre si terrible
Sur qui les vils mortels n'osent lever les yeux;
Et qu'après avoir vu la misère profoude
Des insectes présomptueux,

De tous les êtres ennuyeux

Dont le ciel a chargé la surface du monde,
Et qui rampent dans ces bas lieux,

Au premier arrêt de la Parque,

Sans peine et d'un pas ferme, on passerait la barque, Si la tendre amitié, si le fidèle amour

N'arrêtaient l'ame dans leurs chaînes,

Et si leurs plaisirs, tour à tour

Plus vrais et plus vifs que nos peines,
Ne nous faisaient chérir le jour.
Mais de cette philosophie

Je ne réveille point les lugubres propos:
Tu n'es faite que pour la vie;
Et t'entretenir de tombeaux,

Ce serait déployer sur la naissante aurore

Du soir d'un jour obscur les nuages épais,

Et donner à la jeune Flore

Une couronne de cyprès.

Qu'attends-tu cependant? Tu veux que ma mémoire, Retournant sur des jours d'alarmes et d'ennuis,

T'en fasse la pénible histoire:

Sur quels déplorables récits
Exiges-tu que je m'arrête!

C'est rappeler mon ame aux portes de la mort.
J'y consens; mais bannis l'effroi de la tempête;
Je la raconte dans le port.

Sur ses rameaux brisés et semés sur la terre
Par la foudre ou l'effort des vents,

Un chêne voit enfin d'autres rameaux naissans,
Et, relevé des coups d'Eole et du tonnerre,
Il compte de nouveaux printems.

Le jour a reparu : rien n'est long-tems extrême.
Tel était mon affreux tourment;

J'ai souffert plus de maux au bord du monument
Que n'en apporte la mort même:

La douleur est un siècle, et la mort un moment.
Frappé d'une main foudroyante,

Et frappé dans le sein des arts et des amours
De la santé la plus brillante

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Je vis en un instant s'éteindre les beaux jours:
Ainsi d'un ruisseau pur la naïade éplorée,
Dans une froide nuit, par le fougueux Borée
De ses plus vives eaux voit enchaîner le cours.

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