Images de page
PDF
ePub

publique. L'institution du tribunal domestique.1 suppléa à la magistrature établie chez les Grecs 2.

Le mari assembloit les parens de la femme, et la jugeoit devant eux 3. Ce tribunal maintenoit les mœurs dans la république. Mais ces mêmes mœurs maintenoient ce tribunal. Il devoit juger, nonseulement de la violation des lois, mais aussi de la violation des mœurs. Or, pour juger de la violation des mœurs, il faut en avoir.

Les peines de ce tribunal devoient être arbitraires, et l'étoient en effet car tout ce qui regarde les mœurs, tout ce qui regarde les règles de la modestie, ne peut guère être compris sous un code de lois. Il est aisé de régler par des lois ce qu'on doit aux autres; il est difficile d'y comprendre tout ce qu'on se doit à soi-même.

Le tribunal domestique regardoit la conduite générale des femmes. Mais il y avoit un crime qui, outre l'animadversion de ce tribunal, étoit encore soumis à une accusation publique c'étoit l'adultère; soit que, dans une république, une si grande violation de mœurs intéressât le gouvernement; soit que le déréglement de la femme pût faire soupçonner celui du mari; soit enfin que l'on craignît que les honnêtes gens mêmes n'aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l'ignorer que le venger.

CHAP. XI.

[ocr errors]

Comment les institutions changèrent à Rome
avec le gouvernement.

Comme le tribunal domestique supposoit des mœurs, l'accusation publique en supposoit aussi; et cela fit que ces deux choses tombèrent avec les mœurs, et finirent avec la république ".

L'établissement des questions perpétuelles, c'est-à-dirR du partage de la juridiction entre les préteurs, et la coutume qui s'introduisit de plus en plus que ces préteurs jugeassent eux-mêmes 5

1. Romulus institua ce tribunal, comme il paroît par Denys d'Halicarnasse, liv. II, p. 96.

2. Voy. dans Tite Live, liv. XXXIX, chap. vin, et suiv., l'usage que l'on fit de ce tribunal, lors de la conjuration des bacchanales on appela conjuration contre la république, des assemblées où l'on corrompoit les mœurs des femmes et des jeunes gens.

3. Il paroit, par Denys d'Halicarnasse, liv II, que, par l'institution de Romulus, le mari, dans les cas ordinaires, jugeoit seul devant les parens de la femme; et que, dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d'entre eux. Aussi Ulpien, au titre vi, § 9, 12 et 13, distingue-t-il, dans les jugemens des mœurs, celles qu'il appelle graves, d'avec celles qui l'étoient moins : « Mores graviores, mores leviores. »

4. « Judicio de moribus (quod antea quidem in antiquis legibus positum erat, non autem frequentabatur) penitus abolito. » (Leg. 11, S2, cod. de repub.)

5.

Judicia extraordinaria. »

toutes les affaires, affoiblirent l'usage du tribunal domestique; ce qui paroît par la surprise des historiens, qui regardent comme des faits singuliers et comme un renouvellement de la pratique ancienne, les jugemens que Tibère fit rendre par ce tribunal.

L'établissement de la monarchie et le changement des mœurs firent encore cesser l'accusation publique. On pouvoit craindre qu'un malhonnête homme, piqué des mépris d'une femme, indigné de ses refus, outré de sa vertu même, ne formât le dessein de la perdre. La loi Julia ordonna qu'on ne pourroit accuser une femme d'adultère qu'après avoir accusé son mari de favoriser ses déréglemens ce qui restreignit beaucoup cette accusation, et l'anéantit pour ainsi dire 1.

Sixte-Quint sembla vouloir renouveler l'accusation publique 2. Mais il ne faut qu'un peu de réflexion pour voir que cette loi, dans une monarchie telle que la sienne, étoit encore plus déplacée que dans toute autre.

CHAP. XII. De la tutelle des femmes chez les Romains.

Les institutions des Romains mettoient les femmes dans une perpétuelle tutelle, à moins qu'elles ne fussent sous l'autorité d'un mari. Cette tutelle étoit donnée au plus proche des parens, par mâles; et il paroît, par une expression vulgaire, qu'elles étoient très-gênées. Cela étoit bon pour la république, et n'étoit point nécessaire dans la monarchie 5.

Il paroît, par les divers codes des lois des barbares, que les femmes chez les premiers Germains étoient aussi dans une perpétuelle tutelle. Get usage passa dans les monarchies qu'ils fondèrent; mais il ne subsista pas.

CHAP. XIII. Des peines établies par les empereurs contre
les débauches des femmes.

La loi Julia établit une peine contre l'adultère. Mais bien loin que cette loi et celles que l'on fit depuis là-dessus fussent une marque de la bonté des mœurs, elles furent au contraire une marque de leur dépravation.

4. Constantin l'ôta entièrement. « C'est une chose indigne, disoit-il, que des mariages tranquilles soient troublés par l'audace des étrangers.» 2. Sixte-Quint ordonna qu'un mari qui n'iroit point se plaindre à lui des débauches de sa femme seroit puni de mort. Voy. Leti.

3. « Nisi convenissent in manum viri. »

4. « Ne sis mihi patruus oro. »

5. La loi Papienne ordonna sous Auguste que les femmes qui auroient eu trois enfans seroient hors de cette tutelle.

6. Cette tutelle s'appeloit chez les Germains

mundeburdium. »

Tout le système politique à l'égard des femmes changea dans la monarchie. Il ne fut plus question d'établir chez elles la pureté des mœurs, mais de punir leurs crimes. On ne faisoit de nouvelles lois, pour punir ces crimes, que parce qu'on ne punissoit plus les violations, qui n'étoient point ces crimes.

L'affreux débordement des mœurs obligeoit bien les empereurs de faire des lois pour arrêter, à un certain point, l'impudicité; mais leur intention ne fut pas de corriger les mœurs en général. Des faits positifs, rapportés par les historiens, prouvent plus cela que toutes ces lois ne sauroient prouver le contraire. On peut voir dans Dion la conduite d'Auguste à cet égard, et comment il éluda, et dans sa préture, et dans sa censure, les demandes qui lui furent faites'.

On trouve bien dans les historiens des jugemens rigides rendus sous Auguste et sous Tibère contre l'impudicité de quelques dames romaines; mais, en nous faisant connoître l'esprit de ces règnes, ils nous font connoître l'esprit de ces jugemens.

Auguste et Tibère songèrent principalement à punir les débauches de leurs parentes. Ils ne punissoient point le déréglement des mœurs, mais un certain crime d'impiété ou de lèse-majesté2 qu'ils avoient inventé, utile pour le respect, utile pour leur vengeance. De là vient que les auteurs romains s'élèvent si fort contre cette tyrannie.

La peine de la loi Julia étoit légère3. Les empereurs voulurent que, dans les jugemens, on augmentât la peine de la loi qu'ils avoient faite. Cela fut le sujet des invectives des historiens. Ils n'examinoient pas si les femmes méritoient d'être punies, mais si l'on avoit violé la loi pour les punir.

Une des principales tyrannies de Tibère' fut l'abus qu'il fit des

4. Comme on lui eut amené un jeune homme qui avoit épousé une femme avec laquelle il avoit eu auparavant un mauvais commerce, il hésita longtemps, n'osant ni approuver, ni punir ces choses. Enfin, reprenant ses esprits : « Les séditions ont été cause de grands maux, dit-il; oublions-les.» (Dion, liv. LIV, chap. xvI.) Les sénateurs lui ayant demandé des règlemens sur les mœurs des femmes, il éluda cette demande, en leur disant « qu'ils corrigeassent leurs femmes, comme il corrigeoit la sienne. Sur quoi ils le prièrent de leur dire comment il en usoit avec sa femme question, ce me semble, fort indiscrète.

2. « Culpam inter viros ac feminas vulgatam gravi nomine læsarum << religionum, ac violatæ majestatis appellando, clementiam majorum « suasque ipse leges egrediebatur.» (Tacite, Ann., liv. IH, chap. xxiv.) 3. Cette loi est rapportée au Digeste; mais on n'y a pas mis la peine. On juge qu'elle n'étoit que de la relégation, puisque celle de l'inceste n'étoit que de la déportation. (Leg. Si quis viduam, ff. de quest.)

4. Proprium id Tiberio fuit, scelera nuper reperta priscis verbis << obtegere. (Tacite, Annal., liv. IV, chap. xIx.)

anciennes lois. Quand il voulut punir quelque dame romaine au delà de la peine portée par la loi Julia, il rétablit contre elle le tribunal domestique'.

Ces dispositions à l'égard des femmes ne regardoient que les familles des sénateurs, et non pas celles du peuple. On vouloit des prétextes aux accusations contre les grands, et les déportemens des femmes en pouvoient fournir sans nombre.

Enfin ce que j'ai dit, que la bonté des mœurs n'est pas le principe du gouvernement d'un seul, ne se vérifia jamais mieux que sous ces premiers empereurs, et si l'on en doutoit, on n'auroit qu'à iire Tacite, Suétone, Juvénal et Martial.

CHAP. XIV. Lois somptuaires chez les Romains.

Nous avons parlé de l'incontinence publique, parce qu'elle est jointe avec le luxe, qu'elle en est toujours suivie, et qu'elle le suit toujours. Si vous laissez en liberté les mouvemens du cœur, comment pourrez-vous gêner les foiblesses de l'esprit ?

A Rome, outre les institutions générales, les censeurs firent faire, par les magistrats, plusieurs lois particulières pour maintenir les femmes dans la frugalité. Les lois Fanienne, Licinienne et Oppienne eurent cet objet. Il faut voir, dans Tite Live2 comment le sénat fut agité, lorsqu'elles demandèrent la révocation de la loi Oppienne. Valère Maxime met l'époque du luxe chez les Romains à l'abrogation de cette loi.

CHAP. XV.

-

Des dots et des avantages nuptiaux dans les diverses constitutions.

Les dots doivent être considérables dans les monarchies, afin que les maris puissent soutenir leur rang et le luxe établi. Elles doivent être médiocres dans les républiques, où le luxe ne doit pas régner3. Elles doivent être à peu près nulles dans les États despotiques, où les femmes sont, en quelque façon, esclaves.

La communauté des biens, introduite par les lois françoises entre le mari et la femme, est très-convenable dans le gouvernement monarchique, parce qu'elle intéresse les femmes aux affaires domes

4. « Adulterii graviorem pœnam deprecatus, ut, exemplo majorum, a propinquis suis ultra ducentesimum lapidem removeretur, suasit. Adula tero Manlio Italia atque Africa interdictum est. » (Tacite, Annal., liv. II, chap. L.)

2. Décade IV, liv. IV.

3. Marseille fut la plus sage des républiques de son temps: les dots ne pouvoient passer cent écus en argent, et cinq en habits, dit Strabon, liv. IV.

tiques, et les rappelle, comme malgré elles, au soin de leur maison. Elle l'est moins dans la république, où les femmes ont plus de vertu. Elle seroit absurde dans les États despotiques, où presque toujours les femmes sont elles-mêmes une partie de la propriété du maître.

Comme les femmes, par leur état, sont assez portées au mariage, les gains que la loi leur donne sur les biens de leur mari sont inutiles. Mais ils seroient très-pernicieux dans une république, parce que leurs richesses particulières produisent le luxe. Dans les États despotiques, les gains de noces doivent être leur subsistance, et rien de plus.

CHAP. XVI. - Belle coutume des Samnites1.

Les Samnites avoient une coutume qui, dans une petite république, et surtout dans la situation où étoit la leur, devoit produire d'admirables effets. On assembloit tous les jeunes gens et on les jugeoit celui qui étoit déclaré le meilleur de tous prenoit pour sa femme la fille qu'il vouloit; celui qui avoit les suffrages après lui choisissoit encore; et ainsi de suite. Il étoit admirable de ne regarder entre les biens des garçons que les belles qualités, et les services rendus à la patrie. Celui qui étoit le plus riche de ces sortes de biens choisissoit une fille dans toute la nation. L'amour, la beauté, la chasteté, la vertu, la naissance, les richesses même, tout cela étoit, pour ainsi dire, la dot de la vertu. Il seroit difficile d'imaginer une récompense plus noble, plus grande, moins à charge à un petit État, plus capable d'agir sur l'un et l'autre sexe.

Les Samnites descendoient des Lacédémoniens; et Platon, dont les institutions ne sont que la perfection des lois de Lycurgue, donna à peu près une pareille loi3.

CHAP. XVII.

De l'administration des femmes.

Il est contre la raison et contre la nature que les femmes soient maîtresses dans la maison, comme cela étoit établi chez les Égyptiens; mais il ne l'est pas qu'elles gouvernent un empire. Dans le premier cas, l'état de foiblesse où elles sont ne leur permet pas la prééminence; dans le second, leur foiblesse même leur donne plus

1. L'auteur a pris ici les Sunites, peuples de la Sarmatie, pour les Samnites, peuples de l'Italie. Stobée les appelle Eovvτa, Sunitæ. Ortelius et Procope parlent de ces peuples. La Martinière les nomme « Suniti.» (ÉD.) 2. Fragm. de Nicolas de Damas, tiré de Stobée, dans le recueil de Const. Porphyr

3. Il leur permet même de se voir plus fréquemment. Republica, lib. V.)

(Plato, de

« PrécédentContinuer »