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Parthes osèrent les passer, ils furent d'abord obligés de revenir; et, de nos jours, les Turcs qui ont avancé au delà de ces limites, ont été contraints d'y rentrer.

Les rois de Syrie et d'Egypte avoient dans leurs pays deux sortes de sujets les peuples conquérans et les peuples conquis. Ces premiers, encore pleins de l'idée de leur origine, étoient très-difficilement gouvernés; ils n'avoient point cet esprit d'indépendance qui nous porte à secouer le joug, mais cette impatience qui nous fait désirer de changer de maître.

Mais la foiblesse principale du royaume de Syrie venoit de celle de la cour où régnoient des successeurs de Darius, et non pas d'Alexandre. Le luxe, la vanité, et la mollesse, qui en aucun siècle n'a quitté les cours d'Asie, régnoient surtout dans celle-ci. Le mal passa aux peuples et aux soldats, et devint contagieux pour les Romains mêmes, puisque la guerre qu'ils firent contre Antiochus est la vraie époque de leur corruption.

Telle étoit la situation du royaume de Syrie, lorsque Antiochus, qui avoit fait de grandes choses, entreprit la guerre contre les Romains; mais il ne se conduisit pas même avec la sagesse que l'on emploie dans les affaires ordinaires. Annibal vouloit qu'on renouvelât la guerre en Italie, et qu'on gagnât Philippe, ou qu'on le rendît neutre. Antiochus ne fit rien de cela: il se montra dans la Grèce avec une petite partie de ses forces; et, comme s'il avoit voulu voir la guerre et non pas la faire, il ne fut occupé que de ses plaisirs. Il fut battu, et s'enfuit en Asie, plus effrayé que vaincu.

Philippe, dans cette guerre, entraîné par les Romains comme par un torrent, les servit de tout son pouvoir, et devint l'instrument de leurs victoires. Le plaisir de se venger et de ravager l'Etolie, la promesse qu'on lui diminueroit le tribut, et qu'on lui laisseroit quelques villes, des jalousies qu'il eut d'Antiochus, enfin de petits motifs, le déterminèrent; et, n'osant concevoir la pensée de secouer le joug, il ne songea qu'à l'adoucir.

Antiochus jugea si mal des affaires qu'il s'imagina que les Romains le laisseroient tranquille en Asie. Mais ils l'y suivirent: il fut vaincu encore; et, dans sa consternation, il consentit au traité le plus infâme qu'un grand prince ait jamais fait.

Je ne sache rien de si magnanime que la résolution que prit un monarque qui a régné de nos jours', de s'ensevelir plutôt sous les débris du trône que d'accepter des propositions qu'un roi ne doit pas entendre: il avoit l'âme trop fière pour descendre plus bas que ses malheurs ne l'avoient mis; et il savoit bien que le courage peut raffermir une couronne, et que l'infamie ne le fait jamais.

4. Louis XIV.

C'est une chose commune de voir des princes qui savent donner une bataille. Il y en a bien peu qui sachent faire une guerre, qui soient également capables de se servir de la fortune et de l'attendre, et qui, avec cette disposition d'esprit qui donne de la méfiance avant que d'entreprendre, aient celle de ne craindre plus rien après avoir entrepris.

Après l'abaissement d'Antiochus, il ne restoit plus que de petites puissances, si l'on en excepte l'Égypte, qui, par sa situation, sa fécondité, son commerce, le nombre de ses habitans, ses forces de mer et de terre, auroit pu être formidable; mais la cruauté de ses rois, leur lâcheté, leur avarice, leur imbécillité, leurs affreuses voluptés, les rendirent si odieux à leurs sujets, qu'ils ne se soutinrent, la plupart du temps, que par la protection des Romains.

C'étoit en quelque façon une loi fondamentale de la couronne d'Égypte, que les sœurs succédoient avec les frères; et, afin de maintenir l'unité dans le gouvernement, on marioit le frère avec la sœur. Or il est difficile de rien imaginer de plus pernicieux dans la politique qu'un pareil ordre de succession: car tous les petits démêlés domestiques devenant des désordres dans l'Etat, celui des deux qui avoit le moindre chagrin soulevoit d'abord contre l'autre le peuple d'Alexandrie, populace immense toujours prête à se joindre au premier de ses rois qui vouloit l'agiter. De plus, les royaumes de Cyrène et de Chypre étant ordinairement entre les mains d'autres princes de cette maison, avec des droits réciproques sur le tout, il arrivoit qu'il y avoit presque toujours des princes régnans et des prétendans à la couronne; que ces rois étoient sur un trône chancelant; et que, mal établis au dedans, ils étoient sans pouvoir au dehors.

Les forces des rois d'Égypte, comme celles des autres rois d'Asie, consistoient dans leurs auxiliaires grecs. Outre l'esprit de liberté, d'honneur et de gloire, qui animoit les Grecs, ils s'occupoient sans cesse à toutes sortes d'exercices du corps; ils avoient dans leurs principales villes des jeux établis, où les vainqueurs obtenoient des couronnes aux yeux de toute la Grèce ce qui donnoit une émulation générale. Or, dans un temps où l'on combattoit avec des armes dont le succès dépendoit de la force et de l'adresse de celui qui s'en servoit, on ne peut douter que des gens ainsi exercés n'eussent de grands avantages sur cette foule de barbares pris indifféremment, et menés sans choix à la guerre, comme les armées de Darius le firent bien voir.

Les Romains, pour priver les rois d'une telle milice, et leur ôter sans bruit leurs principales forces, firent deux choses premièrement, ils établirent peu à peu, comme une maxime chez les villes grecques, qu'ils ne pourroient avoir aucune alliance, accorder du secours, ou faire la guerre à qui que ce fût, sans leur consente

ment; de plus, dans leurs traités avec les rois, ils leur défendirent de faire aucunes levées chez les alliés des Romains: ce qui les réduisit à leurs troupes nationales 1.

CHAP. VI.

· De la conduite que les Romains tinrent pour soumettre
tous les peuples.

Dans le cours de tant de prospérités, où l'on se néglige pour l'ordinaire, le sénat agissoit toujours avec la même profondeur; et, pendant que les armées consternoient tout, il tenoit à terre ceux qu'il trouvoit abattus.

Il s'érigea en tribunal qui jugea tous les peuples : à la fin de chaque guerre, il décidoit des peines et des récompenses que chacun avoit méritées. Il ôtoit une partie du domaine du peuple vaincu pour la donner aux alliés; en quoi il faisoit deux choses : il attachoit à Rome des rois dont elle avoit peu à craindre, et beaucoup à espérer; et il en affoiblissoit d'autres dont elle n'avoit rien à espérer, et tout à craindre.

On se servoit des alliés pour faire la guerre à un ennemi; mais, d'abord, on détruisit les destructeurs. Philippe fut vaincu par le moyen des Etoliens, qui furent anéantis d'abord après pour s'être joints à Antiochus. Antiochus fut vaincu par le secours des Rhodiens; mais, après qu'on leur eut donné des récompenses éclatantes, on les humilia pour jamais, sous prétexte qu'ils avoient demandé qu'on fît la paix avec Persée.

Quand ils avoient plusieurs ennemis sur les bras, ils accordoient une trêve au plus foible, qui se croyoit heureux de l'obtenir comptant pour beaucoup d'avoir différé sa ruine.

Lorsque l'on étoit occupé à une grande guerre, le sénat dissimuloit toutes sortes d'injures, et attendoit, dans le silence, que le temps de la punition fût venu; que si quelque peuple lui envoyoit les coupables, il refusoit de les punir, aimant mieux tenir toute la nation pour criminelle, et se réserver une vengeance utile.

Comme ils faisoient à leurs ennemis des maux inconcevables, il ne se formoit guère de ligues contre eux; car celui qui étoit le plus éloigné du péril ne vouloit pas en approcher.

Par là ils recevoient rarement la guerre, mais la faisoient toujours dans le temps, de la manière et avec ceux qu'il leur convenoit; et, de tant de peuples qu'ils attaquèrent, il y en a bien peu qui n'eussent souffert toutes sortes d'injures si l'on avoit voulu les laisser en paix.

4. Ils avoient déjà eu cette politique avec les Carthaginois, qu'ils obligèrent par le traité à ne plus se servir de troupes auxiliaires, comnie on le voit dans un fragment de Diɔn.

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Leur coutume étant de parler toujours en maîtres, les ambassadeurs qu'ils envoyoient chez les peuples qui n'avoient point enJe senti leur puissance étoient sûrement maltraités : ce qui étoit prétexte sûr pour faire une nouvelle guerre 1.

Comme ils ne faisoient jamais la paix de bonne foi, et que, dans dessein d'envahir tout, leurs traités n'étoient proprement que is suspensions de guerre, ils y mettoient des conditions qui mmençoient toujours la ruine de l'État qui les acceptoit. Ils soient sortir les garnisons des places fortes, ou bornoient le mbre des troupes de terre, ou se faisoient livrer les chevaux ou s éléphans; et si ce peuple étoit puissant sur la mer, ils l'oblioient de brûler ses vaisseaux, et quelquefois d'aller habiter plus ant dans les terres.

Après avoir détruit les armées d'un prince, ils ruinoien. ses nces par des taxes excessives, ou un tribut, sous prétexte de faire payer les frais de la guerre : nouveau genre de tyrannie, qui le forçoit d'opprimer ses sujets, et de perdre leur amour. Lorsqu'ils accordoient la paix à quelque prince, ils prenoient aelqu'un de ses frères ou de ses enfans en otage : ce qui leur ›nnoit le moyen de troubler son royaume à leur fantaisie. Quand 3 avoient le plus proche héritier, ils intimidoient le possesseur; 'ils n'avoient qu'un prince d'un degré éloigné, ils s'en servoient pour animer les révoltes des peuples.

Quand quelque prince ou quelque peuple s'étoit soustrait de l'obéissance de son souverain, ils lui accordoient d'abord le titre d'allié du peuple romain 2; et par là ils le rendoient sacré et inle de manière qu'il n'y avoit point de roi, quelque grand fût, qui pût un moment être sûr de ses sujets, ni même de sa famille.

Quoique le titre de leur allié fût une espèce de servitude, il étoit néanmoins très-recherché3, car on étoit sûr que l'on ne reLevoit d'injures que d'eux, et l'on avoit sujet d'espérer qu'elles seroient moindres. Ainsi il n'y avoit point de services que les peuples et les rois ne fussent prêts de rendre, ni de bassesses qu'ils ne fissent pour l'obtenir.

Ils avoient plusieurs sortes d'alliés. Les uns leur étoient unis par des priviléges, et une participation de leur grandeur, comme les Latins et les Herniques; d'autres, par l'établissement même,

1. Un des exemples de cela, c'est leur guerre contre les Dalmates. Voy. Roiybe.

2. Voy. surtout leur traité avec les Juifs, au liv. I des Machabées, chap. viii.

3. Ariarathe fit un sacrifice aux dieux, dit Polybe, pour les remercier de ce qu'il avoit obtenu cette alliance.

comme leurs colonies; quelques-uns par les bienfaits, comme furent Massinisse, Euménès et Attalus, qui tenoient d'eux leur royaume ou leur agrandissement; d'autres, par des traités libres, et ceux-là devenoient sujets par un long usage de l'alliance, comme les rois d'Égypte, de Bythinie, de Cappadoce, et la plupart des villes grecques; plusieurs enfin par des traités forcés, et par la loi de leur sujétion, comme Philippe et Antiochus : car ils n'accordoient point de paix à un ennemi, qui ne contînt une alliance: c'est-à-dire qu'ils ne soumettoient point de peuple qui ne leur servît à en abaisser d'autres.

Lorsqu'ils laissoient la liberté à quelques villes, ils y faisoient d'abord naître deux factions 1: l'une défendoit les lois et la liberté du pays; l'autre soutenoit qu'il n'y avoit de lois que la volonté des Romains et, comme cette dernière faction étoit toujours la plus puissante, on voit bien qu'une pareille liberté n'étoit qu'un

nom.

Quelquefois ils se rendoient maîtres d'un pays sous prétexte de succession: ils entrèrent en Asie, en Bithynie, en Libye, par les testamens d'Attalus, de Nicomède et d'Appion; et l'Égypte fut enchaînée par celui du roi de Cyrène.

Pour tenir les grands princes toujours foibles, ile ne vouloient pas qu'ils reçussent dans leur alliance ceux à qui ils avoient ac-cordé la leur; et comme ils ne la refusoient à aucun des voisins d'un prince puissant, cette condition, mise dans un traité de paix, ne lui laissoit plus d'alliés.

De plus, lorsqu'ils avoient vaincu quelque prince considérable, ils mettoient dans le traité qu'il ne pourroit faire la guerre pour ses différends avec les alliés des Romains (c'est-à-dire ordinairement avec tous ses voisins), mais qu'il les mettroit en arbitrage. ce qui lui ôtoit pour l'avenir la puissance militaire.

Et, pour se la réserver toute, ils en privoient leurs alliés mêmes; dès que ceux-ci avoient le moindre démêlé, ils envoyoient des ambassadeurs qui les obligeoient de faire la paix. Il n'y a qu'à voir comme ils terminèrent les guerres d'Attalus et de Prusias.

Quand quelque prince avoit fait une conquête qui souvent l'avoit épuisé, un ambassadeur romain survenoit d'abord, qui la lui arrachoit des mains. Entre mille exemples, on peut se rappeler comment, avec une parole, ils chassèrent d'Egypte Antiochus.

Sachant combien les peuples d'Europe étoient propres à la guerre, ils établirent comme une loi qu'il ne seroit permis à aucun roi d'Asie d'entrer en Europe, et d'y assujettir quelque peuple

1. Voy. Polybe sur les villes de la Grèce.

2. Fils de Philopator.

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