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répudiée. La loi du Mexique défendoit de se réunir, sous peine de la vie. La loi du Mexique étoit plus sensée que celle des Maldives : dans le temps même de la dissolution, elle songeoit à l'éternité du mariage; au lieu que la loi des Maldives semble se jouer également du mariage et de la répudiation.

La loi du Mexique n'accordoit que le divorce. C'étoit une nouvelle raison pour ne point permettre à des gens qui s'étoient volontairement séparés de se réunir. La répudiation semble plutôt tenir à la promptitude de l'esprit et à quelque passion de l'âme; le divorce semble être une affaire de conseil.

Le divorce a ordinairement une grande utilité politique; et quant à l'utilité civile, il est établi pour le mari et pour la femme, et n'est pas toujours favorable aux enfans.

CHAP. XVI.

De la répudiation et du divorce chez les
Romains.

Romulus permit au mari de répudier sa femme, si elle avoit commis un adultère, préparé du poison, ou falsifié les clefs 2. Il ne donna point aux femmes le droit de répudier leur mari. Plutarque appelle cette loi une loi très-dure.

Comme la loi d'Athènes3 donnoit à la femme aussi bien qu'au mari la faculté de répudier, et que l'on voit que les femmes obtinrent ce droit chez les premiers Romains, nonobstant la loi de Romulus, il est clair que cette institution fut une de celles que les députés de Rome rapportèrent d'Athènes, et qu'elle fut mise dans les lois des douze tables.

Cicéron dit que les causes de répudiation venoient de la loi des douze tables. On ne peut donc pas douter que cette loi n'eût augmenté le nombre des causes de répudiation établies par Romulus.

La faculté du divorce fut encore une disposition, ou du moins une conséquence de la loi des douze tables. Car dès le moment que la femme ou le mari avoit séparément le droit de répudier, à plus forte raison pouvoient-ils se quitter de concert, et par une volonté mutuelle.

La loi ne demandoit point qu'on donnât des causes pour le divorce 5. C'est que, par la nature de la chose, il faut des causes pour la répudiation, et qu'il n'en faut point pour le divorce, parce

4. Histoire de sa conquête, par Solis, p. 499.

2. Vie de Romulus, § 11.

3. C'étoit une loi de Solon.

4. « Mimam res suas sibi habere jussit, ex duodecim tabulis causam adadidit.» (Philip. II, § 69.)

5. Justinien changea cela, novelle 117, chap. x.

que là où la loi établit des causes qui peuvent rompre le mariage, l'incompatibilité mutuelle est la plus forte de toutes.

Denys d'Halicarnasse 1, Valère-Maxime 2, et Aulu-Gelle 3, rapportent un fait qui ne me paroît pas vraisemblable. Ils disent que, quoiqu'on eût à Rome la faculté de répudier sa femme, on eut tant de respect pour les auspices que personne, pendant cinq cent vingt ans, n'usa de ce droit jusqu'à Carvilius Ruga, qui répudia la sienne pour cause de stérilité. Mais il suffit de connoître la nature de l'esprit humain pour sentir quel prodige ce seroit que, la loi donnant à tout un peuple un droit pareil, personne n'en usât. Coriolan, partant pour son exil, conseilla à sa femme de se marier à un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des douze tables et les mœurs des Romains étendirent beaucoup la loi de Romulus. Pourquoi ces extensions, si on n'avoit jamais fait usage de la faculté de répudier? De plus, si les citoyens eurent un tel respect pour les auspices qu'ils ne répudièrent jamais, pourquoi les législateurs de Rome en eurent-ils moins? Comment la loi corrompit-elle sans cesse les mœurs?

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En rapprochant deux passages de Plutarque, on verra disparoître le merveilleux du fait en question. La loi royale permettoit au mari de répudier dans les trcis cas dont nous avons parlé. « Etelle vouloit, dit Plutarque', que celui qui répudieroit dans d'autres cas fût obligé de donner la moitié de ses biens à sa femme, et que l'autre moitié fût consacrée à Cérès. » On pouvoit donc répudier dans tous les cas, en se soumettant à la peine. Personne ne le fit avant Carvilius Ruga, qui, comme dit encore Plutarque 9, pudia sa femme pour cause de stérilité, deux cent trente ans après Romulus; c'est-à-dire qu'il la répudia soixante et onze ans avant la loi des douze tables, qui étendit le pouvoir de répudier et les causes de répudiation.

« ré

Les auteurs que j'ai cités disent que Carvilius Ruga aimoit sa femme; mais qu'à cause de sa stérilité les censeurs lui firent faire serment qu'il la répudieroit, afin qu'il pût donner des enfans à la république; et que cela le rendit odieux au peuple. Il faut connoître

1. Liv. II.. .-2. Liv. II, chap. 1.-3. Liv. IV, chap. I.

4. Selon Denys d'Halicarnasse et Valère-Maxime; et cinq cent vingttrois, selon Aulu-Gelle. Aussi ne mettent-ils pas les mêmes consuls.

5. Voy. le discours de Véturie, dans Denys d'Halicarnasse, liv. VIII. 6. Plutarque, Vie de Romulus. -7. Ibid.

8. Effectivement la cause de stérilité n'est point portée par la loi de Romu lus. Il y a apparence qu'il ne fut point sujet à la confiscation, puisqu'il suivoit l'ordre des censeurs.

9. Dans la comparaison de Thésée et de Romulus.

10. Avant la loi des douze tables, il n'y avoit point de censeurs; leur création est postérieure de quelques années aux décemvirs. (ED.)

le génie du peuple romain, pour découvrir la vraie cause de la haine qu'il conçut pour Carvilius. Ce n'est point parce que Carvilius répudia sa femme qu'il tomba dans la disgrâce du peuple; c'est une chose dont le peuple ne s'embarrassoit pas. Mais Carvilius avoit fait un serment aux censeurs, qu'attendu la stérilité de sa femme, il la répudieroit pour donner des enfans à la république. C'étoit un joug que le peuple voyoit que les censeurs alloient mettre sur lui. Je ferai voir dans la suite de cet ouvrage les répugnances qu'il eut toujours pour des règlemens pareils. Mais d'où peut venir une telle contradiction entre ces auteurs? Le voici : Plutarque a examiné un fait, et les autres ont raconté une merveille.

LIVRE XVII.

COMMENT LES LOIS DE LA SERVITUDE POLITIQUE ONT DU RAPPORT AVEC LA NATURE DU CLIMAT.

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La servitude politique ne dépend pas moins de la nature du climat, que la civile et la domestique, comme on va le faire voir.

CHAP. II. Différence des peuples par rapport au courage.

Nous avons déjà dit que la grande chaleur énervoit la force et le courage des hommes, et qu'il y avoit dans les climats froids une certaine force de corps et d'esprit qui rendoit les hommes capables des actions longues, pénibles, grandes et hardies. Cela se remarque non-seulement de nation à nation, mais encore dans le même pays, d'une partie à une autre. Les peuples du nord de la Chine sont plus courageux que ceux du midi; les peuples du midi de la Corée ne le sont pas tant que ceux du nord.

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Il ne faut pas être étonné que la lâcheté des peuples des climats chauds les ait presque toujours rendus esclaves, et que le courage des peuples des climats froids les ait maintenus libres. C'est un effet qui dérive de sa cause naturelle.

Ceci s'est encore trouvé vrai dans l'Amérique : les empires despotiques du Mexique et du Pérou étoient vers la ligne, et presque tous les petits peuples libres étoient et sont encore vers les pôles.

4. Au liv. XXIII, chap. xxI.

2. Le père du Halde, t. I, p. 442.

3. Les livres chinois le disent ainsi. (Ibid., t. IV, p. 448.)

CHAP. III.

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Les relations nous disent << que le nord de l'Asie, ce vaste continent qui va du quarantième degré ou environ jusques au pôle, et des frontières de la Moscovie jusqu'à la mer Orientale, est dans un climat très-froid; que ce terrain immense est divisé, de l'ouest à l'est, par une chaîne de montagnes qui laissent au nord la Sibérie, et au midi la grande Tartarie; que le climat de la Sibérie est si froid' qu'à la réserve de quelques endroits elle ne peut être cultivée; et que quoique les Russes aient des établissemens tout le long de l'Irtis, ils n'y cultivent rien; qu'il ne vient dans ce pays que quelques petits sapins et arbrisseaux; que les naturels du pays sont divisés en de misérables peuplades, qui sont comme celles du Canada; que la raison de cette froidure vient, d'un côté, de la hauteur du terrain, et, de l'autre, de ce qu'à mesure que l'on va du midi au nord les montagnes s'aplanissent, de sorte que le vent du nord souffle partout sans trouver d'obstacles; que ce vent, qui rend la Nouvelle-Zemble inhabitable, soufflant dans la Sibérie, la rend inculte; qu'en Europe, au contraire, les montagnes de Norwége et de Laponie sont des boulevards admirables qui couvrent de ce vent ies pays du nord; que cela fait qu'à Stockholm, qui est à cinquanteneuf degrés de latitude ou environ, le terrain produit des fruits, des grains, des plantes; et qu'autour d'Abo, qui est au soixanteunième degré, de même que vers les soixante-trois et soixantequatre, il y a des mines d'argent, et que le terrain est assez fertile. »

Nous voyons encore dans les relations « que la grande Tartarie, qui est au midi de la Sibérie, est aussi très-froide; que le pays ne se cultive point; qu'on n'y trouve que des pâturages pour les troupeaux; qu'il n'y croît point d'arbres, mais quelques broussailles, comme en Islande; qu'il y a auprès de la Chine et du Mogol quelques pays où il croît une espèce de millet, mais que le blé ni le riz n'y peuvent mûrir; qu'il n'y a guère d'endroits dans la Tartarie chinoise, aux quarante-troisième, quarante-quatrième et quarantecinquième degrés, où il ne gèle sept ou huit mois de l'année : de sorte qu'elle est aussi froide que l'Islande, quoiqu'elle dût être plus chaude que le midi de la France; qu'il n'y a point de villes, excepté quatre ou cinq vers la mer Orientale, et quelques-unes que les Chinois, par des raisons de politique, ont bâties près de la Chine; que, dans le reste de la grande Tartarie, il n'y en a que quelques-unes placées dans les Boucharies, Turkestan et Charisme; que la raison de cette extrême froidure vient de la nature du terrain nitreux,

4. Voy. les Voyages du nord, t. VIII; l'Histoire des Tattars, et le IVa volume de la Chine du père du Halde.

plein de salpêtre, et sablonneux, et de plus, de la hauteur du terrain. Le père Verbiest avoit trouvé qu'un certain endroit, à quatre-vingts lieues au nord de la grande muraille, vers la source de Kavamhuram, excédoit la hauteur du rivage de la mer, près de Pékin, de trois mille pas géométriques; que cette hauteur est cause que, quoique quasi toutes les grandes rivières de l'Asie aient leur source dans le pays, il manque cependant d'eau, de façon qu'il ne peut être habité qu'auprès des rivières et des lacs. >>

Ces faits posés, je raisonne ainsi : l'Asie n'a point proprement de zone tempérée; et les lieux situés dans un climat très-froid y touchent immédiatement ceux qui sont dans un climat très-chaud, c'est-à-dire la Turquie, la Perse, le Mogol, la Chine, la Corée et le Japon.

En Europe, au contraire, la zone tempérée est très-étendue, quoiqu'elle soit située dans des climats très-différens entre eux, n'y ayant point de rapport entre les climats d'Espagne et d'Italie, et ceux de Norwége et de Suède. Mais, comme le climat y devient insensiblement froid en allant du midi au nord, à peu près à proportion de la latitude de chaque pays, il y arrive que chaque pays est à peu près semblable à celui qui en est voisin; qu'il n'y a pas une notable différence; et que, comme je viens de le dire, la zone tempérée y est très-étendue.

De là il suit qu'en Asie les nations sont opposées aux nations du fort au foible; les peuples guerriers, braves et actifs, touchent immédiatement des peuples efféminés, paresseux, timides: il faut donc que l'un soit conquis, et l'autre conquérant. En Europe, au contraire, les nations sont opposées du fort au fort; celles qui se touchent ont à peu près le même courage. C'est la grande raison de la foiblesse de l'Asie et de la force de l'Europe, de la liberté de l'Europe et de la servitude de l'Asie : cause que je ne sache pas que l'on ait encore remarquée. C'est ce qui fait qu'en Aşie il n'arrive jamais que la liberté augmente; au lieu qu'en Europe elle augmente ou diminue, selon les circonstances.

Que la noblesse moscovite ait été réduite en servitude par un de ses princes, on y verra toujours des traits d'impatience que les climats du midi ne donnent point. N'y avons-nous pas vu le gouvernement aristocratique établi pendant quelques jours? Qu'un autre royaume du nord ait perdu ses lois, on peut s'en fier au climat; ne les a pas perdues d'une manière irrévocable.

4. La Tartaric est donc comme une espèce de montagne plate.

il

MONTESQUIEU. — I

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