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maison comme les enfans mêmes, il étoit naturel que les enfans regardassent leur tante comme leur propre mère.

La sœur de la mère étoit préférée à la sœur du père : cela s'explique par d'autres textes de la loi salique; lorsqu'une femme étoit veuve', elle tomboit sous la tutelle des parens de son mari : la loi préféroit, pour cette tutelle, les parens par femmes aux parens par mâles. En effet, une femme qui entroit dans une famille, s'unissant avec les personnes de son sexe, elle étoit plus liée avec les parens par femmes qu'avec les parens par mâles. De plus, quand un homme en avoit tué un autre, et qu'il n'avoit pas de quoi satisfaire à la peine pécuniaire qu'il avoit encourue, la loi lui permettoit de céder ses biens, et les parens devoient suppléer à ce qui manquoit. Après le père, la mère et le frère, c'étoit la sœur de la mère qui payoit, comme si ce lien avoit quelque chose de plus tendre: or, la parenté qui donne les charges devoit de même donner les avantages.

La loi salique vouloit qu'après la sœur du père le plus proche parent par mâle eût la succession: mais, s'il étoit parent au delà du cinquième degré, il ne succédoit pas. Ainsi, une femme au cinquième degré auroit succédé au préjudice d'un mâle du sixième; et cela se voit dans la loi3 des Francs ripuaires, fidèle interprète de la loi salique dans le titre des alleux, où elle suit pas à pas le même titre de la loi salique.

Si le père laissoit des enfans, la loi salique vouloit que les filles fussent exclues de la succession à la terre salique, et qu'elle appartînt aux enfans mâles.

Il me sera aisé de prouver que la loi salique n'exclut pas indistinctement les filles de la terre salique; mais dans le cas seulement où des frères les excluroient. 1° Cela se voit dans la loi salique même, qui, après avoir dit que les femmes ne posséderoient rien de la terre salique, mais seulement les mâles, s'interprète et se restreint elle-même, « c'est-à-dire, dit-elle, que le fils succédera à l'hérédité du père. »

2o Le texte de la loi salique est éclairci par la loi des Francs ripuaires, qui a aussi un titre des alleux très-conforme à celui de la loi salique.

1. Loi salique, tit. XLVII.

2. Ibid., tit. LXI, § 1.

3. Et deinceps usque ad quintum geniculum qui proximus fuerit in «hæreditatem succedat. » (Tit. LVI, S 6.)

4. Tit. LVI De alodibus.

« I. Si quis absque liberis defunctus fuc<< ril; si pater materque superstites fuerint, in hæreditatem succedant. «II. Si pater materque non fuerint, frater et soror succedant.

<< III. Si autem nec eos habuerit, tunc frater et soror matris patrisque << succedant.

MONTESQUIEU. - I

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3o Les lois de ces peuples barbares, tous originaires de la Germanie, s'interprètent les unes les autres, d'autant plus qu'elles ont toutes à peu près le même esprit. La loi des Saxons1 veut que le père et la mère laissent leur hérédité à leur fils, et non pas à leur fille; mais que, s'il n'y a que des filles, elles aient toute l'hérédité.

4° Nous avons deux anciennes formules qui posent le cas où, suivant la loi salique, les filles sont exclues par les mâles : c'est lorsqu'elles concourent avec leur frère.

5o Une autre formule 3 prouve que la fille succédoit au préjudice du petit-fils: elle n'étoit donc exclue que par le fils.

6° Si les filles, par la loi salique, avoient été généralement exclues de la succession des terres, il seroit impossible d'expliquer les histoires, les formules et les chartres, qui parlent continuellement des terres et des biens des femmes dans la première

race.

On a eu tort de dire que les terres saliques étoient des fiefs. 1o Ce titre est intitulé des alleux. 2o Dans les commencemens, les fiefs n'étoient point héréditaires. 3° Si les terres saliques avoient été des fiefs, comment Marculfe auroit-il traité d'impie la coutume qui excluoit les femmes d'y succéder, puisque les mâles mêmes ne succédoient pas aux fiefs? 4° Les chartres que l'on cite pour prouver que les terres saliques étoient des fiefs prouvent seulement qu'elles étoient des terres franches. 5o Les fiefs ne furent établis qu'après la conquête; et les usages saliques existoient avant que les Francs partissent de la Germanie. 6° Ce ne fut point la loi salique qui, en bornant la succession des femmes, forma l'établissement des fiefs; mais ce fut l'établissement des fiefs qui mit des limites à la succession des femmes et aux dispositions de la loi salique.

Après ce que nous venons de dire, on ne croiroit pas que la succession perpétuelle des mâles à la couronne de France pût venir de la loi salique. Il est pourtant indubitable qu'elle en vient. Je le prouve par les divers codes des peuples barbares. La loi saliques et

« IV. Et deinceps usque ad quintum geniculum qui proximus fuerit, in a hæreditatem succedat.

« V. Sed dum virilis sexus extiterit, femina in hæreditatem aviaticam « non succedat. >>

4. Tit. VII, S 1. « Pater aut mater defuncti, filio, non filiæ, hæreditatem << relinquant. » — - § 4. « Qui defunctus, non filios, sed filias reliquerit, << ad eas omnis hæreditas pertineat, »

2. Dans Marculfe, liv. II, form. 12; et dans l'appendice de Marculfe,

form. 49.

3. Dans le recueil de Lindembroch, form. 55. 4. Du Cange, Pithou, etc. 5. Tit. LX.

la loi des Bourguignons ne donnèrent point aux filles le droit de succéder à la terre avec leurs frères; elles ne succédèrent pas nor plus à la couronne. La loi des Wisigoths, au contraire, admit les filles3 à succéder aux terres avec leurs frères; les femmes furent capables de succéder à la couronne. Chez ces peuples, la disposition de la loi civile força la loi politique.

Ce ne fut pas le seul cas où la loi politique, chez les Francs, céda à la loi civile. Par la disposition de la loi salique, tous les frères succédoient également à la terre; et c'étoit aussi la disposition de la loi des Bourguignons. Aussi, dans la monarchie des Francs et dans celle des Bourguignons, tous les frères succédèrentils à la couronne, à quelques violences, meurtres, et usurpations près, chez les Bourguignons.

CHAP. XXIII. - De la longue chevelure des rois francs.

Les peuples qui ne cultivent point les terres n'ont pas même l'idée du luxe. Il faut voir dans Tacite l'admirable simplicité des peuples germains : les arts ne travailloient point à leurs ornemens; ils les trouvoient dans la nature. Si la famille de leur chef devoit être remarquée par quelque signe, c'étoit dans cette même nature qu'ils devoient le chercher : les rois des Francs, des Bourguignons et des Wisigoths, avoient pour diadème leur longue chevelure.

CHAP. XXIV. Des mariages des rois francs.

J'ai dit ci-dessus que, chez les peuples qui ne cultivent point les terres, les mariages étoient beaucoup moins fixes, et qu'on y prenoit ordinairement plusieurs femmes, « Les Germains étoient presque les seuls de tous les barbares qui se contentassent d'une seule femme, si l'on en exceptes, dit Tacite, quelques personnes qui,

4. Tit. 1, § 3; tit. xiv, § 1; et tit. LI. 2. Liv. IV, tit. 1, §4. 3. Les nations germaines, dit Tacite, avoient des usages communs; elles en avoient aussi de particuliers. (De mor. Germ., chap. xxv.)

4. La couronne, chez les Ostrogoths, passa deux fois par les femmes aux måles l'une, par Amalasunthe, dans la personne d'Athalaric; et l'autre, par Amalafrède, dans la personne de Théodat. Ce n'est pas que, chez eux, les femmes ne pussent régner par elles-mêmes: Amalasunthe, après la mort d'Athalaric, régna, et régna même après l'élection de Théodat, et concurremment avec lui. Voy. les Lettres d'Amalasunthe et de Théodat, dans Cassiodore, liv. X.

5. « Prope soli barbarorum singulis uxoribus contenti sunt. » (De mor. Germ., chap. xvIII.)

6. « Exceptis admodum paucis qui, non libidine, sed ob nobilitatem, « plurimis nuptiis ambiuntur. » (Ibid.)

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non par dissolution, mais à cause de leur noblesse, en avoient plusieurs.»

Cela explique comment les rois de la première race eurent un si grand nombre de femmes. Ces mariages étcient moins un témoignage d'incontinence qu'un attribut de dignité : c'eût été les blesser dans un endroit bien tendre que de leur faire perdre une telle prérogative'. Cela explique comment l'exemple des rois ne fut pas suivi par les sujets.

CHAP. XXV. — Childéric.

« Les mariages chez les Germains sont sévères, dit Tacite. Les vices n'y sont point un sujet de ridicule : corrompre, ou être corrompu, ne s'appelle point un usage ou une manière de vivre; il y a peu d'exemples3, dans une nation si nombreuse, de la violation de la foi conjugale. »

Cela explique l'expulsion de Childéric : il choquoit des mœurs rigides que la conquête n'avoit pas eu le temps de changer.

CHAP. XXVI. — De la majorité des rois francs.

Les peuples barbares qui ne cultivent point les terres n'ont point proprement de territoire, et sont, comme nous avons dit, plutôt gouvernés par le droit des gens que par le droit civil. Ils sont donc presque toujours armés. Aussi Tacite dit-il que les Germains ne faisoient aucune affaire publique ni particulière sans être armés“. Ils donnoient leur avis par un signe qu'ils faisoient avec leurs armes'. Sitôt qu'ils pouvoient les porter, ils étoient présentés à l'assemblée; on leur mettoit dans les mains un javelot': dès ce moment, ils sortoient de l'enfances; ils étoient une partie de la famille : ils en devenoient une de la république. »

<< Les aigles, disoit le roi des Ostrogoths, cessent de donner la

1. Voy. la Chronique de Frédégaire, sur l'an 628.

2. Severa matrimonia.... Nemo illic vitia ridet; nec corrumpere, et « corrumpi sæculum vocatur. » (De mor. German., chap. xvm et suiv.) 3. « Paucissima in tam numerosa gente adulteria. » (Ibid., chap. xix.! 4. Nihil, neque publicæ, neque privatæ rei, nisi armati agunt. » (Ibid.) chap. XIII.)

5. Si displicuit sententia, aspernantur; sin placuit, frameas concu<< tiunt.» (Ibid., chap. xi.)

6. « Sed arma sumere non ante cuiquam moris quam civitas suffectu<< rum probaverit. » (Ibid., chap. xш.)

7. « Tum in ipso concilio, vel principum aliquis, vel pater, vel propin« quus, scuto frameaque juvenem ornant. » (Ibid.)

8. u Hæc apud illos toga, hic primus juventæ honos: ante hoc domus pars videntur, mox reipublicæ. » (Ibid.)

9. Théodoric, dans Cassiodore, liv. I, lettre XXXVID.

nourriture à leurs petits sitôt que leurs plumes et leurs ongles sont formés; ceux-ci n'ont plus besoin du secours d'autrui, quand ils vont eux-mêmes chercher une proie. Il seroit indigne que nos jeunes gens qui sont dans nos armées fussent censés être dans un âge trop foible pour régir leur bien, et pour régler la conduite de leur vie. C'est la vertu qui fait la majorité chez les Goths. »

Childebert II avoit quinze ans' lorsque Gontran, son oncle, le déclara majeur, et capable de gouverner par lui-même. On voit, dans la loi des Ripuaires, cet âge de quinze ans, la capacité de porter les armes, et la majorité, marcher ensemble. « Si un Ripuaire est mort, ou a été tué, y est-il dit2, et qu'il ait laissé un fils, il ne pourra poursuivre, ni être poursuivi en jugement, qu'il n'ait quinze ans complets; pour lors il répondra lui-même, ou choisira un champion. » Il falloit que l'esprit fût assez formé pour se défendre dans le jugement, et que le corps le fût assez pour se défendre dans le combat. Chez les Bourguignons3, qui avoient aussi l'usage du combat dans les actions judiciaires, la majorité étoit encore à quinze ans.

Agathias nous dit que les armes des Francs étoient légères; ils pouvoient donc être majeurs à quinze ans. Dans la suite, les armes devinrent pesantes : et elles l'étoient déjà beaucoup du temps de Charlemagne, comme il paroît par nos capitulaires et par nos romans. Ceux qui avoient des fiefs, et qui par conséquent devoient faire le service militaire, ne furent plus majeurs qu'à vingt-un ans3.

CHAP. XXVII.

Continuation du même sujet.

On a vu que chez les Germains on n'alloit point à l'assemblée avant la majorité : on étoit partie de la famille, et non pas de la république. Cela fit que les enfans de Clodomir, roi d'Orléans et conquérant de la Bourgogne, ne furent point déclarés rois, parce que, dans l'âge tendre où ils étoient, ils ne pouvoient pas être présentés à l'assemblée. Ils n'étoient pas rois encore, mais ils devoient l'être lorsqu'ils seroient capables de porter les armes; et cependant Clotilde, leur aïeule, gouvernoit l'Etat. Leurs oncles

4. Il avoit à peine cinq ans, dit Grégoire de Tours, liv. V, chap. 1, lorsqu'il succéda à son père, en l'an 575; c'est-à-dire qu'il avoit cinq ans. Gontran le déclara majeur en l'an 585 : il avoit donc quinze ans.

2. Tit. LXXXI. — 3. Tit. LXXXVII.

4. Il n'y eut point de changement pour les roturiers.

5. Saint Louis ne fut majeur qu'à cet âge. Cela changea par un édit de Charles V, de l'an 1374.

6. Il paroit, par Grégoire de Tours, liv. III, qu'elle choisit deux hommes de Bourgogne, qui étoit une conquête de Clodomir, pour les élever au siége de Tours, qui étoit aussi du royaume de Clodomir.

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