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le cas où l'enrôlement volontaire, établi et favorisé par tous les moyens propres à le rendre efficace, aurait trompé l'espoir que doit inspirer une juste confiance dans le patriotisme d'un peuple libre et jouissant d'un Gouvernement représentatif bien constitué, qu'il pourrait être permis de recourir à la voie rigoureuse de la conscription ou du recrutement forcé, pour parvenir au complément de l'armée.

pas

« Le métier des armes, dit un auteur, n'est fait pour tous les hommes. Une loi qui placerait à un âge mûr, sous les drapeaux de l'État, tous les citoyens indistinctement, serait une loi absurde et digne des Goths ou des Vandales; elle conduirait directement le peuple à la barbarie; elle éteindrait le flambeau des beaux arts; elle arrêterait les progrès des lettres; l'industrie n'aurait plus d'activité; la source du commerce serait tarie : tout annoncerait les effets d'une funeste contagion. Par elle, tous les droits, tous les intérêts seraient méconnus. A la voix du prince, on verrait Phidias abandonner son immortel ciseau au moment où il allait donner la vie

à Jupiter; Apelle, Michel - Ange, Raphaël, briser leurs crayons alors qu'ils allaient enfanter des chefs-d'oeuvre; les Gracques quitter la tribune aux harangues pour aller braver la mort dans les combats; Virgile rejeter au loin ses pipeaux pour se saisir d'une épée, et Montesquieu cesser de méditer sur les lois pour marcher sur les traces d'un conqué

rant.

....... Tous les citoyens ne sont pas propres à porter les armes. Démosthène, sur la place publique, est l'effroi des tyrans; il jette son bouclier à Chéronée, et prend honteusement la fuite. Cicéron, sur son tribunal, résiste aux fureurs de Catilina, et il s'abaisse, au moment de la proscription des triumvirs, jusqu'à demander la vie au farouche Octavien. Horace enfin, le plus aimable et le plus gracieux des poëtes, se dépouille de ses armes à Philippes, et fuit la mort qu'il redoutait, préférant à l'honneur de la victoire l'honneur moins dangereux de la chanter.

« Un État qui veut être sûr de vaincre, ne doit composer ses armées que de citoyens volontaires. C'est l'amour des hasards qui donne

tout ces mêmes guerriers entendent, chaque jour, publiquement censurer leur conduite, blâmer leur dévouement, leur courage, flétrir leurs lauriers, et qu'ils peuvent craindre de voir enlever les récompenses qu'ils ont méritées, par des hommes inconnus qui voudraient moissonner seuls et sans rivaux dans cette carrière de la gloire et des honneurs où ils ne sont pas même entrés; oui, sans doute, il faut alors beaucoup de temps et une conduite prudente, pour que la nature et la patrie sentent leurs plaies se fermer, et parviennent à réparer tant de pertes!

Mais quelle étrange pensée, quelle funeste erreur, que de se persuader que, même en de telles occurrences, la conscription puisse être un moyen efficace pour guérir les maux qu'elle a faits; d'imaginer que la source, le germe d'une maladie qui donne la mort, puisse ramener à la vie et à la santé !

Le législateur qui raisonne ainsi, ressemble, sous plus d'un rapport, au médecin qui moins capable de gouverner les autres qu'il n'a besoin d'être gouverné lui-même, ordonnerait, pour rendre le courage, la vigueur à

un corps affaibli par trente années de convulsions, de crises et de souffrances, que l'on chargeât du casque et de la cuirasse ses membres débiles et mourans, et qu'on le traînât ainsi dans l'arène.

Mais cet état de faiblesse et d'épuisement n'est pas un état de choses habituel, principalement à l'égard des peuples qui habitent un sol naturellement fertile et abondant, sous un climat doux et tempéré. L'expérience et l'histoire prouvent au contraire qu'un bien petit nombre d'années suffisent pour rendre à ces peuples affaiblis toute la force et le luxe d'une brillante, active et vigoureuse population; elles démontrent qu'en général les Gouvernemens jusqu'ici trop peu sages, trop peu éclairés, se sont beaucoup plus appliqués à tirer de cette richesse de population un avantage précaire et souvent funeste pour eux-mêmes, en cherchant à usurper et envahir le territoire des peuples voisins, qu'ils ne se sont attachés à en obtenir des avantages et des biens réels et durables, en donnant à cette même population une direction plus prononcée et plus soutenue vers l'agriculture et le commerce.

Or, s'il est vrai que ce prompt accroissement de la population est véritablement l'état de choses ordinaire et le plus naturel, s'il est vrai que les peuples et les gouvernemens euxmêmes aient en effet tant de propension à en abuser, n'est-ce pas, d'après cet état de choses habituel, et en se plaçant dans cette commune hypothèse, que le publiciste doit raisonner pour qu'il puisse faire fructifier ses leçons? Et, pour un Gouvernement bien constitué, qu'y aurait-il de plus facile que d'appeler alors sous les étendards de la liberté la plus belle et la plus vigoureuse jeunesse d'une immense population; que de réunir et de former ainsi en peu de temps une armée invincible?

D'abord, remarquons que, pour y parvenir, le grand nombre ne serait pas nécessaire : car nous ne perdons pas de vue que les armées ne doivent point avoir pour but de favoriser les vues d'ambition et de conquête, de porter au loin le ravage et la destruction, de nuire à l'intégrité du territoire et à l'indépendance des peuples voisins; mais qu'elles doivent au contraire être uniquement desti

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