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la raison, sans perdre toutefois son bon sens; 2o lorsqu'à la faiblesse d'esprit viennent se joindre des attaques d'épilepsie; 3° lorsque l'individu est arrivé à un âge tel, qu'il peut se laisser entrainer à faire des ventes ou des actes contre sa volonté, et sans qu'il en profitât personnellement (Briand et Chaudé); — 4o lorsque ses facultés mentales ont subi une atteinte sérieuse à la suite d'une maladie convulsive ou d'une lésion cérébrale (Linas).

Mariage. Nous avons vu précédemment que le mariage peut être déclaré nul, lorsqu'il est démontré que l'un des conjoints n'a pu donner un consentement libre et conscient, par suite de l'altération de ses facultés, et qu'on peut enfin faire opposition au mariage, si le futur époux est en état de démence. L'appréciation de cet état mental au moment de l'acte présente de grandes difficultés, parce que, comme le fait judicieusement remarquer Tardieu, il s'agit rarement « d'aliénation constante, continue, complète, qui ne laisse pas place au doute, et qui permette d'affirmer que l'individu n'a pu ni voulu ce qu'il faisait, ni ce qu'on lui faisait faire. Le médecin se trouve le plus souvent en présence d'états mal définis, où l'altération des facultés est plus ou moins probable, plus ou moins profonde, où la maladie mentale laisse subsister une part plus ou moins considérable de la volonté, où celle-ci enfin peut se réveiller plus ou moins active et ferme dans une rémission franche et complète, et où, en un mot, il existe de véritables intervalles lucides. » La tâche du médecin est donc extrêmement délicate; aussi devra-t-il s'attacher aux moindres circonstances, et les examiner avec la plus scrupuleuse attention. Ces questions épineuses se posent surtout dans les cas d'imbécillité, de faiblesse d'esprit, de démence ou de mariages in extremis, contractés par des individus dont les facultés intellectuelles et les sens sont obscurcis par la maladie ou les approches de la mort. Tardieu avoue qu'il est très difficile de poser ici des principes fixes, et d'indiquer la marche à suivre, en raison de la multiplicité des cas et des conditions particulières qui peuvent se présenter. Donations et testaments. D'après l'article 901 du Code civil,« pour faire une donation entre-vifs ou un testa

ment, il faut être sain d'esprit. » Il ne s'agit donc ici que des personnes non interdites, puisque l'interdiction entraine, de droit, la nullité des actes qui l'ont suivie, au moins dans l'immense majorité des cas; car on peut invoquer, pour faire accepter le testament, la circonstance d'un intervalle lucide, surtout lorsque les dispositions testamentaires sont judicieuses et dénotent une réelle netteté des facultés intellectuelles. Le médecin expert pourra donc être consulté, pour apprécier les phases diverses que peut traverser une maladie mentale, surtout dans certaines affections qui, comme l'épilepsie ou l'alcoolisme, n'exercent pas sur les facultés une perversion constante ni continue, ou qui, dans une période quelquefois très longue de leur début, laissent en apparence intactes la volonté et la liberté morale. Les procès pour faire annuler les testaments des épileptiques sont fréquents. Tardieu pense cependant qu'il y a très peu de cas où le médecin puisse déclarer, en conscience, qu'on doive prononcer l'annulation pour cause d'insanité, à moins qu'il ne s'agisse d'épileptiques véritablement aliénés; et encore, même dans les formes les mieux définies, chez les déments par exemple, on observe parfois des réveils inattendus de l'intelligence et de la volonté, réveils se traduisant par une netteté surprenante dans la rédaction d'un testament, dont on ne pourrait contester la parfaite validité.

Le médecin expert devra toujours étudier avec soin la forme et la teneur d'un testament; il trouvera souvent, dans le style et dans l'écriture même du testateur, des indications précieuses et parfois caractéristiques de son état mental. Les testaments olographes, c'est-à-dire écrit tout entiers par leur auteur, fournissent surtout des éléments importants à l'appréciation médico-légale. Les testaments dits mystiques, c'est-à-dire écrits par une personne tierce sous la dictée du testateur et qui, pour être valables, doivent être relus et signés par lui, exigent également l'intervention médicolégale. L'expert devra établir si, au moment de la confection de l'acte, le testateur remplissait les conditions exigées par l'article 978 de la loi civile, ainsi conçu : « Ceux qui ne savent ou ne peuvent lire ne peuvent faire de disposition

dans la forme du testament mystique, » et si son état d'esprit, l'état de sa vue, de sa parole et ses forces physiques, lui permettaient ou non de dicter son testament, de le relire et de le signer. Il faut, pour que le testament soit valable ou discutable, qu'il soit bien démontré que le malade a pu relire ce qu'il a dicté, ou que des circonstances accidentelles l'ont empêché de lire les dispositions qu'il contenait. L'appréciation de ces circonstances, résultant le plus souvent du fait de la maladie ou de l'état du malade à l'approche de la mort, est extrêmement délicate: il est en effet très difficile de répondre, d'une manière générale et absolue, à cette question de savoir jusqu'à quel point l'approche de la mort agit sur les facultés intellectuelles, et dans quelles mesures elle laisse à l'homme la liberté nécessaire pour procéder à des actes aussi graves qu'un mariage, un testament ou une donation. La persistance ou l'anéantissement de l'intelligence ou du sentiment, pendant l'agonie, varient suivant la nature de l'affection et les dispositions du moribond.

Legrand du Saulle pense qu'on peut ramener à trois cas distincts les différents genres de maladies qui mènent à la mort.

Le premier genre comprend les affections dans lesquelles le délire n'apparaît à peu près jamais, telles que la phthisie pulmonaire, les affections cardiaques et hépatiques, le cancer de l'estomac et de l'intestin, les hémorrhagies, les maladies des séreuses (pleurésie, péricardite, péritonite), le rhumatisme articulaire aigu (excepté le rhumatisme cérébral), enfin la très grande majorité des lésions chirurgicales. Le malade conserve sa raison jusqu'au dernier moment; il a en général la plénitude de sa connaissance, et ses actes sont parfaitement valables. Quelquefois même son intelligence, au lieu de s'affaiblir, acquiert une pénétration remarquable; la prostration physique est remplacée par de l'exaltation intellectuelle.

Le second genre renferme les maladies qui n'intéressent que secondairement le cerveau, comme les maladies de longue durée, qui appauvrissent notablement le sang et modifient l'impressionnabilité du système nerveux. Il en résulte, pour les facultés mentales, une sorte d'état mixte,

où les moindres causes, le moindre malaise peut troubler l'exercice de la pensée; le malade présente alors une telle mobilité d'esprit que les idées les plus contraires sont tour à tour adoptées, puis abandonnées.

Le troisième genre comprend enfin toutes les lésions de l'encéphale, telles que l'inflammation des méninges (méningite aiguë simple ou méningite cérébro-spinale), la congestion cérébrale, l'hémorrhagie cérébrale, le ramollissement, les tumeurs du cerveau, etc., maladies dont le phénomène caractéristique est le délire ou la perte de connaissance. Dans ces conditions, il y a en général obnubilation plus ou moins complète de l'intelligence, et le malade ne peut avoir conscience de ses actes.

Le médecin, appelé à se prononcer sur l'état mental du testateur, devra donc tenir grand compte de ces circonstances, et s'enquérir avec soin de l'âge du malade, de l'affection que l'a emporté et du moment précis de la confection du testament. Il devra chercher à établir, d'après l'évolution de la maladie, s'il y a eu conservation, compromission ou perte de l'intelligence.

Le testament d'un homme

Testaments des suicidés. qui s'est donné la mort est-il valable? Suivant Tardieu, dans la grande majorité des cas, le doute n'est pas possible, et la doctrine qui attribue toujours le suicide à la folie est absolument fausse. Brière de Boismont a rassemblé treize cent vingt-huit lettres, notes ou écrits quelconques laissés par des suicidés; sur ce nombre, il a trouvé quatre-vingtcinq testaments qui, pour la plupart, étaient très nets, exprimaient des dispositions intelligentes et libres, et témoignaient d'une grande présence d'esprit. Dans ces cas, les testateurs avaient parfaitement conscience de leurs actes, et leurs dispositions mortuaires étaient absolument valables.

Dans les cas au contraire où le suicide est l'acte d'un esprit malade, et la conséquence d'une perversion plus ou moins profonde des facultés, le testament pourra être attaqué. C'est sur cet état mental qu'aura à se prononcer le médecin expert; il devra, suivant Tardieu, procéder d'après les mêmes principes que s'il avait à établir la capacité ou l'in

capacité de tout autre individu, et considérer surtout l'époque a laquelle les dispositions testamentaires ont été prises.

Son intervention peut être encore requise pour décider si, à propos d'une donation faite pendant un accès de délire febrile, le malade avait conscience de ses actes.

Testaments faits pendant les intervalles lucides. Ces testaments peuvent également donner lieu à des contestations et nécessiter l'action médico-légale. Il n'est pas douteux pour un médecin que, même après plusieurs accès de folie, il ne puisse survenir des trêves, des instants lucides, pendant lesquels les malades ne puissent avoir parfaitement conscience de leurs actes dans ces conditions, leurs dispositions testamentaires sont absolument valables; on pourra du reste juger jusqu'à un certain point de l'état d'esprit du testateur, par la teneur même de l'écrit laissé par lui, suivant qu'il contiendra des clauses raisonnables ou des bizarreries, des volontés plus ou moins étranges.

Suivant Legrand du Saulle, on devra bien distinguer entre l'intervalle lucide et la rémission qu'on observe particulièrement dans le cours de la paralysie générale. Ce sont là deux états très différents pendant l'intervalle lucide, l'esprit du maniaque est d'une clarté parfaite; il s'aperçoit des tentatives de captation, et sa volonté reste ferme, énergique; pendant la rémission au contraire, l'intelligence du paralysé général a baissé de niveau: il se laisse aller, livre sa confiance à son entourage et signe tout ce qu'on veut.

Du témoignage des aliénés en justice. Les aliénés peuvent-ils témoigner devant les tribunaux ? La loi est muette sur ce point; il résulte cependant de certains arrêts que leur témoignage peut être admis, mais sous toutes réserves. On ne devra jamais oublier que, même au moment où l'aliéné parait raisonner le plus juste, il peut être sous le coup d'hallucinations ou d'idées délirantes quelconques. Suivant Legrand du Saulle, son témoignage ne devra jamais être suffisant pour faire condamner un prévenu. Il faut distinguer du reste entre les individus atteints d'aliénation mentale confirmée, qui sont nécessairement incapables de déposer en justice, et les faibles d'esprit, les dé

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