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gravir, tant de marais fangeux à franchir, que vers le milieu du jour, s'apercevant que j'étais très-fatigué, il me proposa d'aller me reposer chez un de ses cousins, Alpin-Mac-Grégor, dont il me fit apercevoir la demeure. Nous en étions encore à plus de deux milles, mais ce n'était qu'un pas pour mon guide vigoureux.

En arrivant à la porte, il s'arrêta, y frappa avec ses sabots, et s'écria d'un ton de voix. pieux : Que la paix soit dans ta maison! » Il y avait dans cette pratique quelque chose de si évangélique, que je me sentis pénétré du respect et de l'amour commandés par le livre divin. Un vieux Celte, entouré de nombreux enfans, parut, le sourire sur les lèvres, et portant une bouteille à la main : « Que l'étranger soit le bien-venu » dit-il d'une voix assurée en étendant la main droite pour prendre la mienne; il la serra cordialement, et commença par boire un coup à ma santé en me souhaitant une longue vie. Un Anglais, un habitant des basses terres d'Ecosse, m'aurait d'abord présenté le verre, mais les principes d'hospitalité d'un montagnard lui ordonnent de boire le premier, parce que c'était jadis une preuve qu'on

pouvait accepter sans crainte la liqueur qui était offerte. « Apportez-moi la coupe que le prince donna à votre grand-oncle, » dit-il alors à un de ses enfans. Et il me fallut boire environ une demi-pinte de vin dans un grand gobelet d'argent, présent fait à la famille par celui que nous appelons le prétendant, et qu'Alpin et ses enfans nommaient toujours le prince; non qu'ils fussent des sujets aussi loyaux et aussi fidèles que qui que ce fût, mais parce que les anciens tems avaient toujours des charmes à leurs

yeux. On nous servit avec profusion du gibier froid, du beurre, du fromage, du lait de brebis, des œufs frais et du fairntosh; et après nous être reposés quelque tems, nous songeâmes à partir. Le laird* de cette petite ferme voulut me servir d'escorte pendant quelques milles, et insista pour porter mon fusil et ma gibecière tant qu'il resta avec nous. Il parut flatté de voir à mon chapeau une branche de bruyère, et lorsque nous nous séparâmes, il fit reparaître la bouteille qu'il avait apportée pour célébrer nos adieux. Il commença alors une prière en gallois pour supplier le bon esprit de nous ́accompa

Le maître.

gner, et nous quitta en formant de pieux souhaits qui partaient du cœur.

Arrivés près de la chaumière du vieux Grégor, Mac - Grégor, mon guide, tira un coup de fusil. C'était un signal convenu, et sur-lechamp le vieillard, en grand costume, sortit de chez lui à la tête de toute sa famille, précédé d'un joueur de cornemuse, et accompagné de paysans dont les gestes et les acclamations avaient pour but de prouver à l'étranger qu'il était le bien-venu. J'avoue que je fus assez faible pour verser quelques larmes, tant je m'attendais peu à un pareil accueil, tant je croyais peu le mériter, tant mon cœur se trouvait ému. Lorsque nous fumes entrés, le vieillard me voyant mouillé jusqu'aux genoux et tout couvert de boue, me proposa de prendre pour le reste de la journée le costume de montagnard, tandis qu'on nettoierait et qu'on ferait sécher mes vêtemens. C'était là un compliment dont je sentis toute la force, aussi n'eus-je garde de refuser cette proposition; car il faut savoir que le plus grand affront qu'on puisse faire à un montagnard, c'est de ne pas accepter une offre obligeante qu'il yous fait. « Cela vous va très

bien, me dit Mac-Grégor quand il m'en vit revêtu.

Nous nous mîmes à table. Elle était couverte de mets simples, mais abondans. On nous servit de fort bon vin, et la qualité d'étranger me valut des égards dont un prince aurait pu se regarder comme honoré. J'étais placé à côté de Marie, l'aînée des petites--filles du vieux MacGrégor, jeune et charmante brune, si aimable, si modeste, si naïve, que je sentis pour elle, à la première vue, un attrait impossible à définir. Pour rien au monde je n'aurais voulu passer huit jours dans cette maison hospitalière, j'y aurais laissé mon cœur, ou Marie serait devenue ma compagne dans le voyage de la vic. Nous passâmes la soirée fort gaîment. Mes chiens, non cheval furent bien soignés, et l'on grisa mon domestique, qui nous avait suivi pour être prêt à se remettre en marche avec moi le lendemain.

Le jour suivant, on me régala, à déjeûner, de thé, de café et d'un miel qui me rappela tout ce qu'ont dit les anciens sur celui du mont Hybla. On y ajouta du gibier froid, du poisson grillé, des œufs, des marmelades et des liqueurs que je

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pourrais nominer des combustibles liquides. J'en avalai pourtant un petit verre par égard pour mon hôte.

Nos adieux furent touchans. Le vieillard se

rappelant son âge, me dit la larme à l'œil : « Je ne vous reverrai peut-être jamais. » Et l'instant d'après, comme s'il avait eu honte de sa faiblesse, il ajouta d'un ton plus ferme. « Oh! si vous revenez l'année prochaine, et si le vieux Mac-Grégor est encore en vie, il vous recevra toujours comme un membre de sa famille.

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Que le Ciel vous bénisse tous ! m'écriai-je. » Je m'arrachai à leurs embrassemens, tandis que la cornemuse faisait entendre un air guerrier, et que les paysans poussaient des acclamations en agitant leurs bonnets. Je m'éloignai rapidement, car je sentais dans mon cœur une agitation que le mouvement seul pouvait calmer. Je m'arrêtai pourtant à quelque distance, pour jeter un dernier regard sur cette demeure hospitalière, et je vis que Mac-Grégor et toute sa famille avaient gravi une colline voisine qui dominait la route, afin, comme on dit, de me voir à perte de vue.

Mac-Grégor avait insisté pour que je gar

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