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peut encore citer, comme se rattachant à l'école du droit naturel, Barbeyrac, Burlamaqui et de Félice (1).

161. La doctrine de Pufendorf rencontra pourtant des adversaires convaincus, disposés à réagir contre l'importance exagérée du droit naturel. Samuel Rachel et Wolfgang Textor entre autres soutinrent la prédominance du droit positif (2). Ils sont, en quelque sorte, les précurseurs de la seconde école, de l'école « positiviste », dont la tendance était entièrement contraire à celle du droit naturel.

162. L'école positiviste, en effet, tient compte presque exclusivement des faits et des événements récents; elle prend en considération les traités et les usages des nations européennes ; quant au droit naturel, ou bien on reste indifférent à son égard et on semble l'ignorer ou bien on ne l'invoque qu'à titre très exceptionnel. La publication de grands recueils de traités, due à l'initiative de Leibnitz (3), fournit à la nouvelle école la matière de son œuvre. D'excellentes monographies publiées par Bynkershoek (4), un ouvrage remarquable dû à la plume de Gaspard de Réal (5), marquèrent les premiers pas dans la voie nouvelle. L'immense labeur de Moser (6) et ses nombreux ouvrages, puisés aux sources positives des traités et de la coutume, de

(1) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., § 95. (2) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., § 96. (3) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 399. (4) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 415. (5) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 416. titre La science du gouvernement (1754).

L'ouvrage a pour

(6) Jean-Jacques Moser (1701-1785) a composé un grand nombre de traités, dont on trouvera l'énumération dans Holtzendorff-Rivier, op. cit., § 102.

vaient servir de base à la science du droit des gens positif et pratique. Il fallait maintenant utiliser le produit de tous ces travaux, en coordonner les résultats, en présenter la synthèse et trouver une exposition plus scientifique et plus systématique des règles découvertes et reconnues applicables dans la pratique des relations internationales. Ce fut l'œuvre de Martens (1); cet auteur eut non seulement le mérite d'apporter une ordonnance nouvelle dans les matières du droit des gens (2), mais il eut encore celui de donner à l'histoire la place qui lui convient ; il a su manier avec intelligence les matériaux historiques pour en éclairer les principes de la doctrine.

163. L'opposition absolue entre le droit naturel et le droit positif, déjà bien affaiblie chez Martens, devait disparaître sous l'influence de nouvelles conceptions philosophiques. Kant, Hegel, ont apporté des théories sur le fondement du droit des gens (3) et ils ont inspiré plus d'un auteur; l'ouvrage de Zachariæ (4), en particulier, n'est qu'une

(1) Georges-Frédéric de Martens a publié également de nombreux ouvrages; le plus intéressant est le Précis du droit des gens moderne de l'Europe (1789). V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., § 104.

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(2) Martens expose dans une introduction les notions générales et préliminaires, puis il traite successivement «< la manière d'acquérir des droits positifs entre les nations; les droits réciproques des États relativement à leur constitution et à leur gouvernement intérieur ; les droits des nations relatifs aux affaires étrangères; les droits relatifs à la personne et à la famille des souverains; les négociations à l'amiable et diplomatiques; - les ambassades ; — la défense et la poursuite des droits entre les nations par des voies de fait; l'extinction des droits acquis »>.

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(3) Holtzendorff-Rivier, op. cit., §§ 105 et 107. D'après Kant l'humanité doit se constituer en État des nations; c'est une conception analogue à la civitas maxima de Wolff.

(4) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 429.

émanation du système de Kant. Au reste, leurs opinions personnelles sur le droit des gens, très contestables et abandonnées aujourd'hui, offrent moins d'intérêt que l'esprit général de leur philosophie et leur critique du droit naturel. Grâce à eux, à Kant surtout (1), on a mieux compris la place que le prétendu droit naturel devait occuper; on a senti qu'il ne fallait ni le répudier tout à fait, ni lui laisser un rôle décisif et prépondérant. Depuis lors, bien qu'il y ait encore des divergences parmi les auteurs modernes (2), sur le rapport exact qu'il convient d'établir entre le droit des gens naturel et le droit positif, on a pu dire, avec raison, qu'au XIXe siècle la majorité des ouvrages ont un caractère commun et que l'école dominante, à l'heure actuelle, est l'école du «< positivisme éclectique » ; on y complète l'exposé et l'interprétation des règles positives, à l'aide de la spéculation et de la critique scientifique (3).

164. Tandis que la notion du droit applicable aux rapports internationaux se développait en de nombreux ouvrages, la théorie « utilitaire », qui regarde l'intérêt comme le seul principe susceptible de présider aux relations entre les peuples, avait dans Montesquieu et dans Bentham des partisans et des défenseurs. Montesquieu se préoccupe surtout de l'intérêt particulier de chaque État (4); Bentham a plutôt en vue l'intérêt collectif de tous les États; d'après lui, l'objet des préceptes internationaux serait « la recherche de l'utilité générale dans le commerce d'États

(1) V. Heffter, op. cit., p. 27.

(2) V. suprà, § 2.

(3) Cpr. Heffter, op. cit., p. 27. Tout le paragraphe 10 de l'introduction d'Heffter (théories et littérature du droit public) est intéressant à consulter.

(4) Esprit des lois, I, 3; V. Heffter, op. cit., p. 28.

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indépendants et, en cas de guerre, production du moindre mal possible (1) ». Ces doctrines peuvent se rattacher à celle de Machiavel; mais la thèse est affinée, épurée: le réalisme étroit a disparu; la loi morale y trouve même sa place, pour ceux qui admettent que la véritable utilité s'identifie avec les prescriptions de la morale.

165. Depuis Grotius les progrès accomplis dans la science du droit des gens apparaissent surtout à deux points de vue. D'une part le caractère positif de ce droit s'est affirmé avec plus de netteté et de précision; la recherche et l'interprétation des règles positives constituent aujourd'hui l'objectif principal de la majorité des auteurs modernes. D'autre part le groupement des diverses questions agitées est devenu meilleur : la « systématique » s'est perfectionnée. On a tenté le classement dogmatique des matières, et la «< méthode » a donné au droit des gens une allure scientifique; elle en a fait une branche spéciale et caractérisée de la jurisprudence. Le choix d'une méthode, d'un plan rationnel d'exposition, n'est donc pas indifférent et c'est à cette tâche que la dernière partie de cette introduction a été consacrée.

(1) V. Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 435; Cpr. Heffter, op. cit., p. 28.

III

MÉTHODE

§15.- Plan méthodique pour l'étude du droit des gens.

166. Les divers ouvrages publiés sur le droit des gens présentent des différences assez sensibles dans le plan suivi pour l'étude de cette partie de la science juridique (1). On est cependant d'accord aujourd'hui pour rejeter les questions relatives à l'état de guerre, après celles qui concernent les relations pacifiques. Et même, le droit de la guerre remplit simplement d'ordinaire l'une des sections d'un chapitre dont l'ensemble a pour objet les litiges internationaux et les moyens d'y mettre fin.

167. Dans le droit privé, on commence généralement par étudier les personnes, sujets du droit; de même, dans le droit international public, on doit tout d'abord consacrer une partie spéciale aux États, qui sont les sujets uniques (2) du droit des gens.

168. — Il convient ensuite de préciser les droits qui appartiennent nécessairement aux États ou peuvent acci

(1) On peut comparer, à cet égard, les ouvrages de Heffter, Bluntschli, Calvo, Pradier-Fodéré, la brochure de M. Renault qui se termine par le Programme d'un cours de droit des gens, Holtzendorff, op. cit., § 20 et enfin un ouvrage récent de M. Rivier, Programme d'un cours de droit des gens (pour servir à l'étude privée et aux leçons universitaires).

(2) C'est l'opinion à laquelle je me range.

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