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le développement même du droit et ne contribuent à en assurer et à en fortifier l'exercice: en effet, les preuves d'amitié et les marques de bienveillance, que se témoignent les États, apparaissent comme un facteur sérieux de la durée des bonnes relations pacifiques; le manque d'égards et les procédés contraires à la politesse internationale sont susceptibles de faire naître des ressentiments dangereux, qui s'opposent aux ententes amiables et par suite aux progrès concertés du droit.

37. La comitas gentium n'est pas une source du droit des gens; elle ne contient que des «< usages »; les États ne sont pas tenus juridiquement de les observer; ils les respectent seulement par raison politique et par souci du bien public intéressé à la bienveillance courtoise des peuples dans leurs rapports mutuels (1). Mais il est parfois difficile de distinguer de la règle juridique l'usage de convenance relevant de la comitas gentium, puisque, dans un cas comme dans l'autre, toute sanction positive fait défaut. Voici cependant un critérium au moins théorique : l'État ne peut formuler de réclamations légitimes contre l'inobservations des convenances internationales; il n'en serait autrement que dans le cas où le manque d'égards proviendrait d'une volonté consciente et réfléchie de faire une injure à l'État, atteint dans sa dignité (2). Nous avons déjà vu que

(1) Aussi Holtzendorff dit-il que « la comitas gentium tient le milieu entre les préceptes de la morale et les règles d'utilité pratique de la politique ». Op. cit., p. 70. V. au reste tout le paragraphe 19.

(2) On demande d'ordinaire des explications par voie diplomatique à l'État qui a manqué aux usages de convenance, afin de bien établir qu'il n'y a pas eu l'intention mauvaise de faire une injure. C'est ce qui eut lieu, par exemple, lorsque la flotte anglaise, sur laquelle se trouvait le duc d'Edimbourg, oublia récemment de faire les saluts d'usage.

l'on peut élever au contraire de justes prétentions contre la violation d'une règle de droit. C'est le même critérium qui nous avait déjà permis de séparer la règle juridique du précepte moral. Mais alors la difficulté consiste maintenant à distinguer la comitas gentium de la loi morale; une différence sensible peut être signalée: la courtoisie internationale en effet ne se conçoit dans l'application que si elle est réciproque; il n'y a pas lieu de se préoccuper des convenances vis-à-vis des peuples qui ne connaissent aucun usage de ce genre. La loi morale est plus exigeante et s'impose au respect unilatéral des États: une nation ne peut s'affranchir des préceptes de morale au regard des peuplades barbares, qui n'ont point encore acquis de notions analogues, tandis qu'elle peut et doit même négliger, visà-vis de ces peuplades, des marques de politesse, réservées aux peuples civilisés, capables de les saisir et de les rendre (1).

$6.

- Limites géographiques du droit des gens.

38. des gens relatives à son objet. Quelle est maintenant l'étendue exacte de son empire sur les sujets qu'il régit? Quel est le domaine géographique du droit des gens?

Nous venons de déterminer les limites du droit

En théorie, le droit des gens est susceptible de recevoir

(1) Les États européens ont souvent intérêt à se plier aux usages particuliers des peuples barbares; c'est à la nation la plus intelligente qu'il appartient de modifier, suivant les besoins, les formes de la politesse et de se prêter, à cet égard, aux habitudes de peuples inférieurs, qui, eux, ne pourraient comprendre le changement.

une application universelle et l'idéal serait même de le voir régir tous les peuples, qui se trouvent sur la surface de la terre. Mais, en fait, son empire actuel n'est pas aussi vaste ; il n'a d'application pratique qu'entre les États qui ont une certaine conscience juridique et possèdent la notion de règles obligatoires pour leurs affaires extérieures. Le droit des gens suppose la réciprocité; il n'y a de véritables rapports juridiques internationaux qu'entre deux peuples ayant la volonté d'observer l'un et l'autre la même règle pour un rapport déterminé et l'application du droit, dans les relations extérieures de ces deux peuples, s'arrête au point précis où le développement de leur conscience juridique cesse d'être commun.

39.

Aujourd'hui encore, il y a des peuples que l'on peut considérer comme étant tout à fait en dehors du droit des gens; les peuplades sauvages du centre de l'Afrique, par exemple, n'ont aucune conception juridique à cet égard, et, ni dans leurs rapports entre elles, ni dans leurs relations avec des nations civilisées, il n'y a place pour l'application d'une règle de droit. Si les États européens ne se départissent pas vis-à-vis d'elles de certains préceptes, c'est pour demeurer fidèles observateurs de la loi morale et non parce qu'ils sont juridiquement obligés (1). D'autres peuples, qui possèdent un minimum de conscience juridique, sont soumis à une application partielle du droit des gens; il en est qui se sentent au moins tenus par les liens de la

(1) Certains auteurs pensent que le droit des gens doit s'appliquer, au moins pour partie, à l'égard de peuples quelconques. V. Renault, op. cit., § 17; Phillimore, Commentaries upon international law; Bulmerincq, op. cit. ; indications fournies par Holtzendorff, op. cit., p. 17, note 2.

parole donnée, par l'engagement pris dans un traité ; il en est d'autres qui conçoivent des obligations plus étendues et certains États, comme la Chine, le Japon, le royaume de Siam, sont tout prêts d'atteindre le sens juridique des peuples, chez lesquels le droit des gens reçoit sa plus large application (1). C'est dans les États de l'Europe que le droit des gens a d'abord acquis son développement maximum; aussi l'expression « droit des gens européen » estelle usitée pour désigner l'ensemble le plus complet des préceptes de droit applicables aux relations extérieures ; on dit encore que les États, soumis à ces règles étendues, constituent le «< concert européen ». Cependant, la limite de ce domaine supérieur du droit des gens n'a jamais exacment coïncidé avec les frontières de l'Europe. En effet, avant 1856, la Turquie était encore étrangère au concert européen; elle n'était pas entrée dans la communauté juridique des peuples les plus civilisés, et, lorsqu'elle fut admise à en faire partie, le droit des gens suivi en Europe avait déjà étendu son domaine sur d'autres continents et notamment sur les États américains (2) issus de colonies européennes.

(1) Ces États ont des représentants officiels auprès des gouvernements européens.

(2) La distinction indiquée au texte, relativement à l'application pratique du droit des gens, répond à peu près à la division des peuples en trois groupes, proposée par M. Lorimer (op. cit., t. I, p. 161) et comprenant l'humanité civilisée (domaine d'application du droit des gens européen), l'humanité barbare (États asiatiques où l'application du droit des gens n'est que partielle), l'humanité sauvage (peuplades étrangères à toute notion juridique). Il nous paraît par ailleurs inutile de distinguer avec Holtzendorff diverses unions juridiques pour l'application du droit des gens: 1° Union des anciens États européens, dont le Congrès de Vienne a réglé l'arrangement territo

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40. Grâce à l'accroissement des colonies et au progrès de la civilisation, le droit des gens étend peu à peu son empire. Chaque acquisition coloniale de territoires nouveaux est pour lui une conquête; les États, acquis partiellement aux préceptes juridiques, se rapprochent du degré de culture des peuples européens; ceux qui n'avaient aucune notion du droit commencent à posséder le minimum de conscience juridique, suffisant pour permettre l'application de quelques règles élémentaires (1). On peut donc affirmer que le domaine effectif du droit des gens tend à se rapprocher de son domaine théorique.

41.

$7. Définition et dénomination.

Les diverses observations présentées jusqu'ici me permettent de proposer la définition suivante: le droit des gens est l'ensemble des règles observées dans les rapports respectifs des États, ayant la conscience et la volonté d'être soumis à des obligations juridiques.

Cette définition exprime le caractère positif du droit des gens, sans tenir compte du droit naturel, qui relève exclusivement de l'étude scientifique; elle limite en même temps l'objet propre du droit des gens, borné aux rapports entre

rial; 2o Union de ces États et des colonies du nouveau monde; 3o Union existant depuis 1856 entre la Turquie et les anciens États de l'Europe; 4o Union basée sur des conventions spéciales entre des États européens et des États américains ou asiatiques. V. Holtzendorff, op. cit., p. 17; Cpr. au surplus les paragraphes 3, 4 et 5.

(1) Les nombreuses conventions passées avec les peuplades de l'Afrique leur apprennent à concevoir la notion d'un engagement juridique.

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