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les États, et laisse au droit international privé ou pénal le règlement des rapports où se trouvent intéressés des particuliers; elle marque enfin l'étendue pratique de son application, restreinte aux seuls États qui ont accepté de se soumettre à des règles de droit. Beaucoup d'auteurs ont présenté d'autres définitions; je les crois moins exactes et toutes sujettes à quelque critique (1).

42. Avec une définition précise, la recherche d'une dénomination convenable n'a plus qu'un intérêt secondaire. Aussi est-il permis, je crois, d'employer à volonté, pour désigner la partie de la science juridique qui traite des rapports entre États, ou bien l'expression de Droit des gens, ou bien celle de Droit international public. Cependant l'une et l'autre méritent quelque reproche.

L'expression « droit des gens » est équivoque et risque d'amener une confusion avec le jus gentium des Romains. Ce dernier terme avait d'ailleurs à Rome des acceptions diverses: tantôt il fonctionnait comme synonyme de jus naturale et désignait le droit communément observé chez tous les peuples; tantôt, dans un sens plus précis, peut

(1) M. Pradier-Fodéré (op. cit., t. I, no 1) rapporte ces diverses définitions: les unes ont le tort de comprendre dans une même formule le droit des gens positif et le droit des gens naturel; d'autres renferment inutilement l'idée de sources déterminées. Les seules qui méritent d'être retenues sont : 1o celle de Bulmerincq : «< le droit des gens est l'ensemble des règles de droit qui se forment touchant les rapports entre États » (Cette définition est aussi rappelée par Holtzendorff, op. cit., p. 7, note 1); 2o et celle de Renault, op. cit., § 6: « le droit des gens ou droit international public est le droit des nations ou des États, l'ensemble des règles destinées à concilier la liberté de chacun avec celle des autres ». Ces deux définitions me paraissent toutefois moins complètes et moins précises que celle proposée au texte.

être dérivé de l'acception précédente, le jus gentium comprenait cette partie du droit romain, qui pouvait être appliquée, même dans les rapports avec les pérégrins, par opposition au jus civile, dont le bénéfice était réservé aux seuls citoyens romains (1); enfin les mots jus gentium s'appliquaient aux règles observées dans les relations entre peuples différents (2).

Pour éviter toute confusion, un auteur anglais, Zouch, avait proposé de dire jus inter gentes (3). La traduction littérale de cette expression a fourni à d'Aguesseau celle de «< droit entre les gens (4) », et à Bentham la dénomination mieux accueillie de « droit international (5) ». Il importait toutefois de préciser cette dénomination et de distinguer le droit des gens proprement dit des règles relatives aux rapports entre particuliers de nationalités différentes ; on a eu recours, dans ce but, à la distinction, déjà opérée dans le droit national, entre le droit public et le droit privé; et c'est ainsi qu'on a séparé le « droit international privé » du «< droit international public ».

(1) Dans l'article 11 du Code civil, les mots «< droits civils » sont encore employés, au moins dans l'opinion de la jurisprudence, par opposition à la partie du droit qui n'est pas spéciale à tel ou tel peuple et constitue le droit des gens, selon le sens ordinaire de jus gentium à Rome.

(2) V. 1. 17, Dig. L. 7; V. l'article déjà cité sur Le droit des gens dans les rapports de Rome avec les peuples de l'antiquité.

(3) V. Holtzendorff, op. cit., p. 10, note 2 et p. 374 (HoltzendorffRivier, § 90).

(4) D'Aguesseau, OEuvres, éd. de 1756, t. IV, p. 267.

(5) L'expression de Bentham «< international Law » est devenue en langue française « droit international », grâce à Étienne Dumont, un Genevois ami de Bentham. Holtzendorff-Rivier, op. cit., § 109, p. 436.

DÉFINITION ET DÉNOMINATION Malgré l'adjonction de l'épithète, cette dernière expression n'offre pas encore toute la précision désirable: elle n'indique pas assez nettement que le droit international public est restreint aux rapports entre États, à l'exclusion du droit pénal international; le droit criminel est en effet considéré par beaucoup d'auteurs comme une branche du droit public (1).

Malgré ces réserves, il vaut mieux conserver soit la dénomination de « droit des gens », en observant qu'elle ne correspond pas au sens ordinaire du jus gentium des Romains, soit l'expression « droit international public », à la condition de ne l'étendre qu'aux rapports entre les États (2). Il est inutile de rechercher d'autres dénominations, difficiles à faire accepter, puisqu'on est surtout habitué dans la pratique aux deux expressions qui viennent d'être indiquées (3).

(1) Au reste la division du droit interne en droit public et droit privé n'est pas à l'abri de toute critique. V. Aubry et Rau, op. cit., t. I, p. 3, note 1.

(2) M. Renault (op. cit., § 5) reconnaît que les deux expressions sont synonymes, mais avec une réserve, qui semble assez difficile à justifier. « Nous considérons, dit-il, les deux expressions comme synonymes, en faisant remarquer que « droit des gens » correspond plutôt à la partie théorique du sujet et « droit international » à la partie pratique, le premier indiquant ce qui doit être et le second ce qui est »>. V. à cet égard Holtzendorff-Rivier, op. cit., p. 377, note 2.

(3) On trouve encore employée l'expression «< droit public externe »>. La dénomination allemande est Vælkerrecht; les Anglais se servent des mots law of nations, international law; dans les autres pays on trouve la traduction des termes droit des gens ou droit international public.

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Les « sources » du droit des gens: distinction

nécessaire.

43. Dans l'étude du droit des gens, comme dans celle de toute autre branche de la science juridique, il est nécessaire de connaître les modes de formation du droit et les documents propres à fournir la formule des règles usitées. Il y a là deux questions différentes, bien qu'une expression commune puisse servir à les désigner: en effet, lorsqu'on parle des sources du droit, on fait allusion tantôt aux modes de formation, tantôt aux documents qui servent à la connaissance des préceptes reçus (1). Cette double acception du mot «< sources » a eu pour conséquence regrettable de jeter un peu de trouble dans l'exposé de beaucoup d'auteurs : ils ont placé parfois sur la même ligne, sans grand discernement et un peu pêle-mêle, ce que l'on pourrait appeler les « sources créatrices du droit » et les << sources documentaires des règles de droit ». Pour écarter toute confusion, il paraît préférable de renoncer à l'expression ambiguë de « sources » et de distinguer nettement:

1o Les modes de formation du droit des gens;

2o Les instruments servant à la connaissance du droit

des gens.

(1) L'énumération, que Cicéron nous donne des fontes juris en droit romain, se réfère aux instruments servant à la connaissance des règles du droit; ce sont les « tabulæ, testimonia, pacta conventa, quæstiones, leges, senatusconsulta, res judicata, decreta, responsa ». V. De Orat., II, 27. Cpr. ce que dit Cuq sur les sources du droit romain, op. cit., p. 4.

44.

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Le droit des gens, malgré son caractère positif, n'est pas, comme on le sait déjà, l'œuvre d'une autorité supérieure régulièrement constituée; il n'y a pas de législateur international, chargé de dicter des règles obligatoires pour les États. Mais l'autorité législative n'est pas le seul mode générateur du droit dans les autres branches de la jurisprudence, et en particulier dans le droit privé, le pouvoir législatif a manifesté son activité assez longtemps après un autre mode de formation du droit; la coutume, en effet, a commencé par fixer des règles essentielles, elle a donné naissance à la partie la plus profonde du droit. Le pouvoir législatif, qui reçut pour mission première de constater les règles émanées de la coutume, n'entraîna pas la disparition immédiate de ce mode de formation: la coutume et le pouvoir législatif ont agi d'abord concurremment, et le pouvoir législatif n'a réussi que beaucoup plus tard à dominer, puis à faire disparaître tout à fait l'autorité de la coutume.

45. Il n'est donc pas surprenant de voir la coutume contribuer à la formation du droit des gens. A côté de la coutume, une place appartient aux traités, dans lesquels les États s'engagent à reconnaître et à observer certains préceptes, comme règles applicables à leurs rapports mutuels.

On considère parfois comme un mode spécial de formation du droit ce qu'on appelle la « reconnaissance (1) »; (1) On parle aussi, à ce propos, de communis consensus ou de <«< conscience juridique concordante ». V. Holtzendorff, op. cit., p. 89.

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