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nationales n'ont pas la valeur d'un mode de formation du droit.

En effet, ou bien la loi, qui contient certaines prescriptions relatives au droit des gens, a été promulguée par un seul État. Le plus souvent, en pareil cas, elle prouve l'adhésion de cet État à un principe international déjà fixé par la coutume ou les traités (1). Si, par exception, elle exprime des idées nouvelles, elle ne constitue, en réalité, qu'un projet proposé à l'approbation des autres États; ceux-ci peuvent ensuite, mais en toute liberté, conformer leur conduite aux indications fournies par la loi et souscrire en pratique aux propositions présentées; dès lors une règle prendra sans doute naissance, mais c'est la pratique qui l'aura créée; la loi aura servi de premier terme à l'établissement d'une règle coutumière (2).

Ou bien on trouve sur le même objet des lois semblables promulguées par la majorité des États. Supposons, par hypothèse, ces lois édictées en même temps, par suite d'un accord au moins tacite entre les États; la règle, qui pourrait en résulter au point de vue du droit des gens, ne devrait point encore son origine aux lois nationales; celles-ci res

(1) Les lois nationales peuvent donc être utiles à consulter pour établir à l'encontre d'un État l'existence d'une règle contestée par lui; la preuve sera suffisante, si on peut lui opposer une de ses propres lois contenant confirmation au moins implicite de la règle.

(2) C'est ainsi que certaines prescriptions de la loi italienne, dite des « garanties », sont entrées dans le domaine du droit des gens; les autres États ont accepté les dispositions prises envers le St-Siège par le gouvernement italien et ont consenti à les suivre dans leurs rapports avec le Souverain-Pontife, de sorte que l'Italie elle-même se trouve, au point de vue international, juridiquement liée par sa propre loi, devenue règle commune pour les États européens. Cpr. Holtzendorff, op. cit., p. 113.

teraient simplement une manifestation de la communauté des idées, une preuve de la volonté concordante des États, la trace écrite d'une règle conventionnelle; au lieu du texte unique d'un traité, on aurait en quelque sorte des exemplaires distincts et rédigés séparément. Au reste, cette supposition ne s'est jamais réalisée en fait. On rencontre plutôt l'exemple de législations successives sur une même matière, avec reproduction de dispositions semblables; la conformité de ces lois diverses démontrera l'existence d'un principe (1) généralement accepté. Mais il convient de rappeler ici la remarque faite à propos des traités spéciaux: la naissance de la règle internationale est due au fait même de la succession des lois, à la répétition usuelle des décisions prises par les divers États, c'est-à-dire à une pratique habituelle et généralisée : c'est l'usage, c'est la coutume qui a créé la règle.

65. Si l'on consulte les lois assez nombreuses promulguées par les États sur des matières propres au droit des gens, on reconnaît qu'elles ont surtout pour but l'accomplissement des obligations internationales imposées à l'État par des règles coutumières ou conventionnelles; elles procurent, dans le ressort de chaque État, une meilleure observation des règles existantes, et à cet égard elles mériteraient d'être plus nombreuses encore. Chaque État répond en effet, vis-à-vis des autres membres de la communauté, de la violation des principes internationaux, commise sur son territoire par des personnes soumises à son action; pour commander à ces personnes, pour les obliger au respect des principes susdits, l'État agit, selon le mode nor

(1) On peut en trouver un exemple dans les législations qui réglementent les prises maritimes.

mal, en promulguant une loi impérative, entourée d'une sanction judiciaire (1). C'est ainsi que les législations peuvent garantir, en termes exprès, les privilèges et immunités des ambassadeurs, prescrire des mesures sur l'observation d'une neutralité déclarée, ou formuler des instructions sur la conduite des armées en campagne (2).

En résumé, les lois nationales peuvent fournir des renseignements précieux pour la connaissance et la démonstration des règles juridiques admises dans le droit des gens, mais elles ne sont pas l'un des modes générateurs de ce droit.

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66. La remarque précédente s'applique aussi à la jurisprudence, aux sentences des tribunaux. Elle s'applique même a fortiori aux décisions des tribunaux ordinaires d'un pays, rendues sur l'application des lois nationales susdites ou sur toute autre question de droit international public. La remarque, au reste, demeure vraie à l'égard des sentences prononcées par des tribunaux spéciaux, par des cours nationales, instituées pour juger certaines difficultés relatives au droit des gens (3); enfin elle est encore exacte, si on l'étend aux jugements émanés de tribunaux mixtes, ou d'arbitres appelés à trancher un conflit international.

Si les sentences des tribunaux ont pu concourir à la formation du droit privé, ce fut en vertu d'une permission

(1) On donne ainsi aux règles du droit des gens une sanction pratique, mais limitée au ressort de chaque État; la sanction ne provient pas encore d'une autorité supérieure, commune à tous les États.

(2) En France les lois de cette nature sont assez rares. On peut citer cependant une loi du 20 décembre 1884 sur l'application de la convention internationale relative aux câbles sous-marins.

(3) Par exemple les tribunaux de prise.

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expresse de l'autorité législative ou en passant dans l'usage, qui les transformait en règles coutumières. Dans le droit des gens, les décisions jurisprudentielles peuvent bien avoir une certaine influence sur le développement du droit coutumier ou sur la préparation des règles conventionnelles (1); mais elles ne donnent pas, directement et par elles seules, naissance à des préceptes juridiques; aucune autorité supérieure ne les a appelées à jouer un pareil rôle. Cependant elles méritent d'être consultées avec soin: elles font connaître le sens et la portée pratique d'une règle de droit et son interprétation ordinaire; elles ont, à cet égard, la même importance que les arrêts pour l'étude des articles de loi. Il convient toutefois de ne pas accepter sans réserve les sentences des cours nationales, trop souvent dictées par le souci des intérêts politiques ou l'excès de sentiments patriotiques. Les cours d'amirauté d'Angleterre en ont donné la preuve, surtout pendant la lutte soutenue contre Napoléon Ier (2). Les tribunaux mixtes, les décisions d'arbitres, offrent plus de garanties d'impartialité, et leurs jugements sont des documents très utiles pour la connaissance pratique du droit des gens coutumier ou conventionnel.

(1) Ainsi la sentence rendue dans l'affaire de l'Alabama a contribué à fortifier certains principes de la neutralité. Les diplomates, dans la préparation d'un traité destiné à formuler des règles juridiques, peuvent consulter des décisions judiciaires et s'inspirer de leurs données.

(2) Cpr. Renault, op. cit., § 34.

§ 11. — Instruments servant à la connaissance

du droit des gens.

67. Après avoir déterminé les modes générateurs du droit des gens, il faut maintenant rechercher les instruments utiles à sa connaissance, les documents capables de contenir l'expression des règles positives, d'en démontrer l'existence ou d'en établir la portée et l'étendue.

a.

Connaissance des règles coutumières.

68. C'est la connaissance des règles coutumières, qui présente le plus de difficultés.

Pour y parvenir, il est utile de consulter d'abord l'histoire des relations internationales; on y pourra trouver, en fait, la démonstration d'une pratique habituelle, la répétition de rapports identiques, dans lesquels les États ont suivi une ligne de conduite constante et uniforme; on suivra ainsi sur les événements la formation même de la règle coutumière.

69. Les traités, comme il a été dit, peuvent être utilisés pour la recherche des principes imposés par une pratique habituelle, soit qu'ils marquent le terme final de l'évolution coutumière, soit qu'ils contribuent au développement de l'usage. En même temps on devra consulter certains documents nécessaires, comme on le verra bientôt, à l'interprétation des conventions internationales.

70. On vient en outre d'indiquer comment les lois nationales et les décisions des tribunaux servent à la connaissance du droit des gens.

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