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» Ceux-là veulent paraître bien faire et persua» der aux évêques qu'en agissant ainsi, ils ont >> bien mérité de Dieu; mais il est évident qu'ils >> font cela pour atteindre au pouvoir '. >

Du reste, il serait injuste d'attribuer à la ruse et à la séduction cette accumulation de domaines, qui fit du clergé le premier corps de l'État. Quelque puissant que soit l'esprit de suite de ces grands corps qui ne périssent jamais et qui jamais ne lâchent ce qu'ils ont une fois acquis, néanmoins cet esprit n'expliquera jamais la ferveur et l'empressement des donateurs, qui tous, corps et biens, se jetaient sous le patronage de l'Église, comme dans le seul port de salut.

La religion, la terreur de l'enfer, le désir de gagner le ciel, la crainte de la fin du monde, la fuite de l'oppression séculière, le remords 3, le besoin qu'éprouvèrent de bonne heure les rois

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Capitulaire second de l'an 811, Baluze, I, 480.

Marculf, lib. II, form. 3.

Voyez les prologues des Formules de Marculf: Ille reus quidem meritis flagitiis, quoque sceleribus, prælascivis actibus ac nimia fœditate pollutus, vel opere omnium bonorum christianorum longe satis extremus. Lib. II, form. 1.

Les Barbares s'imaginaient effacer tous leurs crimes par de riches donations: Sint hæc Ecclesiæ data, dit un Barbare, ut dum de his pauperes reficiuntur, mihi veniam obtineant apud Deum (Greg. Tur., VI, 20). Le concile de Châlons, sous Charlemagne, s'éleva contre cette fausse idée; cap. 36: Non enim idcirco quis peccare debet ut eleemosynam faciat, sed ideo eleemosynam facere debet quia peccavit.

germains d'être autre chose que des chefs de bande et de s'appuyer sur les évêques, déposi→ taires des traditions romaines, pour être empereurs en leur pays; mille causes en un mot contribuérent à cette fortune inouïe du clergé, et jamais, on peut le dire, meilleur usage ne fut fait d'une aussi grande puissance. C'est aux monastères, c'est à la sécurité dont le respect des saints environnait ces pieux asiles, que nous devons ce que nous sommes; ce sont les moines qui ont défriché, mis en culture et peuplé les immenses solitudes qu'avaient faites la nature, l'avarice romaine ou la conquête; ce sont eux qui ont mis en valeur la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Angleterre. Il est venu sans doute une époque où, leur tutelle finie, ce peuple de travailleurs que les moines avaient créé a trouvé bien lourd le joug du servage qui pesait sur sa tête et a enveloppé dans une commune haine les oppres seurs du siècle présent et les bienfaiteurs des siècles passés; mais c'est au philosophe de s'élever au-dessus de ces préjugés du vulgaire et de rendre justice à des vertus qu'on méconnaît trop aujourd'hui. Comme agriculteurs et comme savans, les moines ont été nos premiers maîtres. Et si dans nos villes on élevait des monumens

aux promoteurs de la civilisation, le premier, le plus beau appartiendrait, je ne crains pas de le dire, à l'ordre des Bénédictins.

CHAPITRE XVI.

Des pays où les alleux se maintinrent.

J'ai dit les causes qui diminuérent progressivement le nombre des petits alleux; ces causes n'agissant pas partout avec la même intensité, les alleux se maintinrent en certains pays. C'est

qui arriva, par exemple, dans les régions d'outre-Loire, et c'est à cette persistance des alleux que j'attribue cette division capitale de pays coutumiers et pays de droit écrit : division applicable à l'Europe franco-romaine.

Dans le nord de la France, où le flot barbare se succéda continuellement pendant les deux premières races, l'organisation féodale fut une nécessité; par suite les coutumes féodales, qui partaient de principes tout différens de ceux du droit civil, et la juridiction territoriale étouffé rent la loi romaine.

Au midi, où la population gallo-romaine était riche et nombreuse, où la conquête des Wisigoths n'avait point ébranlé la législation romaine, où cette uniformité dans l'esprit de la législation avait effacé toute distinction entre les provinciaux et les vainqueurs, les propriétés libres

ou, comme on les nomma alors, les alleux se maintinrent, et avec les alleux la loi romaine, qui tout à la fois cause et effet de la liberté des terres, protégea les alleux contre la loi féodale et, contre-balançant l'esprit germain, força ce qu'il y eut de fiefs dans le Midi à se prêter aux formes et à l'esprit de la législation romaine 1.

Cette persistance des lois romaines, qui conserva la civilisation dans les provinces du Midi et rendit ces grandes cités méridionales libres et florissantes à une époque où le Nord était plongé dans la plus épaisse barbarie, a vivement frappé M. de Savigny dans sa belle Histoire du droit romain au moyen âge. Mais avant lui, trois jurisconsultes du Midi, Cazeneuve, Dominicy 2, avaient rattaché la liberté des terres et des hommes à la loi romaine; Hauteserre surtout, esprit exact et vif, qui a suivi avec un détail infini cette loi romaine dans toutes ses manifestations et a montré comment et par où le droit coutumier a fait invasion dans les usages romains, Hauteserre ne s'y était pas trompé. Pour

'Caseneuve, Traité du franc-alleu de Languedoc, Toulouse, 1645, tome I, p. 37. Furgole, du Franc-alleu, Paris, 1777, chap. II, p. 213. Montesquieu, liv. XXXI, ch. 8; liv. XXVIII, ch. 3.-Hist. du Languedoc, aux preuves, passim.

* De Prærogativa allodiorum, Paris, 1645, in-4°. C'est l'ouvrage le plus solide sur les alleux du Midi.

lui, la loi romaine est la mère des alleux, allodiorum parens'.

Ce n'est pas seulement dans le midi de la France, c'est dans l'Espagne, dans l'Italie, que se maintint la loi romaine; mais c'est surtout dans la Lombardie qu'il faut voir comment ce génie vivace du droit romain pénétra complètement et finit par absorber ces coutumes lombardes, les plus entièrement germaines parmi les coutumes barbares. Le livre des fiefs est une curieuse démonstration de tout ceci.

CHAPITRE XVII.

Des grands alleux.

Quant aux grands alleux, c'est-à-dire à ceux que la puissance du propriétaire garantissait de

Dans la préface des Rerum Aquitan., lib. X, éd. de Naples, IV, p. 1, p. 20. Il faut lire le troisième livre tout entier. Hauteserre l'avait déjà publié séparément sous le titre de Lex Romana, en l'an 1641; éd. de Naples, tome IV, pars prima, p. 83-114. Donation de Raoul, comte de Cahors, sous Louis-le-Débonnaire: Legum authoritas et patrum constitutio monet qualiterhomines cuncti sub vinculo legis romanæ consistentes ex propriis rebus facere quidquid voluerint juxta Dei voluntatem faciendi licentiam habeant. Idcirco in nomine Dei, ego ipse Rodulphus, comes, et rel. Dominicy, p. 136.

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