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la violence ou de la juridiction envahissante du comte, leur condition était préférable à celle des bénéfices.

La propriété des alleux était pleine, perpétuelle, indépendante et en quelque façon souveraine; celle des bénéfices était précaire, dépendante, viagère. Aussi les grands bénéficiers s'efforçaient-ils continuellement de convertir leurs bénéfices en alleux 1.

Charlemagne menace sans cesse ces déprédateurs des bénéfices royaux qui, au mépris de la foi jurée, aliènent le bénéfice et le rachètent comme un alleu dans l'assemblée du canton 2; Louis-le-Débonnaire ordonne de leur retirer

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Cap. Kar. M. ann. 802, c. 6. (Baluzé, I, 364). Capit. VII, ann. 803, c. 3. (Bal., I, 403). Cap. incerti anni, ch. 49. (Bal., I, 518.)

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Capit. V, ann. 806, cap. 7. Auditum habemus qualiter et comites, et alii homines qui beneficia nostra habere videntur, comparant sibi proprietates de ipso nostro beneficio, et faciunt servire ad ipsas proprietates servientes nostros de eorum beneficio, et curtes nostræ remanent desertæ, et in aliquibus locis ipsi vicinantes multa mala patiuntur. Cap. 8. Audivimus quod alibi reddant beneficium nostrum ad alios homines in proprietatem, et in ipso placito dato pretio comparant ipsas res iterum sibi in alodum: quod omnino cavendum est; quia qui hoc faciunt non bene custodiunt fidem quam nobis promissam habent. (Baluze, 453.)

Cap. IV, ann. 819. Quicumque suum beneficium occasione proprii desertum habuerit et intra annum postquam ei à comite vel à misso nostro notum factum fuerit, illud emendatum non

cette concession dont ils abusent. Effort inutile: tout grand propriétaire veut devenir indépen dant à mesure qu'il se sent moins protégé ou moins maintenu par le pouvoir central.

Ainsi s'explique ce phénomène singulier qui se présente sous Charles-le-Chauve; phénomène qui a frappé tous les bons esprits'. On touche à l'époque où le système féodal va prévaloir, où - suivant les idées ordinaires - la propriété allodiale va se perdre dans les bénéfices; et précisément alors le nom d'alleu devient plus fréquent que jamais dans les lois, dans les diplômes, dans tous les monumens de l'époque. On donne, le nom d'alleu à des terres évidemment bénéficiaires 2; le lien du bénéfice, qui se resserre entre le grand et le petit propriétaire, s'est rompu entre la couronne, impuissante, appauvrie, et les grands vassaux tout-puissans par leurs possessions et leurs fidèles. Charlemagne multipliajt les me

habuerit, ipsum beneficium amittat. Capil. Wormat., ann. 829, addit. c. 1. (Baluze, I, 611, 665.)

Guizot, Essais sur l'histoire de France, troisième essai. 2 Cap. Post reditum a Confluentibus, cap. 4, 5. (Bal., II, 145). Adnuntiatio, cap. 5.— (Bal., II, 148). Apud Tusiacum, cap. 5, 7. (Bal., II, 197, 198). — Nous donnons au comte Oliba, dit un diplôme de Charles-le-Chauve, omnes alodes quæ fuerunt olim infideli nostro Etelio Berani, et ob illius infidelitatem in jus et dominationem nostram legaliter devenerunt. Ces alleux sont évidemment des bénéfices. Hist. du Languedoc, tome I, dip. 107.

naces et les lois pour empêcher de convertir les bénéfices en alleux; Charles-le-Chauve donna le nom d'alleux aux bénéfices tenus de lui'. La révolution est faite : les grands bénéfices ont acquis les priviléges et l'indépendance des alleux, les petits alleux ont disparu ou se sont changés en précaires et en bénéfices; le régime féodal a conquis la propriété.

Et dominus Karolus excelsiori voce lingua romana dixit : << Illis hominibus qui contra me sic fecerunt sicut scitis, et ad meum fratrem venerunt, propter Deum et propter illius amorem, et pro illius gratia totum perdono quod contra me misfecerunt, et illorum alodes de hereditate et de conquisitu, et quod de donatione nostri senioris habuerunt, excepto illo quod de mea donatione venit, illis concedo, si mihi firmitatem fecerint quod in regno meo pacifici sint, et sic ibi vivant sicut christiani in christiano regno vivere debent; in hoc si frater meus meis fidelibus qui contra illum nihil misfecerunt, et me quando mihi opus fuit adjuvaverunt, similiter illorum alodes, quos in regno illius habent concesserit. Sed et de illis alodibus quos de mea donatione habuerunt, et etiam de honoribus, sicut cum illo melius considerabo, illis qui ad me se retornabunt, voluntarie faciam.

Et dominus Hlotarius lingua theodisca insupra adnuntiatis capitulis se consentire dixit, et se observaturum illa promisit. Adnuntiatio apud Confluentes, c. 7. (Bal., II, 144.)

LIVRE VII.

LE DOMAINE DU ROI, LES IMMUNITÉS ET
LES BÉNÉFICES.

CHAPITRE PREMIER.

Du roi.

Comprend-on bien ce que c'était qu'un roi barbare; il me semble que non. A voir la facilité avec laquelle un Wisigoth et un Franc succédérent au commandement de ces riches provinces où le génie romain avait réalisé la centralisation dans les finances, l'unité dans l'administration, dans l'organisation de la justice et dans celle de l'armée, on se persuade trop facilement qu'il n'y eut qu'un chef de changé, un Clovis, par exemple, au lieu d'un Théodose; et on juge cette époque, qui ne ressemble à aucune autre, avec les idées qu'on s'est faites de l'empire qui l'a précédée ou des temps modernes qui l'ont suivie. A. Thierry, le premier, nous a montré la vérité,

Il y avait des tribus éparses sur le territoire conquis, ayant chacune ses mœurs, ses usages, ses coutumes, et reconnaissant, à des degrés différens, un chef commun. Il y avait un général, mais point de souverain; une fédération, mais point d'État; un commandement sur les hommes des cantons, mais point sur leur territoire, car chacun était souverain chez soi : le roi n'était que le chef de l'armée franque, rex Francorum '.

A côté des Germains, il y avait les provinciaux des cités, pour qui ce chef barbare était une espèce de proconsul romain, un patrice, un vir inluster, comme ces rois s'intitulent dans leurs diplômes 2. Là était le germe d'un gouvernement régulier, que Charlemagne voulut développer quand il se fit couronner empereur.

Enfin, à côté des hommes libres et des provinciaux, il y avait les fidèles du roi, ses vassaux, ses ministériels, ses esclaves, répandus sur ses domaines, prêts à le suivre partout où il voudrait les conduire, et qui considéraient dans leur chef non point le roi, mais le propriétaire et le suzerain.

Voyez l'histoire du vase de Soissons. Greg. Tur., II, 27, 31–37, 40; III, 7, 11; IV, 14.

* Winspeare, Storia degli abusi feudali, p. 270 et ss. Dans la vie de saint Martin (Script. rer. Fran., tome I), Dagobert s'intitule roi des Francs et des Romains.

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