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coutumes primitives de la Germanie; mais elles ne nous donnent qu'un crayon imparfait de l'état social après la conquête. Les formules seules, demi-romaines, demi-barbares dans le fond comme dans le style, nous expriment nettement ce qu'était cette société de deux races différentes, société confuse et mélangée, élémens en fusion que le lourd marteau de la féodalité devait marier et confondre. Les formules sont la législation de cette époque de transaction; elles font le passage des lois romaines et barbares, comme l'époque qu'elles réfléchissent fait la transition de la conquête à la féodalité. Comme toujours, l'état social se reproduit fidèlement dans les lois. Qui veut connaitre cette époque curieuse lise saint Grégoire de Tours, mais qu'il n'oublie pas Marculf.

LIVRE X.

DU SERVAGE.

CHAPITRE PREMIER.

De la servitude romaine et du servage germain'.

L'esclave romain n'était aux yeux de la loi qu'une chose; rien de plus que le bœuf ou le cheval. Il n'avait ni propriété, ni famille, ni personnalité; il était sans défense contre la cruauté, la folie ou la cupidité de son maître : « Vends tes bœufs hors d'usage, dit Caton, vends tes veaux, tes agneaux, ta laine, tes cuirs, tes vieilles charrues, tes vieilles ferrures, ton vieil esclave ou ton esclave malade et tout ce qui ne te sert pas. Quand on ne pouvait vendre l'esclave usé par la maladie ou la vieillesse, on l'envoyait mourir

Winspeare, Storia degli abusi feudali, ch. 3 et 5. ratori, diss. 14.

2 Caton édit. de Griphe), p. 16.

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- Mu

de faim. Claude fut le premier qui défendit cette infàme exposition '.

La condition de ces misérables ne s'adoucit guère sous les empereurs, et tout ce qu'inventa de plus favorable la bonté d'Antonin, ce fut de défendre des sévices intolérables, comme un abus de la propriété : Expedit enim reipublicæ ne quis rem suam male utatur, dit Gaius. On vendait l'esclave, et on remettait sa valeur à son maître : le malheureux n'avait que changé de bourreau 2.

Ce fut le christianisme qui sapa l'esclavage en proclamant le principe de l'égalité des hommes devant Dieu : « Et vous maîtres, dit saint Paul, >> sachez que leur maître et le vôtre est au ciel, et >> que devant Dieu il n'y a point d'acception de per>>sonnes 3. >> Les pasteurs répandirent ces maximes de la divine charité; l'affranchissement fut considéré comme une œuvre agréable à Dieu, et ce fut par des manumissions qu'on se plut à solenniser les grandes fêtes de la religion ".

3

Dès que l'Église fut organisée en conciles, elle lança l'anathème contre les maîtres qui avaient

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Saint Paul, ad Ephes., c. 6.

Cod. tit. De his qui in sacro sanctis ecclesiis.

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8, C., de Feriis, et la dernière formule du premier livre de Mar

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Greg. Nyssen, orat 2, de Resurrectione Christi.

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exercé sur leurs esclaves ce terrible droit de vie et de mort'; grâce au droit d'asile2 et à leur misère, les esclaves n'étaient-ils pas les plus chers protégés de la religion. Constantin, qui réalisa dans la législation les grandes idées du christianisme, le premier estima d'un même prix la vie de l'esclave et celle de l'homme libre, et déclara coupable d'homicide le maître qui volontairement avait donné la mort à son esclave 3. Entre cette loi et celle d'Antonin, il y a toute une révolution dans les idées morales; l'esclave était une chose, la religion en a fait un homme.

Dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique rien ne se fait par brusques révolutions. On ne change pas instantanément la condition des hommes, non plus que la condition des choses; de l'esclavage à la liberté il y avait un abîme qu'un seul jour ne pouvait combler: ce fut le servage qui fit la transition.

Sans méconnaître combien l'esprit de la religion chrétienne a contribué à l'abolition de la

1

Excommunicationi vel pœnitentiæ biennii esse subjiciendum, qui servum proprium sine conscientia judicis occideret. Muratori, diss. 14.

2 L. 5, C. Th., De his qui ad ecclesias confugiunt. Le 5o canon du concile d'Orange décide, eos qui ad ecclesiam confugeriut tradi non oportere, sed loci sancti reverentia et intercessione defendi.

6

L. unic., C., de Emend. serv. — - V. encore la l. 1, C. Th., de Expositis.

servitude, il me semble néanmoins que les idées germaines eurent la plus grande part à cette transformation de la servitude en servage. Ce sont les Barbares qui les premiers ont reconnu à l'esclave le droit de famille et celui de propriété ', deux capacités devant lesquelles l'esclavage ne peut subsister 2.

CHAPITRE II.

Continuation.

Cette propriété du serf fut grevée de services et de redevances au profit du maître, et à vrai dire, ce ne fut en commençant qu'une possession des plus précaires; mais par les progrès naturels de la civilisation et par ce besoin de stabilité sans laquelle la culture est impossible, cette possession s'assura de plus en plus, et par cette as

Tacite, Germ., 25. Ceteris servis non in nostrum morem descriptis per familiam ninisteriis utuntur. Suam quisque sedem, suos penates regit. Frumenti modum dominus aut pecoris, aut vestis, ut colono injungit, et servus hactenus paret. Cetera domus officia uxor ac liberi exequuntur. Winspeare, chap. 5.

L. 6. D., De adq. rer, dom. - Heineccius, Elem. juris germanici, tit. I, De prima hominum divisione.

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