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Ainsi écrasée, la plébe n'avait qu'une alternative; devenir esclave et cliente, ou s'emparer du sol, et par le sol s'emparer du pouvoir. C'est le fonds de toutes les émeutes romaines.

Aussi voyons-nous le bon roi Servius, ce protecteur de la plebe dans toutes les légendes romaines, créer en quelque sorte cette classe de citoyens par des assignations de terre1. Après le renvoi de Tarquin, et pour intéresser la plebe à la révolution, on donne à chaque citoyen pauvre sept jugera des biens du roi 2.

En 298 on retire aux patriciens le mont Aventin, dont une partie était un pâturage communal, et on le divise entre les plébéiens 3. Dès lors la plèbe commence à sortir de son asservissement et parle plus haut. En vain pour prévenir ses demandes incessantes on fonde des colonies destinées à débarrasser la cité de l'exigence des pauvres mécontens, la plèbe resurgit avec une ardeur et une force nouvelle, plus në cessiteuse et plus avide que jamais.

Enfin après une lutte de deux siècles, les rogations de C. Licinius Stolo et de L. Sextius ame

1 Denis, IV, 9,10, 13. Livius, I, 46:

Nonnius Marcellus, V. VIRITIM. 202. Extra urbem in regiones 26 agros viritim liberis attribuit.

2 Pline, H. N., XVIII, 4.

3

339.

Livius, III, 31. Denis, X, 31, 32, Niebuhr, II, 169,

4 Livius, IV, 32.

nèrent la plėbe au partage de l'ager publicus, et en introduisant l'égalité dans le droit de posséder, assurérent l'anéantissement politique de la classe patricienne 1.

Vingt-huit ans après les rogations liciniennes, la plébe était maîtresse du gouvernement; le dictateur Philon avait fait rendre cette loi célèbre qui mit désormais le pouvoir aux mains des tribus: Ut plebiscita omnes Quirites tenerent: QUE LES DÉCISIONS DE LA PLÈBE ASSUJETTISSENT TOUS LES CITOYENS 2.

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CHAPITRE V.

Résultat des lois liciniennes.

Les lois liciniennes, en organisant une classe moyenne de propriétaires, firent la grandeur du pays. Qu'on en juge par le fait suivant.

En 405 (dix-sept ans après les lois agraires), le sénat, voyant la république menacée d'une révolte générale des alliés et réduite à ses propres forces, forma sur-le-champ dix légions, où qua

Livius, V, 35; X, 13. Columella, I, 3.

Appien;

Guerre civile, I, 8. - Pilati de Tassulo, Lois politiques des

Romains, t. II, ch. 16.

2 Livius, VIII, 12.

rante-cinq mille hommes de troupes romaines, « ce qui composait, dit Tite-Live', une armée. >> de soldats citoyens si nombreuse qu'il serait » difficile de nos jours d'en rassembler autant >> dans ce même empire, qui s'étend jusqu'aux » extrémités de la terre, tant il est vrai qu'il n'a » crû qu'en luxe et en richesses, l'unique objet » de nos soucis et de nos travaux. »

Une fois la plebe propriétaire et la classe moyenne organisée, les Romains marchérent de conquêtes en conquêtes. Et d'une domination de quelques lieues autour de leur ville, ils parvinrent à l'empire universel en moins d'années qu'ils n'en avaient employées depuis l'expulsion des rois à terminer leurs dissensions intestines.

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CHAPITRE VI.

Des secondes lois agraires.

Malheureusement pour Rome, ces conquêtes, en l'enrichissant, ruinèrent la constitution qui reposait sur l'égalité des citoyens, ce qui suppose une certaine égalité dans les fortunes. L'institution d'un cens sénatorial mit les riches en

Livius, VII, 25.

possession exclusive de l'administration, et ces grandes fortunes s'accrurent de façon démesurée du butin de la guerre et de la dépouille des provinces '.

Les nobles et les riches, maîtres du sénat, ayant le consulat entre les mains ", tenant en bride les alliés par la crainte, les chevaliers par l'intérêt, devinrent une faction puissante, qui, au mépris des lois, concentra la propriété dans ses mains avares et reproduisit un nouveau patriciat avec cette âpreté qui distingue la noblesse parvenue de la noblesse de race.

Depuis les lois de Licinius on avait bien de temps en temps fait au peuple quelques distributions de terre ; mais ces immenses étendues de terres conquises, qui faisaient une part de l'Italie, les riches se les étaient attribuées. Ce n'est pas tout; soit par achat, soit par violence, ils s'approprièrent les héritages de leurs pauvres voisins. Propriétaires de cantons entiers, ils remplacérent la culture des hommes libres par celle des esclaves, moins onéreuse puisqu'elle n'avait pas la charge du service militaire, et ainsi

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4 Polybe, II, 21. — Livius, XXXI, 4, 49; XLII, 4. — Val.

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disparut chaque jour le malheureux paysan, écrasé par les dépenses et les fatigues de la guerre, chassé de l'héritage paternel par la misère, l'usure et la violence1.

Appien, Guerre civile, I, 7, dépeint en politique cette destruction des classes moyennes. Je le traduis :

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« A mesure que les Romains subjuguaient une portion de >> l'Italie, ils prenaient une part du sol; là ils fondaient des >> villes ou bien ils peuplaient de colons celles qui existaient déjà. » C'étaient leurs boulevards. De cette terre conquise la partie cul» tivée était assignée ou vendue, ou affermée aux colons. Quant à la partie inculte, souvent fort considérable, on l'abandonnait, » sans la diviser, à ceux qui voulaient la cultiver, moyennant la >> redevance annuelle du dixième des grains et du cinquième des » fruits. Il y avait aussi un impôt déterminé pour le droit de på» turage du gros et du menu bétail. On voulut multiplier cette >> race italienne, race patiente et courageuse, pour augmenter le »> nombre des soldats citoyens; mais le contraire arriva de ce qu'on avait prévu, car les riches, maîtres de la plus grande partie de ces terres non limitées (tñøde tüs àvquýtou ris), enhardis » par la durée de leur possession, achetèrent de gré ou prirent » de force l'héritage de leurs pauvres voisins et transformèrent » leurs champs en d'immenses domaines. Ils employèrent des es>> claves pour laboureurs et pour bergers, le service militaire ar>> rachant les hommes libres à l'agriculture. Ces possessions >> étaient des plus fructuenses par la rapide multiplication des >> esclaves, que favorisait singulièrement cette exemption du ser» vice militaire. Les riches devinrent done démesurément riches, >> et les esclaves augmentèrent rapidement en Italie; mais la race >> italienne s'appauvrit et s'anéantit usée par la misère, l'impôt et » la guerre. Et si l'homme libre échappait à ces maux, il lui » fallait se perdre dans l'oisiveté, car le sol était tout entier aux » mains des riches, qui cultivaient par des esclaves et ne voulaient >> point de lui. »— Sall., Jug., 41. — Livius, VI, 12. —Pline, H. N., XVIII, 7, 3. Sénèque, Ep., 89. — Florus, I,

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Quintilien, Déclam., XIII, 2.

21.

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