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Je la vis tous les jours: bref, je parlai d'hymen :
Je craignais de subir un fâcheux examen.

Malgré mes cheveux blancs, dans sa reconnaissance,
Dans son respect pour moi son amour prit naissance,
Et je vis s'embellir mon arrière-saison

Des charmes du bel âge unis à la raison.
Notre hymen fut conclu. Sa respectable aïeule
Eut toujours par nature horreur de vivre seule ;
Ma maison fut la sienne, et par elle j'appris
Qu'en secret leur chimère était de voir Paris;
Bien plus, qu'à leur santé l'air du Hâvre est contraire...
Je les force à partir. Loin d'Hortense une affaire
M'a retenu deux mois, à mon grand désespoir,
Et c'est à peine hier si j'ai pu l'entrevoir;
Elle avait pour la cour un billet de spectacle:
Moi, mettre à ses plaisirs le plus léger obstacle !
Bien qu'elle y consentît, c'était un coup mortel;
Et j'ai pour me distraire, admiré mon hôtel.
BONNARD.

C'est un palais, mon cher; peste! quelle richesse!
En entrant j'ai manqué de te traiter d'altesse...

..Ah! mon ami que tes goûts ont changé!
Que je t'ai vu plus sage à mon dernier congé !
Tu t'occupais alors de tes travaux champêtres,
A l'ombre des pommiers plantés par tes ancêtres,
Debout avant le jour, doucement tourmenté
Du démon vigilant de la propriété.

Tu pâlissais de crainte au bruit d'une visite;
A tirer des perdreaux tu bornais ton mérite,
Ta joie à faire en paix bonne chère et grand feu,
Et ton piquet du soir, quand j'avais mauvais jeu.
Te voilà citadin! le luxe t'environne ;

Un gros suisse est là bas qui défend ta personne :
Et tout cela, pourquoi ? ta femme l'a voulu.

DANVILLE.

Hortense! elle me laisse un pouvoir absolu.

Mais depuis quand, je te prie,

La jeunesse à tes yeux paraît-elle un défaut?
BONNARD.

Depuis que j'ai vieilli. Dans ma femme il me faut,
Pour que le mariage entre nous soit sortable,
Une maturité tout-à-fait respectable.

Or, une vieille femme a pour moi peu d'appas ;
Une jeune, à son tour, peut ne m'en trouver pas.
Pour agir prudemment dans cette conjoncture,
J'ai fait du célibat ma seconde nature;

J'y tiens, j'y prends racine, et je suis convaincu
Que je mourrai garçon, ainsi que j'ai vécu.

Je rentre quand je veux, je sors quand il me plaît ;
Je dispose de moi, je m'appartiens, je m'aime,
Et sans rivalité je jouis de moi-même.
Célibat! célibat! le lien conjugal

A ton indépendance offre-t-il rien d'égal ?

Je me tiens trop heureux, et j'estime qu'en somme
Il n'est pas de bourgeois, récemment gentilhomme,
De général vainqueur, de poète applaudi,
De gros capitaliste à la Bourse arrondi,

Plus libre, plus content, plus heureux sur la terre,
Pas même d'empereur, s'il n'est célibataire.

DANVILLE.

Et je te soutiens, moi, que le sort le plus doux,
L'état le plus divin, c'est celui d'un époux
Qui, long-tems enterré dans un triste veuvage,
Rentre au lien chéri dont tu fuis l'esclavage.
Il aime, il ressuscite, il sort de son tombeau :
Ma femme a de mes jours rallumé le flambeau.
Non, je ne vivais plus : le cœur froid, l'humeur triste,
Je végétais, mon cher, et maintenant j'existe.
Que de soins! quels égards! quels charmans entretiens!
Des défauts, elle en a; mais n'as-tu pas les tiens?

AUTRE SCÈNE DE L'ÉCOLE DES VIEIL

LARDS.

Les précédens; MADAME DANVille.
DANVILLE.

Tu vois, ma chère Hortense,

Un camarade à moi, mon compagnon d'enfance,
Mon mentor au collége; élève à Mazarin,
Bonnard m'a sur les bancs disputé le terrain ;
Je l'aimais à quinze ans, et je te le présente
Comme un des vrais amis que j'estime à soixante.
MADAME DANVILLE.

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Il est sûr qu'avec lui je vivais comme un frère.
MADAME DAnville.

Si nous en exceptons vos débats sur Homère.

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Vous souvient-il de certaine imprudence,

Qui lui valut de vous un superbe sermon ?

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C'est en soixante-treize ;

Oui vraiment: quoi! madame, on vous en a parlé ; Quel charmant souvenir vous m'avez rappelé !

(à Danville.)

Elle a beaucoup d'esprit.

DANVILLE.

N'est-ce pas ?

MADAME DANVILLE.

Je m'arrête;

Vos triomphes passés vous tourneraient la tête.
Mais voyez-nous souvent en causant tous les trois,
Nous ferons reverdir vos lauriers d'autrefois.
Pour madame Bonnard, je veux aller moi-même...
BONNARD, embarrassé.

Je suis...

DANVILLE.

Il est garçon, et garçon par systême,

Me voilà converti.

BONNARD.

MADAME DANVILLE.

Monsieur, prouvez le donc :

Un garçon a parfois des momens d'abandon,
D'ennui; venez nous voir, et que notre ménage
Vous raccommode un jour avec le mariage.
BONNARD.

Je ferai d'un tel soin mon plus doux passe-tems

Et voudrais près de vous prolonger ces instans ; Mais un mot très-pressé que je ne puis remettre... (bas à Danville.)

Ah! je te félicite, et ta femme est divine.

SCÈNES DE DON JUAN,

OU

(Il sort.)

LE FESTIN DE PIERRE.

COMÉDIE DE MOLIÈRE.

DON JUAN; SGANARELLE, LA VIOLETTE, RAGOTIN, valets de don Juan.

LA VIO. Monsieur, voilà votre marchand, monsieur Dimanche, qui demande à vous parler.

SGAN. Bon! voilà ce qu'il nous faut, un compliment de créancier! De quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent ? et que ne lui disais-tu que monsieur n'y est pas ?

LA VIO. Il y a trois quarts d'heure que je le lui dis; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là-dedans pour attendre.

SGAN. Qu'il attende tant qu'il voudra.

D. JUAN. Non; au contraire, faites-le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire céler aux créanciers. Il est bon de les payer de quelque chose; et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits, sans leur don

ner un sou.

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