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M. D'HER. Ah! oui, tu dois être bien contrarié; je te plains bien sincèrement.

DUM. Eh! parbleu! s'est-il écrié, je puis peut-être procurer à notre ami D'Herbelin et à son aimable famille une excellente occasion de voyager beaucoup plus commodément que par les voitures publiques.

M. D'HER. En vérité?

DUM. Sans doute; un de mes braves correspondans, M. de Saint-Valery, a-t-il ajouté, retourne ce soir ou demain matin au plus tard à Dieppe. Je sais qu'il a une berline à six places et qu'il doit partir seul; je ne doute pas qu'il ne se fasse un plaisir de se charger de nos amis; je vais le lui proposer.

M. D'HER. Ce bon Bernard! je le reconnais bien là. DUM. Il me quitte aussitôt pour courir chez M. de Saint-Valery, et, deux heures après, il revient me dire que c'est une chose convenue, et que ce soir, ou demain dans la matinée, ce monsieur sera à ta porte avec sa voiture; ainsi, dans une demi-heure il peut être ici ; surtout ne le fais pas attendre, et moi, je me sauve bien vite; es-tu content?

M. D'HER. (transporté.) Si je le suis, mon ami? Mais quel est ce M. de Saint-Valery?

DUM. C'est un jeune homme charmant; du moins d'après ce que m'a dit Bernard; car, moi, je ne l'ai jamais vu les manières les plus affables...pas grand parleur.

M. D'HER. Tant mieux pour ma femme, elle aura plus souvent son tour.

DUM. Je te prédis le voyage le plus agréable...

M. D'HER. A merveille, mon ami, à merveille... Mais, dis-moi donc; Bernard lui a-t-il donné mon adresse bien exactement ?

DUM. Oui, oui, rue de Buffon, N° 22, à côté du Jardin des Plantes. Allons, adieu.

M. D'HER. (l'arrêtant.) Eh bien, Dumontel! au moment d'un départ tu me quittes comme cela? tu n'embrasses pas ton vieil ami?

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DUм. Ah! pardon, mon cher D'Herbelin.

M. D'HER. La route est sûre, à ce que l'on m'a dit ; mais, quand on voyage la nuit, il arrive quelquefois bien des accidens.

DUM. Sois tranquille, il ne t'arrivera rien; nous nous reverrons...Allons, bon voyage.

M. D'HER. Et toi, bonne réussite. Prévenons bien vite ma femme qu'au lieu de partir en diligence, nous partons en berline.

PRÉCIS DES SCÈNES SUIVANTES.

Au lieu de conduire M. D'Herbelin à Dieppe, on le fait voyager toute la nuit dans Paris et les environs, et on le fait descendre dans un quartier de la ville fort éloigné de celui qu'il habite, en lui persuadant qu'il est à Dieppe. Impatient d'aller voir le port, il sort de la maison, et reconnaît bientôt une des rues de Paris. Il rentre furieux, M. Dumontel parvient à l'appaiser et part enfin avec lui pour Dieppe.

NOTES SUR LE VOYAGE A DIEPPE.

1 Aisés, in easy circumstances.

2 Je ne fais pas danser l'anse du panier, I don't make any profit upon my marketings.

3

Vélocifère. Sorte de voiture publique. (Du latin velor rapide, et fero, je porte.)

* Longue-vue pour Lunettes de longue vue, a telescope.

SCENE DE L'OPTIMISTE,

COMÉDIE DE COLLIN D'HARLEVILLE.

M. DE PLINVILLE, l'Optimiste; PICARD, vieux domestique de M. de Plinville.

M. DE PLINVILLE (sans voir Picard.)

On est vraiment heureux d'être né dans l'aisance.
Je suis émerveillé de cette Providence,

Qui fit naître le riche auprès de l'indigent:
L'un a besoin de bras, l'autre a besoin d'argent;
Ainsi tout est si bien arrangé dans la vie,

Que la moitié du monde est par l'autre servie.
PICARD.

Bien arrangé pour vous; mais moi j'en ai souffert.
Pourquoi ne suis-je pas de la moitié qu'on sert ?
M. DE PLINVILLE.

Parce que tu n'es point de la moitié qui paye.

PICARD.

Et pourquoi, par hasard, ne faut-il point que j'aye De quoi payer?

Riches?

M. DE PLINVILLE.

Eh! mais, pouvions-nous être tous

PICARD.

Je pouvais, moi, l'être aussi-bien que vous.
M. DE PLINVILLE.

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Voilà ce qui me fâche.

Je remplis dans ce monde une pénible tâche,
Et depuis cinquante ans.

M. DE PLINVILLE.

Etre fait au service.

Tu devrais, en ce cas,

R

PICARD.

Eh! l'on ne s'y fait pas.

Lorsque je veux rester, vous voulez que je sorte;
Veux-je sortir, il faut que je garde la porte.
Vous êtes maître enfin, et moi je suis valet :
Je dois aller, venir, rester, comme il vous plaît.
M. DE PLINville.

Tu n'en prends qu'à ton aise.

PICARD.

Oh !...

M. DE PLINville.

L'on te considère,

Et tous mes gens ici te traitent comme un père.

PICARD.

Et je sers tout le monde.

M. DE PLInville.

Eh! cela n'y fait rien :

Sois content de ton sort, ainsi que moi du mien.

PICARD.

Je n'ai point, comme vous, l'art de m'en faire accroire, Et ne sais point voir clair, quand la nuit est bien noire, M. DE PLINville.

Je suis donc bien crédule?

PICARD.

On vous vole à l'envi; Et vous vous croyez, vous, parfaitement servi. M. DE PLINVILLE (riant.)

En vérité!

PICARD.

Chez vous, on pille, on pleure, ón gronde;
Vous trouvez tout cela le plus joli du monde.
M. DE PLINville.

Mais je ne savais pas un mot de tout ceci.
PICARD.

On vous battrait enfin ; vous diriez, grand merci.
M. DE PLINville.

Le bon Picard a donc le petit mot pour rire ?

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Du matin jusqu'au soir,

Ne faut-il pas courir? je ne saurais m'asseoir :
Madame, à tous momens, m'envoie à ce village;
Et...pour je ne sais quoi; dès le matin, j'enrage.
M. DE PLINVILLE.

Allons, va, mon ami.

PICARD.

Voilà bien leurs propos!

Va, mon ami! pour eux, ils restent en repos.

M. DE PLINVILLE (seul.)

(Il sort.)

Picard est un peu brusque, il faut que j'en convienne.
Chacun a son humeur, après tout: c'est la sienne.
Je dois quelques égards à ce vieux serviteur.
Il m'est fort attaché, malgré son air grondeur.
Ce bon Picard est las de servir, à l'entendre;
Et cependant au mot si je voulais le prendre,
Je l'attraperais bien: car, j'ai cela de bon,
Je suis aimé, chéri de toute ma maison.

(Il s'arrête un moment, comme pour se recueillir.)
Quand j'y songe, je suis bien heureux! je suis homme,
Européen, Français, Tourangeau, gentilhomme:
Je pouvais naître Turc, Limousin, paysan.
Je ne suis magistrat, guerrier, ni courtisan;
Non; mais je suis seigneur d'une lieue à la ronde.
Le château de Plinville est le plus beau du monde.
Je suis de mes vassaux respecté comme un roi,
Adoré comme un père: il n'est autour de moi

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