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AUTRE SCENE DE GEORGE DANDIN.
CLITANDRE, LUBIN.

LUB. Je voudrais bien savoir, monsieur, vous qui êtes savant, pourquoi il ne fait point jour la nuit. CLI. C'est une grande question, et qui est difficile. Tu es curieux, Lubin.

LUB. Oui. Si j'avais étudié, j'aurais été songer à des choses auxquelles on n'a jamais songé.

CLI. Je le crois. Tu as la mine d'avoir l'esprit subtil et pénétrant.

LUB. Cela est vrai. Tenez, j'explique du latin, quoique jamais je ne l'aie appris; et voyant l'autre jour écrit sur une grande porte, collegium, je devinai que cela voulait dire collége.

*

CLI. Cela est admirable. Tu sais donc lire, Lubin? LUB. Oui, je sais lire la lettre moulée, mais je n'ai jamais su apprendre à lire l'écriture.

SCÈNE DE L'OBSTACLE IMPRÉVU,
COMÉDIE DE DESTOUCHES.

PASQUIN, CRISPIN.

PASQ. (à lui-même.) Allons, Pasquin, du courage. Voici l'occasion de venger ton honneur.

CRISP. (à lui-même.) Allons, Crispin. Te voilà en présence, il faut bourrer ton homme.

(Ils enfoncent tous deux leur chapeau, se regardent fièrement. Crispin met des gants de buffle, Pasquin en met aussi.)

PASQ. Voilà un drôle qui me paraît vigoureux.

*La lettre moulée, print.

CRISP. Voilà un pendard qui fait bonne contenance. PASQ. Courage. (haut.) N'est-ce pas là cet homme qui est amoureux de ma femme ?

CRISP. Allons, mon enfant, de la vigueur. (haut.) N'est-ce pas là ce maroufle qui m'a soufflé Nérine ? PASQ. C'est lui-même, et je ne l'ai pas assommé ! CRISP. C'est son mari, et je le laisse vivre ! PASQ. Allons, je vais l'expédier.

CRISP. Je veux vaincre ou mourir.

PASQ. (à part.) Commençons par l'insulter; il faut que tout se fasse dans les formes. (haut.) Voilà un vìsage que je suis bien las de voir.

CRISP. Voilà un faquin qui me fatigue bien la vue. PASQ. (à part.) Cet homme-là n'entend point raillerie.

CRISP. (à part.) J'ai bien peur qu'il ne me fasse bonne résistance.

PASQ. (mettant la main sur la garde de son épée.) Voyons s'il a du courage.

CRISP. (faisant de même.) Tâtons un peu sa vi

gueur.

PASQ. (haut.) Avance.

CRISP. (haut.) Avance toi-même.

PASQ. Je t'attends.

CRISP. Et moi aussi.

PASQ. C'est à toi à m'attaquer.

CRISP. Non, c'est à toi.

PASQ. N'ai-je pas épousé ta maîtresse ?

CRISP. Ne suis-je pas aimé de ta femme ?

PASQ. Aimé de ma femme! Oh! pour le coup je suis en fureur.

CRISP. Il a épousé ma maîtresse ! Voilà ma colère au point où je la voulais.

(Ils font mine de tirer l'épée, ils s'écartent pour dire ce qui suit.)

PASQ. Crois-moi, mon enfant, retire-toi.
CRISP. Retire-toi, toi-même.

PASQ. Je ne te ferai point de quartier.

CRISP. Je te vais mettré sur le carreau.
PASQ. Toi! Tu n'es qu'un bélître.
CRISP. Tu n'es qu'un misérable.

PASQ. Un lâche.

CRISP. Un poltron.

PASQ. (lui donnant un soufflet.) Moi, poltron ?
CRISP. (le lui rendant.) Moi, lâche ?

I

(Ils mettent l'épée à la main, et se repoussent en réculant.)

PASQ. Vous reculez.

CRISP. Et vous aussi.

PASQ. C'est pour gagner du terrain.
CRISP. Et moi, pour mieux sauter.

(Ils s'avancent, et se regardent tous deux en trem-
blant.)

PASQ. Je tremble pour ta vie.

CRISP. Et moi pour la tienne.

PASQ. (à part.) S'il pouvait s'enfuir!

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CRISP. (à part.) Si la peur le pouvait prendre! PASQ. (à part.) Ma valeur commence à me quitter. CRISP. (regardant de tous cotés.) Ne viendra-t-il personne pour nous séparer ?

PASQ. Il faut faire du bruit.

CRISP. Je vais crier comme un diable.

CRISPIN et PASQUIN. (se poussant des bottes de loin.) Point de quartier. Tue, tue.

PASQ. (à part.) Il ne vient pas une âme.

CRISP. (à part.) Ils nous laisseront égorger. (haut) Ma foi, puisqu'on ne vient pas nous séparer, je suis d'avis que nous finissions le combat.

PASQ. (haut.) Vous avez raison; nous avons fait notre devoir.

CRISP. Je vous en réponds.

PASQ. Je vous ai donné un soufflet, vous me l'avez rendu chaudement.

CRISP. Nous avons mis l'épée à la main en braves gens.

PASQ. Nous nous sommes battus comme des en

ragés.

CRISP. La valeur ne peut pas aller plus loin.

PASQ. Voilà tout ce qui s'y peut faire. Si vous voulez, pourtant, nous recommencerons.

CRISP. Non, nous sommes d'égale force: nous nous battrions deux heures que nous ne nous tuerions pas. Voilà assez de sang répandu.

PASQ. Allons nous faire panser.

CRISP. Allons plutôt boire, nous en avons besoin; la valeur altère furieusement, C'est la coutume des braves gens de boire ensemble après qu'ils se sont mesurés.

PASQ. Vous avez raison; allons, César.
CRISP. Marchons, Pompée.

SCÈNE DES FEMMES SAVANTES,
COMÉDIE DE molière.

Dispute de Trissotin et de Vadius.
TRISSOTIN.

Vos vers ont des beautés que n'ont point tous les autres.
VADIUS.

Les Grâces et Vénus règnent dans tous les vôtres.
TRISSOTIN.

Vous avez le tour libre et le beau choix des mots.

VADIUS.

On voit partout chez vous l'ithos et le pathos.
TRISSOTIN.

Nous avons vu de vous des églogues d'un style
Qui passe en doux attraits Théocrite et Virgile.
VADIUS.

Vos odes ont un air noble, galant, et doux,
Qui laisse de bien loin votre Horace après vous.

TRISSOTIN.

Est-il rien d'amoureux comme vos chansonnettes ?

VADIUS.

Peut-on voir rien d'égal aux sonnets que vous faites? TRISSOTIN.

Rien qui soit plus charmant que vos petits rondeaux ? VADIUS.

Rien de si plein d'esprit que tous vos madrigaux ?: TRISSOTIN.

Aux ballades surtout vous êtes admirable.

VADIUS.

Et dans les bouts-rimés je vous trouve adorable.
TRISSOTÍN.

Si la France pouvait connaître votre prix. 55
VADIUS.

Si le siècle rendait justice aux beaux esprits.
TRISSOTIN.

En carrosse doré vous iriez par les rues.

VADIUS.

On verrait le public vous dresser des statues.
Hom! c'est une ballade, et je veux que tout net
Vous m'en...

TRISSOTIN.

Avez-vous vu certain petit sonnet

Sur la fièvre qui tient la princesse Uranie?

VADIUS.

Oui. Hier il me fut lu (lans une compagnie.

TRISSOTIN.

Vous en savez l'auteur ?

VADIUS.

Non; mais je sais fort bien Qu'à ne le point flatter, son sønnet ne vaut rien.

TRISSOTIN.

Beaucoup de gens pourtant le trouvent admirable.
VADIUS...

Cela n'empêche pas qu'il ne soit misérable ;
Et, si vous l'aviez vu, vous seriez de mon goût.

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